In L’Echo Républicain – le 22 janvier 2014 :
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[…] Faute d’essayer de penser l’école autrement, la sympathique réforme de l’éducation prioritaire risque de n’être que cautère sur jambe de bois.
La réforme de l’éducation prioritaire, annoncée la semaine derrière par Vincent Peillon, illustre jusqu’à l’absurde l’impuissance de l’école à se penser autrement, au moins en ce qui concerne les leviers destinés à “retenir” les enseignants en ZEP. La question du turn over est évidemment névralgique : impossible de construire un projet pédagogique, de suivre les élèves, de les convaincre que l’école peut les faire réussir, si la moitié du corps enseignant prend la tangente à la première occasion. On se réjouira donc que le gouvernement ait décidé de mieux rémunérer les enseignants, d’augmenter leur prime, de leur donner du temps pour le travail en équipe…
Il y aurait pourtant eu une autre façon de penser – et, qui sait, de panser – le problème. Car tous les enseignants ne fuient pas l’éducation prioritaire ou, plus largement, les élèves en situation de fragilité scolaire ou sociale. Certains sont même tellement attachés à leur mission auprès de ces jeunes que toutes les incitations de la terre ne les amèneront pas à demander une mutation pour des établissements en principe plus tranquilles.
A-t-on seulement cherché à comprendre qui ils étaient, quelle énergie les animait, quelles convictions les portaient, quelles valeurs fondaient leur engagement ? S’est-on demandé, un instant seulement, en marge d’une réunion, pourquoi certains restaient au lieu de se demander pourquoi les autres partaient ? A-t-on analysé de près la culture des établissements dans lesquels ils restent, leur fonctionnement, le rôle que l’équipe de direction ou de la vie scolaire y tenait, le type de partenariat tissé avec les collectivités, la façon de travailler le lien avec les familles ? A-t-on vraiment essayé de savoir si ce qui porte ces enseignants ne pouvait pas être diffusé, étendu, transmis, à ceux qui, épuisés par l’ampleur de la tâche à venir, saisissent la première occasion pour quitter l’éducation prioritaire ? Leur a-t-on, simplement, demandé ce dont ils auraient besoin, à la fois pour eux-mêmes et pour évangéliser leurs collègues ?
Reconnaissances matérielles nouvelles
On y aurait probablement trouvé autre chose que de l’argent, à commencer par une philosophie du métier différente de celle qui s’exprime en “obligations de service” réduites aux heures d’enseignement stricto sensu. Rappelons qu’un professeur certifié “doit” 18 heures de cours hebdomadaires sur 36 semaines par an : la destination du reste de son temps de travail est laissée à sa libre appréciation?; en outre, qu’il en fasse plus ou moins est indifférent en termes de carrière. Le métier est donc défini, légalement, en fonction du temps passé dans la classe, à faire la classe, l’usage du reste du temps en découlant (on pourrait imaginer, au moins conceptuellement, le raisonnement inverse et considérer que la réussite du cours procède de ce qui se joue en dehors).
Une fois encore, on ne peut que se réjouir de voir les enseignants de l’éducation prioritaire bénéficier de reconnaissances matérielles nouvelles. Mais en continuant à tenter d’améliorer l’école et le métier d’enseignant tels qu’ils sont au lieu d’essayer d’imaginer ce qu’ils pourraient être, la “refondation” confirme n’annoncer que le nouvel avatar d’un système scolaire ancien et destiné à demeurer, au fond, inchangé. Qu’elle lui offre un visage plus humain, plus attentif aux personnes, la rend sympathique. Mais aussi, les mêmes causes produisant généralement les mêmes effets, possiblement vaine.