En dépit de la hauteur des barrières que les institutions économiques, sociales et politiques de notre pays opposent aux jeunes, le conflit entre générations n’a pas, aujourd’hui, d’existence politique visible. Les partis, syndicats ou associations qui structurent notre vie collective existaient presque tous il y a vingt ou trente ans, quand ce n’est pas beaucoup plus.
Cela n’implique pas qu’on puisse ignorer les fractures intergénérationnelles qui traversent notre société et la menace qu’elles représentent pour sa cohésion.
Aux yeux de leurs aînés, les jeunes apparaissent souvent comme individualistes, désaffiliés, désengagés. Eux-mêmes font souvent état d’un décalage à l’égard d’institutions de participation à la vie de la cité qu’ils perçoivent comme mal adaptées à leurs pratiques de socialisation ou dominées par les générations antérieures. Ils donnent moins de temps aux associations que leurs aînés, et s’abstiennent plus souvent lors des élections. Sans élever la voix, ils prennent leurs distances.
Est-ce l’expression d’un divorce, ou d’une frustration ? La jeunesse refuse-t-elle de s’engager, se détourne-t-elle des institutions de la vie collective ? Face à des structures de la société civile qu’elle perçoit comme trop fermées, est-elle tentée par le repli ? Ou bien est-elle plutôt à la recherche de formes d’engagement mieux adaptées à ses valeurs, à ses convictions, à ses modes de vie et de sociabilité ?
Soucieux de dissiper les incompréhensions mutuelles et désireux de définir les voies d’une action publique adaptée, Patrick Kanner, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, a demandé à France Stratégie d’enquêter auprès des jeunes et auprès des structures d’engagement (associations, syndicats, partis politiques) pour comprendre et pour mesurer la réalité du décalage entre une réelle aspiration à l’engagement et des cadres jugés dépassés.
Ce qui ressort du présent rapport, c’est un écart préoccupant entre la demande et l’offre d’engagement, qui pose un dilemme pour les pouvoirs publics : faut-il laisser faire, ou intervenir ?
La jeunesse est l’âge de la construction de soi, à l’échelle d’un individu comme à l’échelle d’une génération dans son ensemble ; et il est naturel qu’on ne se construise pas en demeurant dans les cadres hérités de la génération précédente. Il appartient aux jeunes d’inventer eux-mêmes les formes qu’ils veulent donner à leurs engagements : largement marquées par le numérique, ces formes sont aujourd’hui plus souples, plus éphémères, moins hiérarchisées qu’elles ont pu l’être par le passé. Si une institution civile ou politique ne le comprend pas et se montre incapable de s’adapter, aucune intervention publique ne la sauvera de la désaffection.
Une rupture entre la jeunesse et les cadres de la vie collective serait cependant dangereuse pour notre société civile et notre démocratie politique. La fluidité nouvelle de l’engagement ne doit pas empêcher le lien social de se tisser, et la construction d’un monde commun suppose malgré tout des formes stables, des repères que l’on peut partager. C’est pour cela que Béligh Nabli et Marie-Cécile Naves proposent, dans ce rapport, à la fois d’ouvrir davantage les institutions existantes aux jeunes, qui en sont trop souvent exclus, de fait sinon de droit, et de créer des espaces nouveaux dans lesquels la jeunesse serait en mesure de faire entendre sa voix, non seulement à elle-même mais à l’ensemble de la communauté nationale.
Leurs propositions portent simultanément sur l’engagement dans la société civile et la participation à la démocratie politique. Certaines sont modestes, d’autres plus radicales. Toutes sont inspirées de la même préoccupation : dans un pays où les jeunes sont deux tiers à considérer qu’on ne leur permet pas de montrer de quoi ils sont capables, il est urgent, non pas tant de faire une place aux jeunes, mais de leur donner les moyens de prendre celle qui leur revient de plein droit.