Georges Fotinos, ex-IGEN, a interrogé des chefs d’établissement du primaire et du secondaire, mais aussi des parents d’élèves. Sa dernière enquête permet de dresser un état des lieux global des relations école-parents. Interview.
Comment se portent les liens entre les parents et l’école ?
Les réponses des 3 acteurs concernés (directeurs d’école, chefs d’établissement du secondaire, parents d’élèves) permettent de trouver des lignes communes, qui montrent que les liens entre parents et école ne sont pas rompus. Mais des signaux inquiétants indiquent qu’ils sont en danger.
Ainsi, la même proportion (55%) de directeurs, de principaux, de proviseurs et de parents considèrent que le climat scolaire est bon… Mais il y a quand même 13% de parents et de chefs d’établissement qui estiment que les relations parents-école sont mauvaises !
Il faut aussi noter que les parents et les chefs d’établissement sont d’accord pour dire qu’il y a parfois une forte intrusion de certaines familles, débouchant sur des cas de harcèlement, d’agression ou de violence.
Le grand point noir concerne la relation avec les professeurs…
26% des parents considèrent que les enseignants ne les informent pas régulièrement sur les progrès et difficultés de leurs enfants. 46% des familles pensent aussi que les profs ne font pas le nécessaire pour avoir une “relation positive” avec elles – par exemple, pour leur donner des informations lors d’un rendez-vous, au lieu de leur faire la morale.
Les chefs d’établissement n’ont pas le même avis : 93% pensent que les professeurs informent assez les parents sur les progrès des élèves. Pourquoi ? Parce qu’ils pensent que l’équipe éducative fait de son mieux. Nous avons affaire à une divergence d’opinions qui reflète l’absence d’un langage commun, d’un projet créé en amont avec les parents.
A travers mes différentes enquêtes menées depuis 2004, je peux affirmer qu’en 10 ans, les liens parents-enseignants se sont distendus, et la situation s’aggrave. L’Ecole se ferme, face à des parents de plus en plus intrusifs, devenus “consommateurs”. 20% des familles se considèrent comme usagers d’un service public… si ce service n’est pas à la hauteur, ils se sentent en droit de faire des réclamations, et si elles ne sont pas prises en compte, ils changent de crèmerie (en partant dans le privé) ou se mettent à harceler les équipes pédagogiques.
Qu’en est-il de l’investissement des parents ?
Les parents et les personnels de direction partagent le même avis (50% des deux côtés) sur le manque d’investissement de certaines familles, qui ne se sentent pas concernées par la vie de l’établissement. Le désintérêt de certains parents est patent. Beaucoup s’en remettent totalement à l’école – ils déposent leurs enfants le matin, et ne s’intéressent pas aux études de leur progéniture.
En ce qui concerne le travail à la maison, les parents (58%) considèrent qu’ils savent ce qu’il faut faire pour aider leurs enfants, mais de l’autre côté, 61% des chefs d’établissement disent le contraire : il y a une sous-estimation de la possibilité familiale d’éduquer. Les parents se considèrent capables d’aider, mais on ne leur donne pas les outils nécessaires pour le faire. Il y a là un gros effort à faire de la part de l’Education Nationale.
Comment éviter un “divorce” entre les parents et l’école ?
Il faut rétablir le dialogue et une relation de confiance mutuelle : le vivre ensemble et les valeurs républicaines portées par l’école publique, comme la laïcité, sont en jeu. Heureusement, des solutions existent pour construire une véritable politique de coéducation. Il s’agit de ne plus cantonner les parents à l’extérieur, mais de les faire participer au fonctionnement de l’établissement.
En échangeant avec les enseignants, les parents finissent par intégrer des idées qu’ils ignoraient parfois, comme les valeurs de laïcité. Ils ont un comportement moins agressif envers l’école, et cela se ressent sur l’attitude et les résultats de leurs enfants. Plus les parents participent à des projets concrets, meilleur est le climat scolaire. Le plus intéressant est de constater qu’ils sont partants, qu’ils ont envie de s’impliquer – tout comme les profs ont envie de collaborer avec eux, tant qu’ils ne sont pas agressifs.
Quelles actions concrètes pourrait-on mettre en place ?
Il faut associer les parents en amont, avant la rentrée des classes : les rencontrer, faire connaissance et déterminer ensemble comment il serait possible de collaborer. Il faut amener les parents à se sentir utiles, afin qu’ils se sentent davantage concernés par la vie de l’établissement scolaire. L’idée est d’impliquer les parents, en les faisant venir à l’école – pas seulement 2 ou 3 fois par an, mais régulièrement.
Par exemple, en créant des instances “partenariales” mixtes, chargées de suivre les problèmes de vie scolaire, comme c’est le cas dans certains collèges, où des parents intègrent des cellules “gestion des conflits” dans le cadre de projets menés par les établissements pour prévenir les violences scolaires.
Un autre exemple : l’école ouverte. L’idée est d’accueillir les parents pendant les vacances, et de les faire participer à des activités éducatives, aux côtés des profs et des élèves. Les établissements scolaires deviennent des lieux de dialogue et d’échanges, et les familles, des “alliées” de l’école.
Faut-il agir aussi sur la formation des enseignants ?
Il faut absolument former les enseignants à la relation avec les parents. Cette formation, mise en place autrefois dans certaines IUFM, n’existe plus. Communiquer avec les parents d’une façon positive ne s’improvise pas. Il faut étudier des situations concrètes, qui remontent du terrain. Cet apprentissage de la relation avec les parents ne doit pas se limiter aux ESPE : il doit aussi être constamment “rappelé” aux professeurs, à travers la formation continue.