APPRENANCE : Une origine lointaine de l’apprenance peut être recherchée dans la dimension universaliste de la pensée de Comenius (1592-1670).
"Tout homme est né capable d’apprendre sur les choses" (Comenius, La Grande Didactique ou l’art universel de tout enseigner à tous, chapitre V, paragraphe 4). "Tout doit être enseigné à tout le monde", sans distinction de richesse, de religion ou de sexe, (ubi omnes omnia omnino doceantur). "Que les écoles supérieures soient accessibles à tous ceux qui montrent des aptitudes, et non pas seulement aux enfants des riches et des nobles". La sagesse universelle (pansophia) enseigne de ne pas discriminer, d’éviter de sélectionner les aptes à entendre et à étudier, au nom de critères arbitraires au service de ceux qui savent et qui le font savoir. "Que tout vienne spontanément, que la contrainte soit bannie" (Omnia sponte fluant, absit violentia rebus). les activités de la pensée concernent la raison (ratio) mais aussi l’operatio, c’est-à-dire le travail manuel. Dans Pampaedia, Comenius déclare : "De même que le monde entier est une école pour la totalité de l’espèce humaine depuis l’origine jusqu’à la fin des temps, de même la vie est une école pour chacun, du berceau jusqu’à la tombe. Il ne suffit plus de dire avec Sénèque : « Il n’y a pas d’âge pour commencer à apprendre». Nous devons dire que chaque âge est destiné à apprendre car il n’y a d’autre but pour chaque être que d’apprendre dans la vie elle-même».
"Donner à l’enfant le désir d’apprendre et toute méthode sera bonne" Jean-Jacques Rousseau, 1762, L’Émile.
"Ce que l’on apprend le plus solidement et ce que l’on retient le mieux, c’est ce que l’on apprend en quelque sorte par soi-même"
(E.Kant, 1803, Traité de pédagogie). la Bildung traduit l’idée que l’homme se transforme en même temps qu’il forme les choses. Il s’agit pour l’individu de se dépasser pour cultiver ses propres talents, comme l’évoquait Kant. L’homme devient ainsi le héros de son roman de formation et vit une quête herméneutique, au sens d’un art de la compréhension de ce qui lui arrive, M.Merleau-Ponty, 1996.
Apprendre est un processus qui embrasse toute la vie, la formation personnelle et professionnelle continuée. "Deviens ce que tu es sans jamais cesser d’être un apprenti" (F. Nietzsche, 1882, Le Gai Savoir). le plus important et le plus difficile, c’est de devenir soi-même, c’est-à-dire de devenir le personnage de sa propre histoire (J. lacan). L’autoréalisation individuelle est un processus d’apprentissage permettant à chacun de devenir ce qu’il est. C’est aussi une forme d’utopie concrète. C’est enfin un mouvement de la "société apprenante" qui crée les conditions qui permettent à l’individu de réaliser ses choix et de construire ses projets.
L’apprenance s’inscrit dans les changements d’orientation des paradigmes en apprentissage. D’abord considéré comme un réoepteur passif d’informations et de connaissances (vision béhavioriste), l’apprenant a ensuite été reconnu comme l’acteur principal de son propre apprentissage (vision cognitiviste), pour finalement être considéré comme le créateur central de son expérience éducative (vision constructiviste). M. Serres, 1991, va jusqu’à affirmer (sans le démontrer) que « Rien ne résiste à l’apprentissage ».
Depuis le début des années 1970, un nouveau modèle de la connaissance centré sur l’acte d’apprendre et l’activité du sujet a pris le pas sur un modèle antérieur du rapport au savoir organisé autour de la transmission, au sens de la répétition du même, au sein de la famille ou à l’école. Dans un monde qui se transforme à un rythme accéléré, la bipolarité apprendre/transmettre un bagage de connaissances se pose en des termes nouveaux.
L’apprenance dans la société d’aujourd’hui, se nomme pour M. Serres, 1995, « Société pédaqoqique». L’apprentissage dans la vie quotidienne n’est pas nécessairement intentionnel, ni même toujours conscient ; il est informel, implicite, incident. l’école n’est plus le lieu éducatif central et l’éducation formelle n’est plus la seule forme et la seule source éducative.
L’acte d’apprendre doit être saisi dans une triple dimension: éducative, mais aussi économique et sociale. L’apprenance devient ainsi une stratégie pour améliorer les performances en augmentant laflexibilité et la réactivité, d’où les expressions « d’organisation apprenante» et « d’entreprise apprenante», par exemple.
L’apprenance est une perspective offerte par la société de l’information, quand apprendre est possible indépendamment de l’acte de formation. "Apprendre" est devenu une nécessité dont dépend l’avenir de l’individu comme des groupes sociaux et des entreprises, P. Santelmann, 2001. La société de la connaissance et de la communication qui se profile sous nos yeux favorise-t-elle un développement durable et plus inclusif ?
Le XXI’siècle sera celui de la combinaison de l’éducation formelle et non formelle. La Commission des Communautés européennes, 2001, distingue quatre types d’apprentissage :
• L’apprentissage formel est un apprentissage traditionnellement dispensé dans un établissement d’enseignement ou de formation, structuré (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources) et débouchant sur une validation. L’apprentissage formel est intentionnel de la part de l’apprenant.
• L’apprentissage informel est un apprentissage découlant des activités de la vie quotidienne liées au travail, à la famille ou aux loisirs. Il n’est pas structuré (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources) et n’est généralement pas validé par un titre. L’apprentissage informel peut avoir un caractère intentionnel, mais dans la plupart des cas il est non intentionnel (fortuit ou aléatoire).
• L’apprentissage intergénérationel est un apprentissage qui s’effectue par l’intermédiaire du transfert d’expériences, de connaissances ou de compétences, d’une génération à une autre.
• L’apprentissage non formel est un apprentissage qui n’est pas dispensé par un établissement d’enseignement ou de formation. Il est cependant structuré (en termes d’objectifs, de temps ou de ressources). L’apprentissage non formel est intentionnel de la part de l’apprenant.
Dans le cadre de l’éducation et la formation tout au long de la vie, embrassant tous les aspects de la vie, une société fondée sur la connaissance considère l’orientation comme "La palette d’activités dont le but est d’aider les individus à prendre des décisions concernant leur vie (au niveau de l’éducation ainsi qu’aux niveaux professionnel et personnel) et les mettre en oeuvre". La reconnaissance de la pluralité des savoirs et des voies d’accès à ces savoirs nous obligent à penser la complémentarité éducative et à intégrer les enjeux du développement éducatif territorial [« territoire apprenant»).
On le voit, « Apprendre tout au long de la vie» est une préoccupation internationale, avec un enjeu social et économique important, portée par l’UNESCO, (Commission Delors et Déclaration de la cinquième conférence internationale sur l’éducation des adultes : Hambourg, 1997, et Bangkok, 2003); l’OIT (Organisation internationale du travail), l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économique) et des pays comme la Grande-Bretagne, la France, les États-Unis et le Canada. Les politiques gouvernementales d’éducation et de formation continue suivent quatre orientations: assurer une formation de base à tous les adultes ; maintenir et rehausser sans cesse le niveau des compétences des adultes par une formation liée à l’emploi ; valoriser les acquis et les compétences par une reconnaissance officielle; lever les obstacles à l’accessibilité et à la persévérance en renforçant les services d’accueil, d’orientation, de conseil et d’accompagnement.
Comment traiter l’inconfort du flou, du fluide, du volatil, de l’hétérogène et de l’incertain ?
A. Giordan, 1998, souligne qu’apprendre n’est pas la seule affaire des individus. C’est un défi pour nos sociétés forcées d’innover, de devenir apprenantes. Apprendre est une dynamique sociale qui implique le changement des repères et la capacité de mobiliser une ressource vitale dans la soif d’apprendre. Nous quittons avec le XX’siècle, l’univers de la formation pour ouvrir une page blanche et envisager « l’autre hypothèse : l’apprenance » qui engage un nouveau rapport au savoir, P. Carré, 2005. L’hypothèse de l’apprenance s’appuie sur les figures de la modernité : société de l’information, économie de la connaissance, capitalisme cognitif (le travailleur du savoir), etc. Un renversement de perspectives s’effectue par rapport aux paradigmes de la « société éducative» de 1 Dumazedier et de la « société pédagogique» de J. Beillerot. En une trentaine d’années, nous sommes passés de la « formation professionnelle continue dans le cadre de l’éducation permanente» aux résolutions relatives à « l’apprentissage professionnel tout au long de la vie». Quel est le sens de ce glissement du droit à la formation au devoir de compétence ? L’entrée dans la société apprenante est une invite (une injonction ?) de transformation du rapport au savoir des apprenants grâce aux nouvelles modalités de formation. Le développement d’une culture de l’apprenance associant la motivation et l’autoformation (écologie de l’apprenance), par la démultiplication des moyens d’apprendre, nous préservera-t-il du risque de voir s’aggraver la fracture sociale et numérique ?
Les systèmes apprenants ou concevants qui sont au fondement de la complexité en formation, sont constitués par les trois qualités essentielles des systèmes vivants : la singularité, l’imprévisibilité et l’aléatoire, J. Génet, 2005. Les apprentissages formels, informels, non formels (invisibles, buissonniers voire contrebandlers) constituent une trilogie instituée au début des années 2000, par la commission Éducation et Formation de l’Union Européenne. Selon P. Carré, 2006, « L’apprenance décrit un ensemble de dispositions (cognitives, affectives et conatives) favorables à l’acte d’apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite».
Sur le plan affectif, « elle indique que l’idée d’apprendre sera a priori vécue sur un mode positif, en tant que source possible de plaisir, d’émotions, d’affects, de sentiments agréables». Sur le plan cognitif, «l’apprenance suppose que les représentations de l’acte d’apprendre émises par le sujet seront propices au déploiement de modes efficaces de traitement de l’information (attention, concentration, stratégies cognitives, métacognition … ). Sur le plan conatif, «l’idée d’apprenance véhicule celle d’un rapport intentionnel, proactif, au fait d’apprendre … Le terme … traduit le choix et les orientations des conduites. Cest le registre par excellence du projet, de la motivation, l’engagement dans l’action». Le concept d’apprenance précise un ensemble stable de dispositions de l’adulte dans le rapport au savoir, que l’on distingue de l’apprentissage des élèves relevant de l’enseignement scolaire, (Comité mondial pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, 2006).
Que serions-nous sans jamais avoir appris ? La thématique du «sujet apprenant» croise les apports de la psychologie cognitive et les héritages de l’Éducation nouvelle, des pédagogies de l’activité et les influences contradictoires de l’inspiration autogestionnaire et de la pensée libérale. Reste posée cette question formulée par C. Freinet qui va faire naître une pédagogie populaire : « Comment susciter le désir d’apprendre ?». F.de Closets, 1997, parle. du «bonheur d’apprendre» qui est aussi la liberté d’apprendre. G. Snyders, 2008, n’en finit pas de nous communiquer "qu’apprendre soit une joie". On le sait, pour qu’un enfant « apprenne», il faut qu’il en ait le désir, or rien ni personne ne peut obliger quelqu’un à désirer. On ne peut séparer les disciplines du plaisir d’apprendre. l-P. Astolfi, 2008, évoque "la saveur des savoirs", la posture apprenante peut se définir comme une disponibilité non devant le savoir susceptible d’être engrangé (encyclopédisme), mais devant l’apprentissage et sa dimension intimement impliquante.
On apprend toujours seul, même si on ne peut jamais le faire sans les autres. Empruntant à P. Carré, 2005, sa définition de l’apprenance, J. Heutte, 2011, définit une « communauté d’apprenance» comme étant une « communauté favorisant l’émergence, la croissance et/ou le maintien d’un ensemble stable de dispositions affectives, cognitives et conatives, favorables à l’acte d’apprendre, dans toutes les situations formelles ou informelles, de façon expérientielle ou didactique, autodirigée ou non, intentionnelle ou fortuite ». L’étude des communautés d’apprenance participe à une meilleure compréhension du déploiement de
l’écologie de l’apprenance. L’expérience des Learning Center: dans le monde (Tower Hamlets (Londres) : « Idea Stores» ; Bibliothèque augmentée et Archives nationales du Québec, etc.) permet de concevoir des parcours d’apprenance empruntant à des logiques d’autoformation. L’enfant construit ses savoirs de base à l’école, le jeune adulte continue d’apprendre pour "entrer dans le métier" ou pour s’insérer socialement, l’adulte évolue, s’adapte, acquiert des savoirs pluriels au gré des changements auxquels il doit faire face. Au fil de ce parcours, un ensemble de professionnels accompagne les sujets, confrontés à des situations d’apprentissage, d’adaptation, de transition et de rupture, bref à un processus d’orientation qui peut concerner leur vie scolaire, sociale, professionnelle ou familiale. Ces professionnels évoluent dans des organisations et institutions des champs de l’éducation, de la formation, du travail social et médico-social, du conseil en orientation et de l’insertion professionnelle qui connaissent actuellement un ensemble de transformations majeures dans le cadre de la société des savoirs et de la révolution numérique.
Tous ces métiers évoqués concernent les métiers de l’interaction humaine, et plus précisément de la relation d’aide et de l’accompagnement, définie comme posture professionnelle spécifique, M. Paul, 2011.
Peut-on se satisfaire de l’idée qu’apprendre c’est bien, mais que comprendre et agir c’est mieux ? Il est de plus en plus courant aujourd’hui, de désigner par le terme «d’apprenant» tout sujet engagé dans une situation d’apprentissage, que celle-ci vise l’acquisition d’un savoir, d’un savoir-faire ou d’un savoir-être et ce, quel que soit l’âge de celui qui apprend. S’orienter dans l’existence, c’est savoir que l’on ignore toujours beaucoup plus qu’on se sait, quelle que soit l’envergure de ce que l’on n’aura appris de la vie et dans sa vie. Notre travail de recherche peut être vu comme un Dictionnaire pour apprenants, au sens introduit dans Lenouveau Petit Robert, 2010. On peut tout apprendre, même à vivre et à s’orienter dans l’existence, et pratiquer les échanges de savoirs et d’expériences (forums de discussion, réseaux sociaux, etc.). C’est toute l’action de D. Ferré, par exemple, au sein de l’association « Apprendre et S’orienter », Montpellier (2009-2011) pour donner sens à l’idée d’orientation active et éducative. Il n’y a pas de projet orientant sans apprenance et vice et versa : « On s’oriente en apprenant et on apprend en s’orientant tout au long de la vie ». Certains redécouvrent le plaisir d’apprendre en changeant d’orientation, ou en s’initiant à l’informatique en autodidacte. Pour s’orienter dans la vie en connaissance de cause, apprendre est indispensable, mais comprendre ouvre sur "l’infini possible des possibles", l’apprenance (est toute la vie et pour tous. Or selon le Regard sur l’éducation de l’OCDE, 2011, depuis l’année 1995, la France ne parvient plus à combler son retard en pourcentage de diplômés dans la population adulte. Seuls 55 % des 55-64 ans sont au moins diplômés du secondaire, contre plus de sept sur dix dans la moyenne des pays de l’OCDE.En France, le taux de scolarisation des 15-19 ans a baissé depuis quinze ans. On le voit, aux deux bouts de la chaîne éducative, la société française est en panne. Dès lors, « on peut comprendre nos problèmes en matière de croissance et de compétitivité ».
Les travaux de recherche en neuroplasticité cérébrale sont une grande promesse pour les perspectives de développement de l’apprenance (Association Franco-Israélienne pour la Recherche en Neuro sciences, AFIRNe, Université Hébraïque de Jérusalem, 2011).
La puissance d’un téléphone portable est supérieure à celle d’un ordinateur de la Nasa, qui en 1969, a permis à l’homme de poser un pas sur la lune. Il existe aujourd’hui un million de fois plus de publications scientifiques qu’il y a trois cent ans. Ces deux faits doivent nous interroger collectivement : comment apprendre et travailler ensemble pour que notre intelligence sociale nous permette de réaliser des choses que les générations précédentes ne pouvaient pas imaginer ? A l’ère numérique, il nous faut donc réinventer d’autres manières d’apprendre, tout en sachant que tout n’est pas dans la technique, mais dans la prise en compte de la dimension affective et relationnelle des apprentissages.
~ Acquis ; Apprentissage ; Constructivisme ; Formation tout au long de la vie ; Rapport au savoir ; Utopie…
Orientation bibliographique
• Carré, P. (2005). L’apprenanoe-Vers un nouveau rapport au savoir. Paris: Dunod.
• Kant, E. (1981). Traitéde pédagogie. Paris : Hachette.
• Snyders, G. (1991). Desélèves heureux. Issy-Ies-Moulineaux : Les E.A.P.