Comment s’est réellement passée la minute de silence ce 16 novembre, 3 jours après les terrifiantes fusillades parisiennes ? De nombreux enseignants ont témoigné sur cette journée particulière. Contrairement à ce qui a pu être dit, la matinée a été marquée par quelques bravades de collégiens. Cela revient relativement régulièrement dans les témoignages recueillis par le Café pédagogique. Mais globalement les enseignants ont été surpris par le respect et la volonté de faire face ensemble des élèves. Souvent, la Marseillaise a été chantée spontanément par les élèves.
L’angoisse du dimanche soir
Ils l’appréhendaient cette matinée. Tout le week end les enseignants ont cherché à préparer ce qu’ils allaient dire aux élèves lundi 16 au matin, premier jour de classe après les attentats. Le ministère annonce plus de 500 000 visites sur la page de ressources indiquées dans le message envoyée aux enseignants, ce qui voudrait dire qu’un professeur sur deux l’a visité. Le site du Café pédagogique a plié sous les demandes dimanche après midi et était devenu quasi inaccessible.
« Une heure! M. le recteur nous demande de parler aux élèves des attentats pendant une heure! », écrit Joëlle (les prénoms ont été changés ndlr), professeure en primaire. « Avec les cycles trois ça me semble logique que potentiellement ils aient besoin d’en parler autant, mais je me vois pas demain passer une heure à expliquer à des petits CP qu’il y’a des malades qui tuent n’importe où! Je ne vois pas du tout comment les rassurer à un âge où certains ont peur de la mort ».
En collège, Isabelle affronte d’autres peurs. » Mes élèves vont avoir peur… Peur d’être assimilé à ces criminels, peur de finir comme les victimes de ce week-end, peur de devoir courber l’échine devant des propos racistes et orduriers, peur de se révolter contre l’ignorance des autres et la leur… Alors il faut dompter notre peur, et notre tristesse pour pouvoir demain les aider à dompter la leur, et les aider à ne pas se tromper de combat, de guerre. Demain nos élèves doivent pouvoir compter sur nous ! »
La bonne surprise du lundi matin
Pour beaucoup d’enseignants, c’est une bonne surprise qui les attend ce lundi matin. » Notre directeur a choisi de faire la minute de silence à 11h45, proposant aux parents venant chercher leurs enfants sur le temps de cantine de rester avec nous pour partager ce moment. Nous avons fait un grand cercle dans la cour, adultes et enfants main dans la main, soit plus de 250 personnes… Et les élèves de CM1 et de CM2 ont chanté la Marseillaise », écrit Béatrice.
En CE1, Béatrice « a laissé les élèves dire leurs mots sans intervenir. La peur est revenue régulièrement, l’incompréhension, l’injustice… Les enfants ont parlé des mamans qui avaient pleuré pendant tout le week end, des membres de la famille, des amis qui étaient soit au Bataclan, soit au stade de France, soit dans des lieux proches… Il a fallu après les rassurer, en disant que l’école était un lieu sécurisé. Il nous a fallu prendre de la distance par rapport aux événements, ne pas être dans l’émotion ».
Dans une petite ville du Gard, les collégiens ont d’eux mêmes chanté la Marseillaise à la récréation de 10h30, raconte David, un professeur de langues. « Le dialogue a été très constructif en 4ème. Il sont exprimé leurs émotions. Beaucoup ont de la famille à Paris. Tous pensent que les terroristes peuvent venir dans notre petite ville. Il a fallu expliquer la cible symbolique et revenir sur le vocabulaire « terrorisme », « djihad ».. J’ai terminé en évoquant la solidarité qui s’est manifesté avec le hashtag #porteouverte. Et on a chanté Imagine de John Lennon, un air pacifiste. » Dans un autre collège, Muriel se souvient « d’une parole respectueuse, mature, une minute de silence avec 600 élèves rassemblés dans la cour, des échanges qui donnent de l’espoir ».
Dans un collège du 93, Amélie a des élèves « émus et très attentifs, qui avaient plein de questions et d’idées, qu’ils ont su échanger dans le calme et le respect. J’avais peur de n’être pas à la hauteur, ils l’ont été pour moi. Beaucoup ont souligné la contradiction de ces actes avec l’Islam qui interdit le meurtre. Beaucoup se demandent si on est en guerre, si le collège peut être attaqué. Beaucoup se demandent si Marine Le Pen va être élue ». Dans une école Rep+, Thierry note les mêmes remarques : « Beaucoup d’élèves ont été abasourdis d’apprendre que les terroristes se revendiquaient musulmans, alors que leurs actes étaient en contradiction avec ce que les enfants savent de leur religion ».
Tenue exemplaire en LP.
Professeur dans un lycée professionnel du nord de Marseille, Sonia témoigne « d’une bonne heure de dialogue et d’une minute de recueillement émouvante. Les craintes des professeurs ont été remplacées par la surprise d’élèves concernés et qui ont condamné unanimement ». « Même les trublions habituels se sont tenus tranquilles », a constaté Catherine dans un L.P. du centre de la France. Minute de silence parfaite, tous les élèves dans la cour ».
Dans un troisième lycée professionnel en Bretagne, Thomas témoigne de « bonne tenue, de la volonté de comprendre et de l’absence de discours d’exclusion… On est partis de la différence entre janvier et maintenant, ce qui nous a menés à définir les valeurs de la république française, à parler de Daech, de l’unité nationale et de l’empathie avec les gens. On a terminé sur les risques d’amalgame, parce que oui, il faut essayer de rester unis. Ils avaient envie de parler de valeurs, ça m’a étonné et puis non : on a tous besoin de redéfinir ce qui nous fait vivre ».
Dérapages en collège
Pour autant , des enseignants ont aussi signalé des incidents , particulièrement en collège. « Un grand moment de solitude ce matin face à ma classe de cinquième lorsqu’un élève nous a dit être entièrement avec Daech car pour lui ils ne font que répondre à l’attaque de la France », témoigne Anna. »Incident avec un élève qui croit dur comme fer qu’aucun terroriste n’était français, qu’ils étaient tous « arabes » et que la France devrait donc « dégager tous ces arabes » du territoire », rapporte Vincent. Des dérapages différents et sans doute plus rares qu’en janvier.
Mais laissons le mot de la fin à une maitresse de Cm2 d’une école en Rep+. « Proposition d’écrire des tweets sous #ecolespourlapaix et là horreur ! Je découvre que mes élèves musulmans commencent tous ou presque, leurs tweets par « nous sommes désolés… » Ils se sentaient coupables ! Alors on reprend la discussion, je les rassure, les apaise, tente de leur redonner cette dignité que ces fous ont blessée, écorchée. Les tweets reprennent, plein d’espoir et de détermination. Mes élèves sont beaux ».
François Jarraud
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