Parmi les grands pays européens, la France et le Royaume Uni sont sans doute ceux qui ont, à ce jour, le moins décentralisé leurs systèmes de pouvoirs. Or, ces deux pays vont faire face très bientôt et pour des raisons très différentes à des réformes majeures. Leurs systèmes de pouvoir vont s’en trouver profondément modifiés. Seront-ils mieux à même de répondre aux grands enjeux socio-économiques du monde contemporain ?
Première différence et de taille, ces réformes se font pour des raisons très différentes. Au Royaume Uni, c’est la reconnaissance des spécificités, voire des nations – depuis longtemps reconnues ne serait-ce qu’au rugby – qui porte le mouvement. Le référendum écossais sur l’indépendance en est l‘éclatante démonstration. Et les impacts sur ce qui pourrait se passer dans l’Angleterre anglaise, pour ne pas parler du Pays de Galles ou de l’Irlande du Nord, seront à surveiller de près. La question sociale au sens large joue un rôle majeur dans le débat public : éducation, santé, logement, rôle des services publics, création d’emplois, le système britannique est traversé par des dynamiques souvent très divergentes. Les réformes françaises sont, elles, d’une toute autre nature : les considérations organisationnelles et technocratiques sont ici éminentes et les spécificités régionales largement ignorées voire écartées dans le grand découpage territorial annoncé. Le modèle national reste très prégnant et l’idée même d’un modèle social multiple fait figure de tabou, en dépit des disparités de toutes sortes. La réforme se fait par le haut, sans impliquer les populations.
La réforme « écossaise » va impliquer un large transfert de compétences, mais aussi un pouvoir fiscal sans précédent puisque Edimbourg devrait avoir la main sur plus de 50 % de ses recettes, à commencer par l’impôt sur le revenu. En France, la fiscalité restera très largement nationale et, en matière de compétences, les transferts relèveront moins d’un nouveau basculement que d’un ajustement – sous réserve des derniers arbitrages et autres revue des missions – d’un certain nombre de compétences jusque-là partagées entre Etat, régions ou départements : on pense en particulier à la formation professionnelle, à certains pans de la politique de l’emploi etc.
Dans les deux cas cependant, on reste loin de l’éventail des pouvoirs dont sont dotés les Länder allemands, les communautés autonomes espagnoles ou encore les régions et communautés belges.
En dépit de ces très grosses différences, ces nouveaux pouvoirs devront affronter des défis communs. L’accompagnement des grandes mutations structurelles en fait partie : le nord du Royaume Uni n’as toujours pas su trouver de réponse au déclin industriel et, pour ce qui concerne l’Ecosse, on sait que la rente du pétrole, qui ne sera pas éternelle, n’a pas permis à ce jour l’apparition d’une nouvelle économie. Il en va de même avec la plupart des régions françaises, pourtant chargées depuis le milieu des années 80 du développement économique. La difficulté des Etats nationaux à trouver ici des solutions ne préjuge en rien des capacités régionales à être meilleures en la matière. L’on peut évidemment poser des questions similaires sur le dynamisme et la régulation des marchés du travail : le débat français fait depuis quelques années grand cas du rôle des territoires, mais la capacité des régions à influencer les dynamiques d’emploi territoriales et à réguler les mobilités professionnelles, à commencer par celles issues des restructurations industrielles, est restée à ce jour faible. Il en va de même pour la construction d’un dialogue social à ces échelons tant celui-ci reste structuré par le niveau national, sectoriel ou interprofessionnel. En ira-t-il différemment demain ? Une extrême prudence semble ici s’imposer. Des questions strictement identiques se posent au modèle britannique : l’Ecosse saura-t-elle stimuler un marché du travail porteur alors qu’elle reste largement tributaire du dynamisme économique du sud de l’Angleterre ? Son attachement à la question sociale lui permettra-t-elle de faire émerger un dialogue social digne de ce nom, alors que le Royaume Uni l’a relégué à la portion congrue ?
Le paradoxe de la globalisation du monde est sa fragmentation, parfois pacifique, parfois violente. Les réformes engagées des deux côtés de la Manche, en dépit de leur hétérogénéité, ainsi que les volontés d’autonomie qui se manifestent dans de nombreux Etats européens n’y sont pas étrangères. Elles interviennent à un moment où les modèles et contrats sociaux forgés dans la seconde moitié du vingtième siècle sont à la peine. En quoi contribueront-elles à leur renouveau ? That is the question !
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