Nous pouvons rester un long moment interloqués par l’étude d’Emmanuel Vigneron sur les risques de mortalité du nord au sud de la ligne du RER B, laquelle démontre qu' »en moins d’un quart d’heure de trajet, le risque de mourir une année donnée augmente de 82% entre les arrondissements les plus aisés de Paris et le quartier du Stade de France ». Les explications de ces écarts sont multiples.
On relèvera toutefois ici un élément essentiel: ces inégalités face à la mort ne sont pas liées à la seule problématique de l’offre de soin. Les sources sont plus profondes, elles dépassent très largement la perception classique, curative, de la santé et imposent d’ouvrir le sujet.
Aujourd’hui, entendre la santé dans un sens plus large, c’est l’envisager dans sa définition telle qu’elle est portée par l’Organisation Mondiale de la Santé. La santé est alors « un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Dès lors, les impératifs qui lui sont liés dépassent l’unique question du soin et de son offre et concernent les enjeux de prévention et de promotion attachés à des facteurs multiples et transversaux à la santé.
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Une expérience concrète pourrait symboliser cet état de fait: en vous adressant à un habitant de zone urbaine ou périurbaine et en l’interrogeant sur ce qui lui semble être les priorités de santé en France, la probabilité de faire face à des réponses telles que « le cancer, le sida, la drogue, l’alcoolisme » est à prévoir. En revanche, si vous le questionnez personnellement sur le même sujet et dans un cadre de proximité, les liens avec les difficultés de transport, l’absence d’espace vert, l’urbanisme ou bien encore la pollution sonore et de l’air, seront davantage soulignés.
Cet exercice témoignerait de la place de la santé et de la notion de bien-être des individus directement placés dans leurs conditions de vie quotidienne et dans leur environnement. Elles sont dès lors à questionner en mobilisant les déterminants sociaux de la santé, c’est-à-dire « les circonstances dans lesquelles les individus naissent, grandissent, vivent, travaillent et vieillissent » (selon l’OMS). Ces déterminants sont multiples et concernent aussi bien les questions du mode de vie et de la structure sociale (comportement de vie, cohésion sociale et citoyenneté) que le cadre de vie (habitat, aménagement urbain, sécurité) et l’environnement (déchet, nuisance sonore, pollution de l’air).
En conséquence, ces déterminants sociaux de santé ne sont pas exclusivement liés à la seule caractéristique sociale de l’individu : son lieu de vie, quartier urbain ou périurbain, joue un rôle essentiel dans les inégalités de santé. En prenant garde cependant de ne pas limiter les inégalités en fonction du lieu où elles se manifestent, agir sur les déterminants de la santé, c’est donc aussi agir sur une échelle de proximité : autour du quartier, dans le quartier et avec le quartier pour chercher à réduire les écarts et retrouver du lien sur et entre les territoires.
Penser la santé en atelier dans le quartier pour lutter contre les inégalités
Si nous accordons à ces inégalités sociales et territoriales de santé le fait d’être avant tout le résultat d’un construit social largement alimenté par la représentation que nous avons des individus, de leur place dans la société et de leur situation sur un territoire, alors ce constat ouvre la possibilité d’action pour les modifier notamment par les leviers de la promotion et la prévention.
À ce sujet, et depuis une quinzaine d’années, nous assistons à l’émergence de démarches collectives et partenariales qui s’appuient sur les compétences transversales du champs élargi de la santé : du sanitaire, du social, de l’éducation, de l’insertion, du culturel, de l’urbanisme ou encore de l’emploi ; et qui associent tous les acteurs aussi bien des services municipaux, des institutions nationales ou locales, les acteurs du service public ou privé, les associations, les élus et surtout les habitants.
C’est le cas, en particulier, de la démarche des Ateliers Santé Ville (ASV). Mise en place par le Comité interministériel de la Ville en 1999, elle s’inscrit dans la loi relative à la lutte contre les exclusions et trouve sa force dans l’articulation de la Politique de la ville et des politiques de santé. À partir des besoins locaux identifiés, ces Ateliers, véritables leviers de développement des initiatives de proximité -au plus près et avec les habitants des quartiers désignés « prioritaires » par la Politique de la ville- ont pour objectif d’améliorer la santé de la population en pensant les actions sur des thèmes transversaux comme l’articulation « santé/emploi », « santé/logement », ou encore « santé/mobilité ».
La démarche est aujourd’hui un véritable point d’entrée dans les quartiers pour lutter contre les inégalités sociales et territoriales de santé. Derrière elle, c’est toute une dynamique qui est mise en place favorisant la transversalité des compétences, associant acteurs professionnels et élus, tout en construisant du lien entre enjeux de santé et habitants. Elle propose une vision du quartier non plus comme zone « à la marge » mais comme un territoire dynamique en santé.
Grégory Loison est l’un des intervenants aux journées de débats citoyens « En finir avec les nouvelles relégations territoriales » qui se tiennent les 17 et 18 décembre 2014, au Palais du Luxembourg, Paris VIe, dans le cadre de l’édition 2014 du Pari(s) du Vivre-Ensemble, événement dont Le Huffington Post est partenaire. Pour découvrir le programme complet, les renseignements pratiques, et pour s’inscrire, cliquer ici.