Les Cahiers pédagogiques m’ont demandé un article à propos d’un rapport de l’inspection générale. Cet article se trouve publié sur le site des Cahiers. Je le reprends ici sur mon blog.
Le titre que je lui ai donné vient de l’expression « l’orientation à la main des parents » qui a été utilisée dans les médias pour désigner l’expérimentation en question.
Deux rapports
Après les débats sur l’orientation au cours de la préparation de la loi de Refondation, le gouvernement a décidé d’expérimenter en la matière dans un certain nombre d’établissements : en fin de troisième, la famille pourra décider, in fine, de l’orientation de son enfant. Un rapport de l’Inspection générale vient d’être publié, intitulé « Suivi de l’expérimentation du choix donné à la famille dans la décision d’orientation au collège », dont le principal rédacteur est Aziz Jellab. Il fait suite à un rapport d’étape de l’Inspection générale (IGEN et IGAENR) publié par le ministère le 11 décembre 2014.
Dans la conclusion du rapport d’étape on trouvait ceci : « la bonne orientation, pour la plupart des équipes éducatives interrogées (NDLR : par les inspecteurs généraux) est celle qui correspond à la décision du conseil de classe ». Autrement dit, le curseur de la vérité, pour les enseignants, n’avait pas bougé, il était toujours de leur côté.
Dans ce nouveau rapport, les constats généraux peuvent se regrouper autour de trois thèmes :
- très peu de modifications sur les flux d’orientation,
- peu de modifications dans les pratiques et les comportements des différents acteurs (enseignants, parents, élèves),
- et on peut dire une certaine insatisfaction face à cette expérimentation de la part de ces mêmes acteurs.
Et les inspecteurs ont cherché quelques explications à ces changements très faibles.
Explications
Une première série d’explications qu’ils développent concernent les conditions de cette expérimentation. Il y a eu notamment de longues hésitations institutionnelles (p. 4) qui ont fait que les acteurs ont pris des décisions de mise en œuvre for différentes selon leur interprétation de la demande. Une autre condition relève du choix des établissements expérimentateurs. Si les principes ont été très différents selon les académies (p. 4-6), il reste que « Comme Indiqué plus haut, les établissements expérimentateurs ont été choisis à partir de critères de faisabilité et de réussite de l’expérimentation. Les Principaux y avaient développé, avec l’appui des équipes éducatives, un partenariat soutenu avec les familles, avec de faibles désaccords autour de l’orientation. » (p. 49). Autrement dit le changement possible ne pouvait qu’être très faible ! Comment s’arranger pour… que rien ne se passe.
Le plus beau reste ce qui suit : « Globalement, les choix ont été effectués de manière prudente. En effet, la majorité des établissements expérimentateurs ne connaissaient pas de difficultés particulières au niveau des procédures et des effets des décisions d’orientation. Plus précisément, la mission a relevé qu’il y avait peu d’écarts entre les vœux exprimés par les familles et les décisions d’orientation. Les visites effectuées dans d’autres académies en 2014 et 2015 confirment ce constat et mettent aussi en évidence le fait que la prudence des chefs d’établissement a parfois conduit à ce que les parents ne soient informés sur le choix de la voie d’orientation leur revenant que tardivement lors de l’année scolaire, quand ils ne le découvrent pas lors de l’expression des vœux définitifs au troisième trimestre. »
Flou
Pour cette principale d’un collège de l’académie de Clermont?Ferrand, « il fallait éviter de parler ouvertement de l’expérimentation parce que certains parents auraient très vite saisi cette occasion pour forcer le passage en seconde GT » (p. 5). Autrement dit, la situation d’expérimentation étant si floue, et si peu contrôlée, que certains chefs d’établissement n’ont pas informés les parents de leur nouveau droit dans le cadre de cette expérimentation ! Mais en quoi y a-t-il eu expérimentation alors ?
Au fond, et comme le plus souvent dans l’Éducation nationale, l’expérimentation consiste à suspendre les règles et à voir ce qui va arriver. On laisse les acteurs de toute la chaîne hiérarchique se « dépatouiller avec le machin », puis on dépêche des observateurs, traditionnellement des inspecteurs généraux. Et on est surpris de constater le pire et son contraire, ou même rien.
Tout scientifique dirait qu’il ne s’agit pas là d’expérimentation. L’expérimentation suppose un contrôle de ses conditions…
Faible motivation et ambiguïtés
Une deuxième série d’explications mettrait en jeu la faible motivation des acteurs, de certains acteurs. Ainsi cette note de bas de page par exemple exprime bien ce point : « La récurrence du propos tenu par les différents interlocuteurs, à savoir que l’expérimentation n’aurait pas engendré de changement dans les pratiques d’aide à l’orientation si ce n’est le renforcement de l’existant, peut attester la faible prise au sérieux de ladite expérimentation par certains acteurs. La mission d’inspection a constaté que certains responsables institutionnels n’assuraient pas un suivi approfondi de l’expérimentation, les bilans remontés restant assez évasifs, généraux et sans véritable contenu pertinent. » (p. 6)
Un troisième thème explicatif serait l’ambiguïté institutionnelle. « À l’échelle des établissements scolaires, les principaux de collège sont nombreux à souligner les tensions, voire les contradictions des injonctions institutionnelles. En effet, globalement, la norme de l’orientation vers la seconde GT tend à s’imposer, sans qu’elle conduise à valoriser les filières technologiques. La plupart des lettres de mission des chefs d’établissement pointent souvent les résultats du DNB et le taux de passage en seconde GT à améliorer. Aussi, de nombreux élèves s’orientent vers la seconde GT en étant moyens scolairement alors que pour nombre d’entre eux, l’issue de l’année sera soit le redoublement, soit une réorientation vers la voie professionnelle. Or, dans le même temps, l’institution scolaire affirme, par la voix des recteurs, sa volonté de valoriser la voie professionnelle, d’autant plus que la réforme bac pro 3 ans a eu un effet d’attractivité sur une partie des élèves de 3ème, cherchant à concilier la réalisation d’un projet professionnel et la possibilité de poursuivre des études en STS. » (p. 15)
Enfin la quatrième série d’explications repose sur la distinction entre décision d’orientation et décision d’affectation. Pour les parents en particulier, cette distinction est peu compréhensible. Mais un autre aspect est également pointé par les inspecteurs généraux : cette distinction est différemment sensible selon qu’il s’agit d’une orientation vers l’enseignement général et technologique ou vers l’enseignement professionnel. Dans le premier cas, les recteurs peuvent agir, selon leurs moyens sur l’offre de formation, mais pas pour le professionnel qui est sous la responsabilité des Régions. « Ainsi, dans certains cas, l’académie a pu voir dans l’expérimentation un moyen de réguler la relation entre l’offre et la demande, de réduire par exemple le taux de passage vers la voie professionnelle lorsque l’offre de celle?ci s’avère être trop importante ou, à l’inverse, d’y affecter davantage d’élèves quand le passage massif en seconde GT risque de générer de nouveaux coûts financiers. » (p. 14)
Articulation entre collège et lycée
Enfin, derrière cette distinction, on trouve la question de l’articulation entre le collège et les lycées (les généraux et technologiques et les professionnels). Là aussi, les pratiques constatées ont été fort diverses. Du coup, les inspecteurs relèvent que « différents interlocuteurs rencontrés ont insisté sur l’importance d’un texte institutionnel imposant la mise en place de la liaison collège?lycée » (p. 53).
Ce qui reste très curieux pour moi, c’est l’absence de retour critique sur nos procédures d’orientation elles-mêmes. Que modifie exactement cette expérimentation ?
Les auteurs rappellent la teneur de l’article 48 de la loi du 8 juillet 2013 : « À titre expérimental, pour une durée maximale de trois ans, dans des académies et des conditions déterminées par le ministre chargé de l’éducation nationale, la procédure d’orientation prévue à l’article L. 331-8 du code de l’éducation peut être modifiée après avoir fait l’objet d’une proposition du conseil de classe et au terme d’une concertation approfondie avec l’équipe éducative, la décision d’orientation revienne aux responsables légaux de l’élève ou à celui-ci lorsqu’il est majeur. » Autrement dit, elle modifie l’ultime étape des procédures en attribuant aux parents la responsabilité de la décision. Mais la loi ne dit pas qu’un seul palier d’orientation serait concerné !
Aussi, il est curieux de prendre connaissance du plan d’expérimentation : « Le cahier des charges annexé à la lettre adressée par la DGESCO aux recteurs1 précise que l’expérimentation vise d’abord à favoriser l’expression d’un choix éclairé qui ne soit pas imposé. Sont également précisés les niveaux concernés et le calendrier du déroulement de l’expérimentation : les classes de troisième pour l’orientation en fin d’année 2013?2014, celles de quatrième pour l’orientation en fin d’année 2014?2015. »
Pourquoi commencer par la fin ?
Pourquoi diable commencer par la fin du processus, par la classe de troisième ? Si un changement de mentalité, d’attitude, de pratique de la part de tous les acteurs en jeu est recherché, alors la « logique » voudrait que l’on commence la mise en œuvre par son origine, la classe de sixième. Mais cela serait sans doute peu médiatique !
Lors du lancement de l’expérimentation j’avais publié un article sur mon blog daté du 23 février 2013 : Expérimentation des procédures d’orientation en troisième. Je m’interrogeais : « Comment espérer qu’une décision d’une famille, différente de la décision de l’établissement ne soit pas vécue comme un désaccord conflictuel après toutes les étapes de la procédure ? Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il faudrait qu’une relation de conseil auprès de la famille, et inversement auprès de l’établissement puisse être instaurée. Bien difficile d’imaginer cela. Mais admettons qu’elle soit possible. Cela supposerait une relation de confiance mutuelle, de telle sorte que le constat d’un désaccord ne soit pas interprété sur le mode conflictuel. » Or, le fonctionnement de nos procédures repose sur une conception conflictuelle de la relation école-parents, les procédures formulant la règle pour sortir de ce conflit.
Que va conclure le ministère ? Sans doute qu’il n’y a pas lieu de changer et de supprimer les procédures dans l’espace du collège. En fait il a déjà conclu en maintenant les procédures et en réduisant leur pouvoir. Le décret récemment publié (décret n°2014-13277 du 18 novembre 2014) supprime en grande partie le redoublement comme décision d’orientation.
Et par ailleurs, on va sans doute poursuivre les injonctions et autres dispositifs pour augmenter les moments de rencontres entre les acteurs au sujet de l’orientation des élèves, entretiens et rencontres obligatoires par exemple, mais sans modifier d’un iota la contrainte des procédures d’orientation. Au fond, beaucoup s’arrangent bien d’un collège trieur. La structure de l’enseignement post-collège nécessite encore cette fonction de la part du collège.
Bernard Desclaux
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