In Questions de classes – le 11 mai 2014 :
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Le non respect des rythmes chrono biologiques n’est qu’une partie d’un problème plus vaste : le malmenage scolaire.
Langevin et Wallon (1946), le Pr. Debré (1960), le Dr Vermeil (1979), Antoine Prost (1983) s’en sont déjà préoccupés.
X.Darcos (2008), à contre sens invente la semaine de 4 jours que L.Chatel envisage d’abroger suite au « Rapport d’orientation sur les rythmes scolaires » qui lui est rendu en 2011, mais il a fallu attendre 2013 pour qu’enfin l’institution traite le problème. Ou le maltraite : on négocie la journée de 5 heures, on concède un quart d’heure voire une demi heure supplémentaire sous la pression de controverses qui n’évitent ni l’outrance ni la démagogie.
Et ce n’est pas fini…Osera-t-on réduire les vacances d’été comme prévu ? Et les devoirs ? Tout le monde sait qu’ils allongent considérablement la journée scolaire, dès le CP. et qu’ils contribuent à creuser l’écart entre les enfants, à accroître les inégalités sociales. Les interdictions (1956) les directives pour que « le travail personnel » soit fait en classe sont ignorées avec la complicité de la hiérarchie.
En réalité, la journée de 6 heures n’est que très partiellement responsable de la fatigue (la paresse ?), du stress (la dissipation ?), de l’inattention (forcément coupable) qui sont le quotidien des enfants.
Malmenage, c’est aussi l’irrespect des besoins de l’enfant. Dans les cours d’écoles exiguës, qui sont plus un défouloir qu’un lieu de « récréation ». Au cours de la restauration scolaire et de la « pause méridienne ». Dans la classe, pour ses six ans, il est contraint de rester des heures durant assis et silencieux, ses journées sont aussi longues que celles des élèves de 11ans et ses récréations aussi courtes, alors qu’à à l’école maternelle il pouvait librement se déplacer, parler, se développer.
Malmenage quand certains enfants vont à l’école « la peur au ventre », ou sont atteints de « phobie scolaire » comme le constatent diverses enquêtes !
Malmenage quand l’enfant de six ans qui tarde en lecture est-il presqu’automatiquement envoyé chez l’orthophoniste. Tout le monde admet pourtant que les enfants apprennent à marcher, à parler, à des âges différents.
Malmenage par le redoublement inefficace et humiliant (la France « championne »).Pourquoi les cycles prévus pour les éviter, imaginés pour étaler les temps d’apprentissage, n’ont-ils connu qu’une caricature ?
Tous les parents ont l’occasion de faire tout ou partie de ces constats…
Dans les milieux mieux informés, on s’inquiète particulièrement des « performances » mesurées périodiquement par le PISA (programme international pour le suivi des acquisitions des élèves). Certes, nos enfants ne connaissent pas encore la situation effrayante des petits Coréens du Sud et des petits Japonais qui, soumis à l’obligation de performance, connaissent un taux de suicide inquiétant. Notre école républicaine se contente « d’aggraver l’inégalité sociale », certains s’en indignent mais négligent d’analyser les causes. Dans son livre, Establet impute ce fait (depuis longtemps évident) à « L’élitisme républicain » qui valorise la compétition, qui note et humilie, qui crée des situations affligeantes où le « bon élève » devient un « blaireau », un « intello » qu’on raille ou rejette.
Pour un nombre considérable d’enfants, l’école symbolise leur échec, le premier acte de leur exclusion sociale. Il arrive que certains d’entre eux y mettent le feu. Il existe sans doute un rapport entre ces faits.
Malmenage ? Le dénoncer n’est pas politiquement correct. Les enseignants qui osent en parler sont mal vus. Leurs syndicats, qui souvent n’en pensent pas moins, se taisent pour ne pas perdre leurs adhérents. Ils signent « l’Appel de Bobigny » puis s’empressent d’oublier quand il s’agit de passer à l’acte. L’institution n’aime pas qu’on la dénigre et elle continue d’évoquer sans rire « l’égalité des chances ». La majorité des parents reste attaché au rêve de « l’ascenseur social ». L’avenir professionnel de leurs enfants reste (légitimement) leur préoccupation première, ce qui les incite à taire leurs critiques, à admettre ce malmenage comme un mal inévitable…qui après tout prépare l’enfant aux cruelles réalités du monde adulte.
Ignorant le politiquement correct, des sociologues (Dubet, Duru-Bellat, Maurin), des scientifiques (Montagner), des journalistes ou écrivains (Hamon , De Closets) font des constats identiques, analysent leurs fondements politiques (Bourdieu, Passeron, Establet) en décrivent la gravité, et depuis des années, tirent la sonnette d’alarme dans l’indifférence institutionnelle… comme des partis « progressistes ». D’autres chercheurs dévoilent des phénomènes inquiétants, principalement au collège, jeu du foulard, harcèlements, discriminations graves dont souffrent à l’école de nombreux enfants à cause de leur sexe (féminin) de leur origine, de leur handicap, de leur orientation sexuelle…
Plus grave, ce fait qui devrait plus que tout révolter les éducateurs, les parents en premier lieu, le petit enfant entre à l’école avec une soif de savoir et une foule de questions, et peu à peu, sauf exceptions, cette soif disparaît et les questions s’évaporent, au point d’observer que massivement que « Les enfants s’ennuient à l’école » (M.D. Pierrelée), que quand ils travaillent « c’est pour la note », les écoliers attendent beaucoup du collège « 83% des collégiens se déclarent passionnés quand ils entrent en 6e, ils ne sont plus que 43% en 3e » (Dubet , Duru- Bellat). En conséquence, le nombre de décrocheurs s’amplifie d’une manière inquiétante et s’ajoute aux élèves en échec qui sortent humiliés de cette obligation scolaire sensée produire des citoyens éduqués…
Les parents, les enseignants, les travailleurs sociaux, les partis et syndicats « de gauche » savent que ce malmenage scolaire existe mais ne veulent pas le voir (la dissonance cognitive ne concerne pas seulement le réchauffement climatique !). Le dénoncer obligerait à examiner la part de responsabilité de chacun.
Reconnaissons toutefois que la volonté de respecter les rythmes chrono biologiques va dans le bon sens…et qu’elle comporte des effets pervers !
Les considérations scientifiques, en mettant l’accent sur les périodes privilégiées d’attention des enfants (le matin) renforcent la conception traditionnelle de l’école basée sur la priorité de l’enseignement sur l’apprentissage. Les pédagogues qui « ouvrent » l’école et s’efforcent de fonder les apprentissages fondamentaux sur le rapport des enfants avec les réalités qui les concernent, et ainsi les rendre fonctionnels, constatent que cette attention peut être mobilisée à d’autres moments dans des activités qui font appel à l’intérêt de l’enfant, à ses questions, à sa soif de savoir, à son envie de grandir, d’avoir un pouvoir sur sa vie, son environnement, à sa capacité de se « construire ».
Sans aller jusqu’à l’accusation simpliste « à l’école : l’instruction, à la commune : la culture », la division du travail, qui déjà constitue le paradigme dominant de nos sociétés industrielles en sort renforcée au détriment de l’éducation qui ne peut être compartimentée et s’inscrit nécessairement dans la complexité du monde social et de son environnement.
Une telle « refondation » n’est pas vraiment à l’ordre du jour… S’il faut être réalistes, il est possible de considérer que la journée serait moins longue si les devoirs étaient rigoureusement interdits (les parents étant néanmoins informés sur le travail des enfants selon divers procédés dont les entretiens individuels, les cahiers de vie, les journaux de classe et d’école).
Il est même possible d’imaginer que la commune et les enseignants adoptent des projets communs, qui peu à peu serviront de base aux apprentissages « scolaires », les rendront un peu plus fonctionnels… Projets qui pourront être sans doute plus facilement conduits si l’on trouve une solution pour regrouper les temps dégagés tout en ne rétablissant pas les journées de 6 heures. On peut même rêver. Le gouvernement n’ayant plus rien à perdre, il impose la journée de 5 heures, interdit les devoirs et leçons à la maison, définit un temps pour le travail personnel assisté dans la journée, institue les entretiens individuels avec les parents, énumère des projets susceptibles d’avoir des prolongements entre école et péri scolaire, incite à ce qu’ils servent de base pour tout ou partie des apprentissages fondamentaux.
Raymond Millot