In Localtis.info – le 21 mai 2013 :
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Pour expliquer ce qu’est la réussite éducative, le ministère de l’Education nationale et son ministère délégué ont organisé une journée nationale à la Sorbonne, réalisé un dessin très pédagogique et préparé une charte avec définitions et grands principes. Au local maintenant, "dans sa diversité" (et sa perplexité, parfois), de trouver les bons outils, le bon mode de partenariat, la bonne échelle d’action.
Vous n’avez pas une vision très claire de ce qu’est la "réussite éducative" ? Rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. L’écrivain Daniel Picouly, touche "pipole" et grand témoin de la journée nationale de la réussite éducative du 15 mai 2013 à la Sorbonne, constatait à 17h00, après six heures de discours, de témoignages et de débats, que "personne n’a été capable de définir la réussite éducative". Dans la salle, l’ambiance est à l’autodérision, on sourit aux paroles de cet écrivain médiatique autoproclamé "ancien cancre".
On préfère ce ton gentiment poil à gratter à la provocation plus frontale du sociologue Jacques Donzelot qui a déclaré, en matinée, que le mot "éducatif" était "mis à toutes les sauces pour habiller tout et n’importe quoi", soupçonnant que cette appellation désignait uniquement du "travail social amélioré".
Une alliance sans contrat de mariage
Vincent Peillon lui-même confiera à l’assistance, dans son discours de clôture, son désarroi lorsque le président de la République lui a imposé un ministère délégué à la réussite éducative. Un an après, le ministre de l’Education nationale a exposé, avec la force de conviction dont il sait faire preuve, les deux idées force de la réussite éducative : l’idée d’un "pacte entre l’école et la nation" qui lui fait dire que "l’école n’est pas la propriété de l’Education nationale" ; l’idée d’"égalité" au sens où il faut "donner plus à ceux qui ont moins" et par ce biais inscrire la réussite éducative dans le champs de la politique de la ville dont c’est le slogan.
De fait, la journée du 15 mai devait être la consécration de l’alliance entre l’Education nationale et la politique de la ville, devant leurs 300 témoins invités. Mais ce qui aurait pu constituer le "contrat de mariage", à savoir la convention d’objectifs entre les deux ministères, n’est toujours pas signé et aucune date n’a été avancée. "Il y a sans doute une répartition des rôles à préciser et nous aurons un travail commun à faire sur les rôles respectifs de chacun, notamment voir ensemble l’inventaire et l’évolution des dispositifs", considère encore George Pau-Langevin, la ministre déléguée à la réussite éducative. Tandis que François Lamy a souligné qu’il avait déjà conclu trois conventions (Jeunesse et Sports, Affaires sociales, Travail) et que cinq autres sont sur le point de l’être (Intérieur, Justice, Culture, Droits des femmes et Transports).
Quant à la question de savoir si la réussite éducative est cantonnée aux quartiers de la politique de la ville, la ministre déléguée entretient le flou. Il apparaît que la réponse est non sur le principe, mais dans les faits et les exemples donnés force est de constater qu’on ne parle que de cela.
Un concept et des pictogrammes
En un an, le ministère a donc formalisé le concept. Il l’a même illustré dans un dessin qui se présente sous la forme d’un parcours. Au début du parcours, un élève stylisé s’engage sur un chemin ponctué de différentes cases qui constituent – c’est écrit – "l’environnement au coeur de la construction de l’élève". A la fin du parcours l’élève a grandi de taille et, surtout, il tient un diplôme dans la main. Entre-temps, il aura donc navigué entre dix cases correspondant, comprend-on, aux dix champs d’action de la réussite éducative : relation aux familles ; équilibre alimentaire ; pratiques sportives ; aide aux devoirs/soutien scolaire ; "l’école dans son territoire" ; santé et bien-être ; voyages scolaires d’études linguistiques ou de loisirs ; éducation aux médias/éducation à la citoyenneté ; pratiques culturelles ; aide à l’orientation professionnelle et à l’insertion.
Pour compléter le dessin, un encadré liste "les acteurs de la réussite éducative". Ils sont cinq familles d’acteurs : la "communauté éducative" (dans laquelle figurent les "parents") ; les collectivités territoriales (sans plus de détail) ; les associations ; les professionnels du secteur médico-social ; l’Etat (dans lesquels figurent les "ministères chargés de la ville [sic]")
Une charte et des grands principes
L’Education nationale a également rédigé un texte qui prendra prochainement la forme d’une charte. Le texte dit, en plus compliqué, la même chose que le dessin : "La réussite éducative se définit comme la recherche du développement harmonieux de l’enfant ou du jeune qui associe de façon intégrée les dimensions physique, sanitaire, sensible, relationnelle, affective, sociale, morale, culturelle, cognitive, intellectuelle."
Cela devient un tout petit peu plus concret au paragraphe suivant : "Dans une société laïque et démocratique, la réussite éducative tend à concilier l’épanouissement personnel, la relation aux autres et la réussite scolaire, considérant que les trois éléments se renforcent mutuellement." Et c’est le partenariat entre les familles, l’école et les acteurs publics (Etat et collectivités territoriales) et associatifs qui rendent possible la "cohérence éducative".
Parmi les neuf principes énoncés dans la future charte, trois concernent le partenariat avec les collectivités. Le premier est un principe général à toute démarche de partenariat : "Chacun des acteurs concernés considère sa place dans un ensemble, affirme sa singularité et prend en compte tous les autres partenaires." Le deuxième laisse entrevoir l’idée d’une discrimination positive qui ne dit pas son nom (et ne s’engage pas sur des moyens), et fait échos à la deuxième "idée force" de Vincent Peillon : "Les acteurs de la réussite éducative se mobilisent plus particulièrement en faveur de ceux qui ont le plus besoin d’attention et d’accompagnement."
"Le pilotage et ses modalités s’organisent localement"
Enfin, le projet de charte spécifie qu’"un cadre partenarial doit être posé" et que "ce cadre s’inscrit dans les politiques éducatives territoriales". Puis il renverrait le tout au niveau local, se contentant d’énoncer de grands préceptes : "Le pilotage et ses modalités s’organisent localement en ayant à l’esprit le pragmatisme, la souplesse, l’adhésion des acteurs, le souci de l’efficacité, la capacité à réguler et à faire travailler ensemble tous les acteurs."
"Chaque territoire pense à son échelle les tenants et les aboutissants de la réussite éducative", a confirmé George Pau-Langevin en clôture de la journée du 15 mai où la ministre déléguée souhaitait faire passer le message de la réalité d’"une dimension et une cohérence nationales à la réussite éducative" et dire aux "acteurs de terrain" de "s’en saisir dans la mise en oeuvre locale des projets de réussite éducative". Considérant que les projets de réussite éducative "varient selon les spécificités et les difficultés d’un territoire", la ministre déléguée estime que ce sont les acteurs de terrain qui sont "en mesure de décliner au niveau territorial cette dynamique nationale".
"La cohérence, c’est aux collectivités de la penser, car cela n’a pas été fait au-dessus"
Dit autrement, par Frédéric Bourthoumieu, président de l’Association nationale des acteurs de la réussite éducative (Anaré), "la cohérence, c’est aux collectivités de la penser, car cela n’a pas été fait au-dessus". Il est vrai qu’il parlait des "empilements" de dispositifs réalisé par le passé. Empilements que rien n’indique qu’ils seraient révisés…
Le ministère est également très flou sur le pilotage local. La question a été posée aux intervenants à la première table ronde de la journée, celle intitulée "Dynamique territoriale et réussite éducative". "Le maire peut être la figure de pilotage et de gouvernance", a avancé Frédéric Bourthoumieu. "Sur le périscolaire, je ne vois pas qui d’autre cela pourrait être que le maire", a confirmé le sénateur Claude Dilain, ex-maire de Clichy-sous-Bois et ex-président de Ville et Banlieue. Mais pour ajouter aussitôt : "Le problème, c’est que la capacité du maire à coordonner s’arrête aux frontières de l’école. Tant que les maires n’auront pas les moyens réglementaires pour la dépasser, cette frontière restera infranchissable." Et pourtant, a-t-il rappelé à l’assistance, en matière de réussite éducative, "l’Education nationale seule n’y parviendra pas".
Pour le sociologue Jacques Donzelot, c’est de l’établissement scolaire qu’il faut partir, en lui accordant davantage d’autonomie (dans le recrutement d’enseignants motivés, notamment) mais aussi pour mieux lui permettre de créer et entretenir le lien avec le quartier.
Quant aux outils, Frédéric Bourthoumieu suggère que le PRE (Programme de réussite éducative, introduit par la loi Borloo de cohésion sociale de 2005) constitue, dans le PEDT, le volet "prise en charge personnalisée" pour les élèves en difficulté. Pour lui, c’est même "un dispositif qui peut être généralisé à tous les territoires", pas uniquement ceux relevant de la politique de la ville, donc.
François Lamy a quant à lui déclaré que le PRE constituerait le volet "réussite éducative" de la prochaine génération de contrats de ville 2014-2020.
Le PEDT, un outil parmi d’autres ?
En l’état actuel de la rédaction, le texte évoque bien le projet éducatif territorial comme "l’ensemble des actions qui contribuent à assurer la réussite éducative de tous les enfants ou de tous les jeunes, à organiser la continuité éducative entre leur temps scolaire et les autres temps, à associer les parents et plus largement la communauté éducative à l’atteinte de ces objectifs". Mais force est de constater que cette position, qui a pour premier mérite d’être claire, n’est pas défendue par la ministre déléguée à la réussite éducative qui veille toujours, à laisser ouverts les modes de partenariat possibles, au nom de la spécificité des territoires… Peut-être estime-t-elle qu’il serait dangereux de tout miser sur le PEDT alors que nul ne mesure encore l’avenir de cet outil facultatif et aujourd’hui associé à l’organisation de la réforme des rythmes scolaires ?
De fait, le projet de charte évoque trois autres outils de partenariat : le programme de réussite éducative en tant que tel, le projet éducatif local et même le projet d’établissement (au sens où la politique éducative est conçue et mise en oeuvre par le comité d’éducation à la santé et à la citoyenneté). Ce texte, que George Pau-Langevin présente aux "acteurs de terrain" comme un futur "document de référence et d’engagement dont vous pourrez vous saisir et sur lequel vous pourrez vous appuyer pour construire localement vos projets en matière de réussite éducative", suffira-t-il à créer des vocations au-delà des quartiers de la politique de la ville déjà très impliqués ?
Valérie Liquet