In Les Echos – le 29 août 2014 :
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Mise en avant pour justifier la modification des rythmes scolaires, la chronobiologie confirme l’intérêt de privilégier les matinées. Mais tous ces constats ne vont pas dans le sens de la réforme.
Ce sera sûrement mardi, à l’heure de la sortie des classes, l’un des sujets les plus commentés aux portes des écoles. Avec ses quatre après-midi écourtés de trois quarts d’heure chacun et sa cinquième matinée de travail, la nouvelle organisation de la semaine de classe instituée par la réforme des rythmes scolaires de 2013, et désormais applicable à tout le territoire, est-elle oui ou non plus adaptée aux enfants que ne l’était la précédente ?
Libre à chacun de se faire son avis, en s’appuyant sur ce qu’il constate auprès de sa progéniture. Mais, au-delà de ces témoignages individuels, il existe une discipline scientifique dont l’un des principaux objets d’étude est précisément de déterminer comment les facultés d’apprentissage fluctuent selon les heures de la journée ou les mois de l’année. Cette discipline est la « chronopsychologie », terme apparu en 1980 sous la plume du père de la psychologie expérimentale française, Paul Fraisse. Problème : les chronopsychologues eux-mêmes ne sont pas toujours d’accord entre eux ! « La chronopsychologie est une discipline encore récente », plaide l’un de ses représentants les plus en vue, François Testu, dont la « courbe de vigilance » journalière a directement inspiré la réforme de 2013.
Retard de phase physiologique
La chronopsychologie est une extension d’un champ de recherches plus ancien, et aujourd’hui assez bien balisé : la chronobiologie. Depuis le symposium fondateur de Cold Spring Harbor en 1960 (lire ci-contre), la chronobiologie a pris son envol et présente aujourd’hui une base solide de résultats. C’est ainsi que les chronobiologistes ont pu mettre en évidence l’existence chez les mammifères – dont l’homme – d’une horloge centrale localisée dans l’hypothalamus et se réglant sur l’alternance jour-nuit. A son tour, celle-ci contrôle, directement ou par le biais d’horloges secondaires synchronisées sur elle, les oscillations journalières de divers processus biologiques, dont les plus importants sont la température corporelle, la sécrétion de cortisol et celle de mélatonine (lire ci-contre).
Ce délicat mécanisme d’horlogerie ne fonctionne pas tout à fait de la même manière à trois ans qu’à quinze ou vingt-cinq. Ainsi n’est-ce pas uniquement pour faire enrager leurs parents que tant d’adolescents, qui lorsqu’ils étaient enfants bondissaient du lit dès potron-minet, éprouvent soudain les pires difficultés à émerger de leur torpeur matinale. A la puberté, se produit en effet un retard de phase physiologique qui décale toutes les horloges biologiques de 1 heure à 1 heure 30 : on se réveille plus tard, on s’endort plus tard, on a faim plus tard… Chercheur en chronobiologie et professeur émérite de psychologie de l’éducation, Claire Leconte en tire un premier enseignement : « Il faut absolument retarder l’heure d’arrivée au collège et au lycée. »
Tout commence avec l’alternance jour-nuit, que les chronobiologistes appellent « rythme nycthéméral ». Ce rythme agit comme synchroniseur sur notre horloge biologique interne localisée dans l’hypothalamus, au niveau des noyaux suprachiasmatiques situés juste derrière nos rétines. En l’absence de synchroniseur externe, cette horloge biologique fonctionne « en libre cours », acquérant une petite avance ou un petit retard sur le rythme de 24 heures (d’où l’expression de « rythme circadien », du latin « circa diem », environ un jour). De nombreuses autres horloges, contrôlant la température centrale ou la synthèse d’hormones et d’enzymes, sont sous la dépendance de cette horloge principale. C’est ainsi que la température corporelle fluctue selon un rythme régulier de 24 heures : au plus bas vers 4 h 30 du matin, elle remonte jusque vers 19 heures puis repart à la baisse. Deux hormones intéressent plus particulièrement les chronobiologistes. L’une est le cortisol, dont a besoin notre organisme pour se mettre en marche : presque réduite à zéro à 2 heures du matin, sa sécrétion augmente ensuite pour atteindre son maximum entre 6 et 8 heures, juste avant l’éveil spontané (celui-ci étant probablement la résultante de celui-là). L’autre est la mélatonine, ou hormone du sommeil, dont la sécrétion commence le soir vers 21 heures et se poursuit toute la nuit pour s’arrêter lors du pic de cortisol. Tous ces rythmes biologiques ont une base anatomique et sont génétiquement programmés, à l’inverse de ceux qu’étudient les chronopsychologues.
La variation de luminosité, dont les cycles de 24 heures donnent le tempo à notre horloge circadienne, se fait aussi sentir à l’année. Le manque de luminosité caractéristique des mois d’hiver perturbe le mécanisme contrôlant nos sécrétions de cortisol et de mélatonine. « Ce n’est pas un hasard si les animaux hibernent, note encore Claire Leconte. C’est durant cette période que notre organisme est le plus fatigable et le plus fragile, et c’est pourtant à ce moment-là qu’on demande aux élèves de fournir le maximum d’efforts : le fameux “coup de collier du 2e trimestre” ! » La solution de la psychologue de l’éducation ? Rajouter une troisième semaine de congé à celles de Noël – « si peu reposantes ! » – quitte à en retirer une à celles de printemps.
A l’inverse des chronobiologistes, les chronopsychologues, qui se focalisent sur les fluctuations temporelles non plus de nos processus biologiques mais de nos activités psychologiques, n’ont jamais pu mettre en évidence l’existence d’horloges spécifiques. Ce qui laisse supposer que ces fluctuations psychologiques sont principalement déterminées par les rythmes biologiques.
Effet « week-end »
Les chronopsychologues qui s’intéressent à l’enfant étudient plus particulièrement les fluctuations de l’attention. C’est en faisant réaliser à des écoliers une même tâche cognitive simple à quatre moments de la journée que François Testu a construit sa courbe de vigilance. Grosso modo, celle-ci montre que l’attention des enfants augmente au fil de la matinée puis chute à l’heure du déjeuner (c’est le « creux méridien ») pour remonter ensuite légèrement dans l’après-midi, mais sans atteindre le pic de fin de matinée. En confirmant expérimentalement le constat empirique selon lequel les enfants sont plus réceptifs le matin que l’après-midi, cette courbe de vigilance justifierait le transfert d’un maximum de leçons (et notamment celles portant sur les matières dites « fondamentales ») des après-midi aux matinées. « Dès 2010, un rapport de l’Académie de médecine, un autre de la commission des Affaires culturelles de l’Assemblée nationale et la Conférence sur les rythmes scolaires lancée par Luc Chatel se sont penchés sur cette question. Tous ont conclu unanimement que le retour au régime des cinq matinées, aboli en 2008, était souhaitable », fait observer François Testu.
Toutefois, si la courbe de vigilance a été étudiée avec soin rue de Grenelle, il ne faut pas surestimer – son concepteur lui-même ne le fait pas – la valeur d’un tel outil. Ce profil général des capacités attentionnelles des enfants ne donne au mieux qu’une tendance. Au contraire des rythmicités biologiques, les fluctuations psychologiques en général et celles de l’attention en particulier sont très sensibles aux facteurs extérieurs. La motivation de l’enfant pour une tâche donnée, par exemple. « Combien de temps les enfants sont-ils capables de soutenir une attention maximale devant un jeu vidéo qui les passionne ? » feint de se demander Claire Leconte.
En outre, le profil général fourni par la courbe de vigilance vaut pour tous les jours de la semaine… sauf le lundi. Ce jour-là, l’effet « week-end », régulièrement pointé du doigt par les chronopsychologues, veut que l’attention soit généralement perturbée. « Le lundi est le miroir de ce que l’enfant a vécu durant le week-end », résume François Testu. Et plus le week-end a été long, plus cet effet perturbateur se fait sentir durablement, jusqu’à empiéter largement sur le mardi. C’est pourquoi tous les chronopsychologues sont à peu près d’accord pour dire que, dans l’intérêt des enfants, il vaut bien mieux les faire retourner à l’école le samedi plutôt que le mercredi matin. Mais cette recommandation-là n’a rencontré que peu d’échos : à peine 345 communes, soit 1,5 %, ont fait le choix du samedi matin.
Années 1930- années 1950 : Les travaux pionniers des biologistes allemand Erwin Bünning (sur les plants de haricots) et américain Colin Pittendrigh (sur la mouche drosophile) jettent les bases de la chronobiologie moderne.
1960 : Le symposium international de Cold Spring Harbor, aux Etats-Unis, consacre officiellement la naissance de cette nouvelle branche de la biologie axée sur l’étude des rythmes biologiques, tant dans les règnes végétal et animal que chez l’homme.
Années 1960 : Les expériences du biologiste allemand Jürgen Aschoff et du spéléologue français Michel Siffre, consistant à étudier le fonctionnement biologique d’un être humain enfermé sous terre sans repère temporel, démontrent que les hommes, comme les animaux, possèdent un système circadien endogène.
1971 : L’existence d’un premier « gène de l’horloge » est mise en évidence chez la mouche drosophile ; de nombreux autres ont été identifiés par la suite.
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