PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

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Reportage L’association d’éducation à l’image Cinéligue anime des ateliers pour des élèves en cours moyen.

«Fermez les yeux, qu’est-ce que vous entendez ?» Benjamin Kints froisse un sac plastique entre ses mains, avec lenteur. Les enfants écoutent, les yeux fermés. C’est la pluie, torrentielle comme dans les films. Ça se passe à l’école Lamartine de Lomme, près de Lille. On est un jeudi après-midi, en classe mais pas en cours, c’est de l’éducation populaire. Bienvenue à l’atelier cinéma. Les élèves de cours moyen sont debout, autour de Benjamin, projectionniste et animateur d’ateliers son à Cinéligue, association d’éducation à l’image subventionnée par les collectivités locales et l’Etat.

Perles. Benjamin fait entendre les sons. Deux entonnoirs claqués sur un bout de moquette, les pas d’un cheval. Un sac en tissu rempli de bouts de métal, une vieille carriole qui roule. On regarde une scène du Monde de Narnia, celle de l’arrivée des enfants au château. «Vous allez me dire quels bruits vous entendez», dit Benjamin. «Les sabots du cheval, le chariot, le fouet», dit Flavy. Mathis : «Le bruit des oiseaux.» Jad : «Un bruit de tristesse.» Travaux pratiques : mettre du son sur la séquence de Narnia où la petite Lucy, en ouvrant une armoire, passe dans un autre monde, mystérieux et enneigé. On repère les bruits. D’abord la voix lointaine du grand frère qui compte les secondes d’une partie de cache-cache, puis une porte qui s’ouvre, un collier de perles qui craque, les pas de la petite fille dans l’escalier. Dans la classe, le micro est prêt et tout le monde concentré. Camille s’installe au fond. De loin, elle compte les secondes du cache-cache. Romain tape des pieds au sol pour imiter les pas. Jad lâche quelques craies sur le carrelage, les perles tombent. Iwen serre fort entre ses doigts une pellicule de film et tire : la porte de l’armoire grince. Fin, silence. «C’était vachement bien», les félicite l’animateur.

Cinéligue, issue de la vieille Ligue de l’enseignement, connue dans la région pour son travail de cinéma itinérant dans 60 villes et villages, s’est fait une spécialité d’éduquer à l’image, de la maternelle au lycée. A l’école Lamartine, où un quart des enfants sont estimés «en difficulté», elle intervient dans le cadre de l’«aménagement du temps de l’enfant» (ATE) expérimenté depuis septembre : les élèves vivent la semaine de quatre jours et demi, avec deux après-midi d’ateliers hebdomadaires, où le cinéma n’est qu’une option parmi dix, dont cirque, langue des signes, théâtre ou philo. Le projet, ici : regarder des films, en commenter des extraits, mais surtout en fabriquer. Les enfants ont créé des flip-books et des films en «pixilation» – une technique d’animation : on prend des photos, puis on les fait défiler. Aujourd’hui, on apprend à sonoriser. «C’est ça, l’éducation populaire», dit Romy Zaghbib chargée de l’aménagement du temps de l’enfant dans les deux écoles lommoises : «Les enfants sont acteurs, on ne fait pas à leur place.»

Boulons. Une semaine plus tôt, une autre classe a vu les Vacances de M. Hulot, de Tati. Les enfants sont agités, presque tous ont détesté : «c’est en noir et blanc», «y’a pas d’action». «Sa voiture, elle est moche», lâche Loïc. «Quand il joue au tennis, c’est bizarre», dit Max. Rien aimé du tout ? Si : «Le chien qui bloque la route.» Jérôme Elias, l’intervenant en éducation à l’image, leur vend «le côté décalé» de M. Hulot : «Je me laisse bercer par ce qui arrive au personnage, et le noir et blanc a un côté joli. Vous avez déjà vu un film muet ?» Max a vu The Artist. «C’est en noir et blanc aussi. Vous connaissez Charlot ?» Jérôme leur passe un extrait des Temps modernes. Murmures déçus quand la séquence s’arrête. Jérôme explique qu’on voit un gag arriver, quand Charlot, les gestes désordonnés par le vissage des boulons, veut déplacer une assiette de soupe, et la renverse. Et puis il montre la scène où Chaplin danse et chante dans une langue imaginaire. «C’est la première fois qu’on entend sa voix, mais on ne comprend pas ce qu’il dit. C’est l’époque du parlant, il nous dit que les gestes suffisent, on n’a pas besoin des paroles. Il fait ses adieux au muet, mais continue à dire que c’est un art à part entière» Et puis Jérôme leur repasse la séquence où le chien bloque la voiture pétaradante de M. Hulot. Et, là, ils ne râlent plus, ils regardent.

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