In Diversité Entretien – n°172 – 2ème Trimestre 2013 :
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La création de votre ministère donne une nouvelle dimension à la notion de réussite éducative que nous proposons d’explorer dans ce numéro de Diversité. On peut d’ailleurs se réjouir de la mise en exergue de celle-ci, qui va au-delà de l’éducation et du scolaire stricto sensu. Est-ce que vous pouvez revenir, pour nous, sur ce qui a présidé à la création de votre ministère ?
GEORGE PAU-LANGEVIN :
Notre objectif est de ne pas nous limiter à la réussite scolaire. En élargissant notre périmètre à la réussite éducative, l’enfant est conçu dans sa globalité, en prenant en compte son environnement (familial, social, territorial). C’est pourquoi nous essayons d’intervenir sur la famille, le périscolaire en lien avec le ministère de la Ville. L’idée est qu’il faut que tous les intervenants agissent en cohérence pour que l’enfant réussisse au mieux. Ce qui nous manque c’est un instrument d’évaluation partagé de la réussite éducative. Par exemple, j’ai assisté à la présentation d’une action tout à fait remarquable à Asnières, où certains élèves suivent des cours de théâtre et font de la radio tandis que d’autres participent à un orchestre et mènent des interviews à l’école. On voit bien comment toutes ces actions tendent à donner aux enfants l’accès à des savoirs et assurent une ouverture culturelle qu’ils n’auraient pas autrement. L’idée est que toutes ces actions « périphériques » à l’école vont permettre aux enfants de s’épanouir, les rendre plus stables et vont influer d’une manière indirecte sur les résultats scolaires. Si on doit s’efforcer de mesurer quelque chose, travaillons sur le climat scolaire ou encore sur l’épanouissement des enfants, au-delà des seuls impacts sur les résultats scolaires.
R. G. :
J’ai débattu déjà avec un certain nombre de chercheurs qui disent à peu près ce que vous dites, à savoir que l’on peut mesurer l’échec ou la réussite scolaire à l’aune d’un bulletin scolaire ou d’une orientation, alors que, pour la réussite éducative, c’est beaucoup plus difficile, pour ne pas dire une gageure. De la même manière, si on peut parler d’échec scolaire, il n’est pas raisonnable de parler d’échec éducatif, ce qui s’avère extrêmement délicat, y compris dans la formulation.
G. P.-L. :
On est là sur une notion nouvelle, et il est vrai que pour mesurer la réussite ou l’échec scolaire, on dispose à la fois d’éléments objectifs pour savoir si un enfant a bien acquis un certain nombre de notions, et d’autres plus subjectifs (bien-être, épanouissement personnel…). C’est une notion qui est très ténue. En même temps, cela n’est possible que si on a de bons enseignants, bien formés. C’est la raison pour laquelle tout ce que fait Vincent Peillon est essentiel : recruter des enseignants, donner à ces enseignants une formation pour qu’ils puissent être de meilleurs pédagogues. Mais on ne peut pas écarter le poids des déterminants sociaux, territoriaux, environnementaux qui influencent la réussite de l’enfant. L’école seule ne peut pas tout régler et il faut absolument que l’on travaille en cohérence les uns avec les autres (écoles, familles, élus locaux). Cette mise en cohérence est parfaitement intégrée dans les quartiers relevant de la politique de la ville : la difficulté d’avoir des échanges et de mobiliser les parents fait qu’il a fallu prendre cette question à bras-le-corps. La Journée nationale de la réussite éducative, que nous organisons le 15 mai prochain, permettra de faire le bilan de ce qui existe, d’inventorier ce qui est aujourd’hui mis en place. En même temps, il est indispensable de préparer l’étape suivante, pour que toutes ces innovations éparses puissent être connues, évaluées et diffusées. Par conséquent, cela peut sans doute donner d’autres idées, ailleurs, à d’autres équipes enseignantes. Il faut mettre en valeur la créativité et l’inventivité des équipes éducatives.
R. G. :
Sur ces questions, il y a une dimension assez fondamentale, à savoir l’articulation entre le périscolaire et le scolaire, entre le passage des savoirs de l’un à l’autre, et réciproquement. Les exemples que vous donnez sont très frappants de ce point de vue car ce sont des projets, des actions qui tournent autour des savoirs scolaires : comment cela doit-il et peut-il s’articuler avec ce qui se passe dans les disciplines scolaires et dans les pratiques enseignantes ?
G. P.-L. :
On voit bien qu’aujourd’hui dans les programmes de réussite éducative, il y a cette idée d’arriver à faire travailler ensemble des personnes qui ont des cultures professionnelles différentes. Et dans tous les débats si vifs autour des rythmes scolaires, il y a quelques réticences à l’idée de mettre sur le même plan des professionnels différents. Pour réussir cette réforme, qui est principalement voulue pour améliorer les conditions de travail des enfants pendant leur temps scolaire, on doit veiller à une bonne articulation avec le périscolaire. C’est précisément ce que nous disons de la réussite éducative : il faut une cohérence entre les différents temps de l’enfant et entre les professionnels qui interviennent sur ces différents temps.
R. G. :
En fin de compte, il y a quand même trois acteurs autour de la table, dont les intérêts peuvent diverger : l’école, le périscolaire – avec les collectivités et les associations –, mais aussi les parents d’élèves. Concrètement, ce continuum est dans une certaine circularité et on ne peut penser cette question sans ces trois acteurs-là réunis.
G. P.-L. :
Aujourd’hui le niveau d’exigence est plus important et nous le voyons bien à travers le débat sur les rythmes scolaires. Tout le monde est obligé de s’organiser afin de pouvoir s’articuler les uns les autres pour que l’ensemble fonctionne. Je pense que c’est à la fois plus difficile et en même temps plus intéressant. D’une certaine manière, l’égalité d’accès au périscolaire est devenue une exigence partagée.
R. G. :
Fondamentalement, le temps du périscolaire fait aussi bouger les lignes de l’école, avec un impact certain sur le travail enseignant, et doit tenir compte aussi de ce temps-là qui n’est pas anodin. Cette articulation ou continuité souhaitée entre les temps va sans doute de pair avec la nécessité d’inventer une professionnalité dans ce continuum, surtout quand on s’intéresse aux objets qui passent « de mains en mains », comme les devoirs à la maison, et qui sont peut-être le sujet que cachent les débats sur les rythmes scolaires…
G. P.-L. :
C’est un sujet dans le sujet effectivement. Les devoirs à la maison sont aussi un facteur d’inégalité.
R. G. :
Dans un numéro assez ancien de la revue, Bernard Lahire fait état de ces parents – dont nous faisons sans doute partie, d’ailleurs – absents de la maison et parfois ce continuum n’est pas du tout assuré non plus dans ces familles 1. On a tendance à penser uniquement aux familles en difficulté ou des quartiers défavorisés, alors que…
G. P.-L. :
Je pense qu’il y a des décrochages dans tous les milieux sociaux. La seule différence, c’est que dans certains milieux, les parents ont la possibilité de mettre sur pied des stratégies pour contourner la difficulté et relancer leurs enfants.
R. G. :
Je voudrais qu’on aborde maintenant la question des élèves allophones nouvellement arrivés. Quand on observe ces élèves et leurs familles, il y a des formes de rupture personnelle et scolaire, et une continuité à reconstruire – les dispositifs d’accueil permettent cela. Quel est l’état des lieux ou le diagnostic que vous pouvez poser sur ce sujet ?
G. P.-L. :
l’idée d’allophone ou d’allophonie recouvre en fait des réalités différentes : on a des enfants qui sont venus dans le cadre du regroupement familial, qui ne connaissent pas la langue mais qui ont pu être scolarisés dans leur pays d’origine. Et pour ceux-ci, une fois qu’ils ont suivi des apprentissages en français, les choses peuvent se recaler finalement assez bien. La situation est bien différente pour les enfants allophones issus de familles itinérantes. Les élèves itinérants accueillis dans les écoles élémentaires sont en effet des élèves aux besoins éducatifs particuliers, dans la mesure où ils se caractérisent par un mode de vie qui génère mobilité et discontinuité scolaire. Ils vivent parfois dans un contexte éducatif et culturel caractérisé par des représentations de l’école et des apprentissages très différents de ceux des autres familles. Enfin, il y a le cas des enfants roms dont la scolarisation demeure plus problématique. L’école de la République symbolise une chance et un espoir pour des enfants roms qui ont le droit, à l’égal de tous, à un accès effectif à l’enseignement. Il en va du respect de nos obligations juridiques et morales, c’est-à-dire du respect des droits et intérêts de l’enfant. Cette responsabilité, nous souhaitons l’assumer par des actes qui s’inscrivent à la fois dans le temps court – celui que commande l’urgence – et le temps long, dans la perspective de l’insertion sociale. Ainsi, si je peux comprendre des difficultés que peuvent rencontrer certains maires, confrontés à des situations d’urgence, je dis qu’ils doivent cependant respecter au mieux l’obligation de scolarisation de tout enfant.
R. G. :
De fait, ces élèves allophones interrogent dans certains territoires la capacité que l’on a à intégrer, à accueillir mais aussi à scolariser et à penser la scolarité et l’apprentissage de la langue et les codes de l’école. Et d’une certaine manière, c’est un véritable laboratoire où l’on expérimente des méthodes et des approches qui pourraient être modélisées pour d’autres publics scolaires distants des codes, des discours et des implicites scolaires.
G. P.-L. :
En même temps, je trouve que souvent, sur le terrain, il y a nombre de citoyens dont l’investissement est remarquable. À Triel, dans les Yvelines, où j’ai visité une école, il a fallu une décision de la Halde 2en 2009 pour imposer au maire d’accueillir les élèves. Et à partir de là, tout le monde s’y est mis pour essayer de trouver les bonnes solutions. Aujourd’hui, quand vous passez dans une classe, les élèves roms ne sont pas distingués par les enseignants ni par leurs camarades. Vous avez des gens de bonne volonté qui vont chercher les enfants et qui les ramènent chez eux et qui discutent avec les parents. Et ils nous le disent, les parents, que c’est possible. Cela demande beaucoup de bonne volonté et beaucoup d’imagination.R. G. :Et de professionnalité malgré tout…
G. P.-L. :
On avait assisté à un cours de calcul et j’avoue que je suis toujours admirative de la capacité des enseignants à faire travailler