In Enseigner au XXIème Siècle – le 1er mars 2014 :
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En janvier dernier, le SNPDEN (syndicat de chefs d’établissements de l’UNSA) de l’académie de Créteil m’avait invité à exposer ce que pourrait être, selon moi, le collège de 2025, à côté d’autres intervenants imaginant l’équivalent pour le lycée. Un exercice bien stimulant, et qui pourrait être repris en formation d’enseignants.
Avant de commencer, j’ai essayé d’accomplir l’équivalent dans le passé : qu’en est-il du collège d’aujourd’hui si on le compare aux promesses possibles de la fin du XX° siècle, puisque cela correspond à peu près au même laps de temps ? Au temps par exemple (il y a une quinzaine d’années) où François Dubet rendait son rapport à la ministre Ségolène Royal, où de nouvelles tentatives d’interdisciplinarité, d’évaluation différente (en insistant sur le positif et les conseils plus que sur les constats) ou d’implication plus grande des enseignants dans la « vie scolaire » (heures de vie de classe, etc.). N’a-t-on pas plutôt régressé en matière de programmes, de sélectivité des élèves (montée du nombre d’élèves en difficulté) et de formation continue (qui s’est effondrée) ?
L’idéal serait de se livrer à un tel exercice régulièrement et d’examiner ce qui a été plutôt bien prévu (craint, ou espéré) et en revanche, les grosses erreurs de prospective. Cela permettrait de remettre à leur place trop de prophètes du futur péremptoires dans leur optimisme ou leur pessimisme (ce sont les plus nombreux dans ce cas-là). Il est vrai qu’on touche là souvent le fonds de commerce des « déclinistes », pour qui le niveau baisse depuis toujours et a déjà « atteint celui de l’an prochain » (pour reprendre une expression de Lubitsch dans un contexte différent).
En décrivant ce que je vois dans mon boule de cristal du collège de 2025, il est vrai, je ne cherche pas vraiment à être totalement lucide, à n’espérer au mieux qu’un gris clair davantage probable que des couleurs plus brillantes. Je participe consciemment à l’espoir d’une prophétie auto-réalisatrice, puisque l’avenir dépend de notre action, en partie certes, mais aucune loi d’airain ne peut nous en décourager. J’ai envie d’utiliser l’oxymore d’ « utopie raisonnable », d’autant que la proximité relative dans le temps nous éloigne des visions apocalyptiques ou édeniques possibles avec une école dans un siècle (y aura-t-il alors encore un « collège » ?). Lors de ce même colloque, Philippe Tournier, secrétaire général du syndicat, dressa, pour sa part et de façon brillante, mais grinçante, un constat du système éducatif en 2025 beaucoup plus sombre et à vrai dire à la dérive, tout en proposant par ailleurs des pistes pour que se mette enfin en œuvre sa refonte ou refondation, pour éviter la chronique d’une stagnation annoncée.
Je voudrais ici juste présenter quelques points que j’ai développés à cette occasion, en me centrant sur ce qui concerne davantage l’évolution du métier d’enseignant. Et en osant le futur, aussi improbable pourrait-il apparaitre, en sachant que tout futur qui se respecte est un conditionnel…
En 2025, Les professeurs accompagneront les élèves dans leur parcours personnalisé, puisque ce sont eux qui « font » les programmes et non leurs enseignants. L’idée de « curriculum » se sera peu à peu imposée. Le socle commun de compétences, vaille que vaille, aura fait son chemin. Le professeur évaluera davantage les réussites que les lacunes, dans un système où le poids des notes aura bien diminué (on ne recommande pas son usage avant la deuxième année de collège au plus tôt). Tout cela au profit d’une véritable évaluation des compétences construites progressivement.
Les professeurs, grâce à une montée en puissance de la formation continue à la fin des années 10, sauront davantage gérer l’hétérogénéité des classes, grâce aussi à la souplesse dans l’application de normes nationales souvent« hypocrites », car infaisables. L’objectif étant bien de faire progresser chacun, l’enseignement sera à la fois plus personnalisé, mais aussi coopératif, puisque les talents de chacun se conjugueront dans des travaux de groupes, dans un tutorat entre plus forts et plus faibles. Loin de la liberté pédagogique de faire n’importe quoi, il s’agira de la responsabilisation d’équipes, valorisée par une inspection qui désormais jouera un rôle de conseiller, avec un poids hiérarchique diminué, mais une autorité pédagogique réelle renforcée du fait même d’une autre conception du contrôle (lire à ce sujet le livre récent de Olivier Maulini et Monica Gather Thurler : « enseigner : un métier sous contrôle ? » )
L’enseignant de collège sera toujours bien sûr un transmetteur de connaissances, que les « défenseurs des savoirs » se rassurent ( !), mais on aura bien compris que la transmission implique l’accompagnement, le travail effectif sur les méthodes et bien sûr la mise en place de facteurs favorables à l’acte d’apprendre : confiance, gestion des émotions, mobilisation intellectuelle en faveur de la persévérance…Les ouvrages anti-pédagogiques (ou soi-disant anti-pédagogistes) ne se vendront même plus sur les sites de vente en ligne, ils auront épuisé leur venin et n’intéresseront plus grand monde.
Ajoutons aussi ce rôle de « passeur culturel » -auquel je tiens tant que jouera l’enseignant. Plus que jamais on valorisera les projets créatifs, les sorties culturelles, le travail en partenariat avec des artistes, mais tout cela nécessairement dans un cadre rigoureux. Une des conditions en est, on le sait, la capacité des enseignants à ne pas se perdre dans l’activisme, à savoir travailler avec l’extérieur et à bien saisir le rôle spécifique de l’école et du travail sur les apprentissages à travers un projet. Ce sera un des axes forts de la formation continue, car travailler en partenariat, cela s’apprend !
Terminons, pour ne pas rallonger à l’excès ce billet sur deux éléments essentiels :
– la place du numérique bien sûr, avec la mise en évidence du rôle capital de l’enseignant dans l’apprendre à chercher et à gérer ce qu’on a trouvé et dans la formation à l’esprit critique
– l’organisation du travail des professeurs. Le statut aura enfin évolué. Il sera loin le temps où le triste collectif d’extrême-droite Racine, dont nous avons déjà parlé ici dans un précédent billet, vantait pour l’éternité le « statut de 1950 » et où le syndicat majoritaire freinait au maximum toute évolution vers un service annualisé prenant en compte les nombreuses tâches de l’enseignant du XXI° siècle. construire, réaliser et évaluer des projets, travailler en équipe, accompagner des élèves, travailler avec les parents…
I have a dream? Peut-être. Pourtant, ces quelques idées ne sont pas si révolutionnaires que cela, ells sont peu coûteuses sans doute et redonneraient certainement du dynamisme et du sens à notre collège qui va si mal. Mais les forces qui s’opposent à ces évolutions restent si fortes, et malheureusement, influencent des acteurs qui auraient tout à y gagner finalement que cela reste encore certainement un petit espoir qui « brille comme un brin de paille. »