In Coop’ICEM – le 18 mai 2013 :
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Lorsque j’ai été invitée par ATD Quart Monde à la présentation du livre Tous peuvent réussir – Partir des élèves dont on n’attend rien, on m’a demandé de réfléchir à l’engagement éthique et pédagogique des enseignants.
Lorsqu’on choisit d’être enseignant, la formation lorsqu’il y en a, ne propose aucun temps pour réfléchir au pourquoi de son choix.
Très vite, en sortant de formation on se retrouve dans une situation surréaliste : devant soi une petite trentaine d’enfants tous différents, avec des histoires singulières, des parcours originaux. Les points communs ? Le même âge, le même quartier ou village et avec comme seuls bagages le programme, les référentiels et didactiques dans les différentes disciplines et peut-être un peu de connaissances sur le développement de l’enfant et quelques lectures sur l’éducation. On applique ce qu’on nous demande : préparation de séances pédagogiques avec tous les objectifs, les évaluations…
Très vite aussi, on s’aperçoit que tout ce qu’on a préparé, organisé ne fonctionnent bien que pour quelques-uns. Les autres suivent, mais irrégulièrement, difficilement et pour certains, c’est l’inaccessible et l’abandon.
Se pose alors la question : mais pourquoi ?
Est-ce que je suis au service du programme et de ses évaluations ou suis-je là pour accompagner, aider, accueillir chaque enfant pour qu’il puisse grandir, se construire en vue de devenir un homme ou une femme libre, responsable, et en capacité de comprendre le monde et d’agir sur lui pour l’améliorer.
Et puis assez vite aussi on s’aperçoit que les enfants qui suivent plus lentement ou plus difficilement sont issus des mêmes couches sociales, des mêmes quartiers…
Après cette première prise de conscience, l’enseignant peut continuer à reproduire et à perpétuer ce système en conservant la même pédagogie, celle qui lui a réussi comme élève, celle qu’il a reçue en formation. Quelques pansements pour l’enfant en difficulté avec l’aide personnalisée, des exercices supplémentaires… ; quelques prescriptions pour le rééducateur, l’orthophoniste… ; quelques recommandations, redoublements, orientations…
Après cette première prise de conscience, l’enseignant peut décider de faire autrement, de choisir une pédagogie qui prend en compte chaque enfant et qui a pour chacun et tous la même ambition.
Une pédagogie de l’hétérogénéité et de la diversité qui, au lieu de gommer les différences, s’appuie sur elles.
Une pédagogie attentive qui met en valeur ce qu’il y a de singulier dans chaque enfant, et qui grâce au jeu des interactions entre eux permet à chacun de révéler ses propres compétences sans les hiérarchiser.
Personnellement, j’ai choisi la pédagogie Freinet, car elle favorise et se nourrit de cette hétérogénéité, de cette diversité en donnant une large place à tout ce qui tourne autour de la coopération, de l’expression libre, du tâtonnement expérimental. Ainsi, la confrontation des points de vue, indispensable pour la construction des savoirs se fera en favorisant l’expression de toutes les idées, au lieu de les rejeter.
Dès le début du 20e siècle les pédagogues de l’éducation nouvelle constataient que le système éducatif ne fonctionnait pas. En ce début de 21e siècle, il ne fonctionne toujours pas : efficace pour les bons élèves bien adaptés à lui, très moyen pour la grande majorité et carrément inefficace pour 20 % d’entre eux.
Les réformes successives ont intégré quelques-uns des principes portés par les courants pédagogiques de l’éducation nouvelle dans les programmes, dans les lois d’orientation… Dans telle classe on verra les enfants travailler sur des projets, tenir compte de leurs intérêts, on verra des enfants en activités, des enfants en débat, des enfants travailler en groupes, sortir pour faire des enquêtes, utiliser des fichiers de travail individuel, être confrontés à des situations problèmes, etc. Mais le plus souvent ces principes seront réduits à des techniques isolées hors d’un système et d’une cohérence pédagogique globale.
Chaque choix didactique, pédagogique, technique devrait répondre à ce questionnement : « Pourquoi ? ».
Par exemple, pourquoi utiliser des fichiers de travail individuel ?
– pour les occuper lorsqu’ils ont fini un travail
– pour apprendre à travailler en autonomie
– pour consolider une notion
– pour découvrir une notion
– etc.
Selon la réponse, on s’engagera sur un chemin pédagogique, qui évoluera de nouveau lorsqu’on se reposera la question quelque temps après…
Être un praticien réflexif ne s’improvise pas, c’est dès la formation qu’on doit apprendre à l’être. Ce qui permettra tout au long de sa carrière d’être praticien-chercheur, praticien-inventeur, praticien-auteur. Ce n’est pas ce qui se dessine dans les futurs ESPÉ (École supérieure du professorat et de l’éducation).
Cette réflexion est indispensable pour que chaque enseignant ait un engagement éthique et pédagogique, mais ce n’est pas suffisant.
C’est tout le système éducatif qui doit avoir cet engagement éthique et pédagogique, la loi d’orientation pour une refondation de l’école n’a pas cette ambition. Elle juxtapose des mesures, propose des « comment », mais ne creuse pas suffisamment les « Pourquoi ? »
C’est aussi toute la classe politique qui devrait avoir cet engagement éthique !
En attendant, il y a les mouvements pédagogiques, l’éducation populaire qui offrent des temps et des espaces de réflexion !
Ne baissons pas les bras, il y a du travail !
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