In Le Monde Education – le 22 mars 2013 :
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Directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), rédacteur en chef de la revue Le Débat, Marcel Gauchet est un des meilleurs analystes de la société française. En tant qu’historien et observateur, il s’intéresse à la transmission, et analyse la réforme de l’école lancée par Vincent Peillon.
La loi d’orientation et de programmation sur l’école a été adoptée, mardi 19 mars, à l’Assemblée nationale. Votre regard ?
Marcel Gauchet : Les priorités retenues me semblent les bonnes : l’école primaire, le temps scolaire, la formation des enseignants. On se focalisait depuis des années sur les difficultés du collège alors que le problème majeur de notre système éducatif se situe en amont. Le plus grave, c’est son incapacité à assurer à tous l’acquisition des savoirs élémentaires. Il est devenu extraordinairement difficile dans le monde où nous vivons de donner à chacun les compétences fondamentales du lire-écrire-compter ; alors que c’est vital pour les enfants du XXIe siècle pris individuellement, mais aussi pour la cohésion de notre société et la compétitivité du pays.
Pour la même raison, la réforme des rythmes scolaires me paraît essentielle. Il est indispensable d’optimiser le temps de classe. Je trouve incroyable qu’il soit aussi difficile de remettre une demi-journée d’école alors que personne n’en avait demandé la suppression en 2008 ! Une de ces "idées" sorties d’un chapeau dont Nicolas Sarkozy avait le secret !
Dans le même style, on peut aussi saluer la suppression de la formation des maîtres, non ?
Effectivement, on a eu droit à pire que les quatre jours. La droite portera éternellement la honte d’avoir osé faire croire que le métier d’enseignant ne relève pas d’une formation. Ce serait le seul métier dans ce cas… Alors que c’est l’un des plus difficiles qui soient aujourd’hui et qu’on sait pertinemment que les savoirs transmis aux enfants conditionnent leur vie entière. Pas seulement leur destin social, leurs possibilités humaines. J’espère que les nouvelles écoles supérieures du professorat et de l’éducation seront à la hauteur du rôle fondamental qu’on est en droit d’en attendre. Les exemples le montrent : l’efficacité d’un système éducatif est fonction de la qualité de la formation de ses enseignants.
Le terme de "refondation" utilisé par Vincent Peillon vous choque-t-il ?
Le terme est en effet ambitieux. D’un côté, je ne voudrais pas dénigrer le courage politique qu’il y a à faire de l’éducation, sujet peu payant électoralement, une priorité du quinquennat. De l’autre, je pense qu’une vraie refondation demanderait d’aller plus loin dans l’identification des difficultés que rencontre l’école aujourd’hui. Par exemple sur le terrain de ce que veut dire apprendre.
Avez-vous des éléments de réponse ?
Ce dont je suis sûr, c’est que nous vivons sur des images et des idées fausses. Nous avons vécu un tournant important dans les années 1970. La pédagogie transmissive fondée sur l’inculcation d’un savoir détenu par le maître à un élève passif a laissé place à une pédagogie active qui fait de l’enfant l’acteur de la construction de ses savoirs. Il y a dans ce renversement un acquis irréversible, mais nous sommes allés un peu vite en besogne. Nous avons fait comme s’il nous livrait les clés des processus d’apprentissage. Or ce n’est pas le cas. La vérité est que nous n’en savons pas grand-chose ! Nos lumières sur le sujet sont embryonnaires. La boîte noire est loin d’avoir livré ses secrets.
Relu à l’aune de ce degré zéro de la connaissance, le virage des années 1970 ressemble à un grand saut dans le vide. Nous pensions avoir un parachute… et nous nous rendons compte au milieu de la descente que nous n’en avons pas…
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Maryline Baumard