L’approche de la scolarisation à deux ans à travers la problématique du [*rapport au savoir*] inaugure la perspective d’appréhender des logiques d’ordre anthropologique, didactique et psychanalytique. De telles logiques diffèrent de celles que suppose l’école qui tend à considérer l’envie d’apprendre comme relevant davantage de la sphère de la normalité, que du sujet ou du registre psychique. Autrement dit, l’éducation nationale a tendance à essentialiser le rapport au savoir des élèves, en pensant l’envie d’étudier comme une caractéristique normale ou naturelle, voire comme une évidence, et non comme le produit de l’éducation d’un sujet singulier (Warren, 2008b). Fondamentalement, le concept de rapport au savoir propose une autre façon d’aborder la question des [*inégalités scolaires*]. La problématique du rapport au savoir prend en compte les logiques des élèves, afin de comprendre le sens et la valeur qu’ils attribuent à « l’apprendre » et à l’école. Cette problématique peut être formulée de la manière suivante : les élèves sont des êtres humains, désireux ou non d’apprendre. S’ils sont désireux d’apprendre, « tant mieux », mais reste à comprendre pourquoi, car ce désir peut être fragile et, en outre, il nous renseigne sur les voies d’accès psychologiques au savoir. S’ils ne sont pas désireux d’apprendre, l’enjeu pédagogique est alors d’identifier les freins, mais aussi les concurrences avec d’autres formes de vie ou d’autres modes et contextes d’apprentissage, c’est-à-dire les logiques à l’origine de cette absence de désir (absence qui renvoie au champ psychologique), afin de tenter d’entrer dans leur mode de pensée, de comprendre le sens qu’ils confèrent à « l’apprendre » et, enfin, de les inciter à se mobiliser, en faisant naître ou se transformer du désir, c’est-à-dire, aussi, du plaisir (Warren, 2008b). Si l’on raisonne en termes de métier d’élève (position d’écolier ou posture d’écolier seraient sans doute des expressions plus appropriées) ou de rapport à l’école, on peut conjecturer que plus un enfant entre tôt à l’école, et mieux il est en mesure de comprendre ce qu’est l’école, et ce que c’est qu’être élève. Du point de vue du métier d’élève, entendu comme position sociale et disposition psychique d’un enfant impliqué dans des rapports à l’école et au savoir, l’enfant scolarisé à deux ans accède plus jeune à la pratique de ce métier, d’autant que, selon P. Perrenoud (1994), le métier d’élève est un métier du savoir. Du point de vue de la construction du sens de son expérience scolaire, le jeune enfant, immergé pendant un [*espace-temps institutionnel*] donné, dans une dynamique de formation éducative où il devient progressivement élève avec un statut de sujet et d’acteur social, entre dans une logique de lecture et d’interprétation de la réalité socioscolaire. « Quel sens l’enfant attribue-t-il au fait d’aller à l’école et d’y apprendre des choses, quel sens donne-t-il à ce qu’on y apprend et aux façons d’apprendre ? » (Charlot, Bautier & Rochex, 2000). Du point de vue du rapport à l’école, entendu comme un ensemble organisé de relations qu’un sujet entretient avec l’école et ce qui la symbolise, l’enfant scolarisé à deux ans aurait plus de temps pour se forger une intelligibilité de la spécificité de l’école, avant d’accéder au CP. Il découvre l’univers de la maternelle, et pour en profiter culturellement et y vivre, il est appelé à entrer dans les logiques symboliques spécifiques de l’école. Dès lors, on peut penser que si un jeune écolier a eu plus de temps pour intégrer ces logiques avant d’arriver au CP, alors il court moins le risque d’échouer. En somme, par le biais de la scolarisation à deux ans, il s’agit in fine de permettre à l’enfant de [*développer des rapports positifs et expérientiels au savoir*] – « comme sens et plaisir » (Charlot, 1997a) et « comme instrument pour se comprendre soi-même » (Charlot, 2007) –, à l’école, au métier d’élève, à la normativité des activités, à ses pairs et au maître. L’école à deux ans permet d’engager un processus d’acculturation de l’enfant aux valeurs et aux codes de l’univers scolaire, aux normes et aux modes de comportement sociaux d’un groupe de pairs, ainsi qu’aux adultes et à leur volonté de « transmission de modèles et d’idéaux par l’éducation » (Charlot, 1976). Elle permet enfin à l’enfant de s’inscrire dans un processus de (trans)formation identitaire : il passe d’une situation familiale et d’un statut social initiaux à une situation et à un statut socioscolaires. Les enjeux de la scolarisation à deux ans résident dans une logique de [*continuation de la construction par l’enfant d’un rapport au savoir*], à travers l’école. Ils ne se limitent pas à la perspective d’une réalisation ultérieure de performances, d’une accumulation des contenus intellectuels attendus, ou encore d’une acquisition optimale des capacités et compétences visées, jaugées par des évaluations nationales diagnostiques à un moment donné de l’histoire et de la position scolaires de l’enfant. La scolarisation à deux ans procède d’une logique d’inscription précoce des jeunes enfants dans un processus les conduisant à entrer dans des logiques scolaires, intellectuelles ou culturelles. Celles-ci concourent à leur faire adopter une éducation qui participe à la dynamique de construction de leur rapport au savoir. Comme première expérience scolaire, l’école à deux ans offre la possibilité aux tout-petits d’entrer plus tôt dans l’ordre des rapports au savoir, au temps, à l’école et au métier d’élève. Elle peut être pensée comme processus socioscolaire de prévention des inégalités, dont la fonction est de permettre aux enfants originaires de milieux populaires, urbains ou ruraux, de nouer un rapport précoce (avant l’entrée au CP) aux enjeux, aux valeurs, à la normativité des activités, ainsi qu’aux codes institutionnels et systèmes symboliques de l’école (Warren, 2008b).
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