Xavier Fernagu*
Une disponibilité de tous les instants
J’ai rencontré Jean pour la première fois en Septembre 1977, alors qu’il co-pilotait les Francs et Franches Camarades, dans les Yvelines, avec des amis tels Roland Nadaus et Dominique Reffo, lui-même malheureusement décédé en Mai dernier. J’étais moi-même jeune militant dans le mouvement des centre d’entrainement aux méthodes d’éducation active (CEMEA). Il s’agissait alors de mutualiser les ressources matérielles et humaines, sur un même territoire, dans le cadre du développement des politiques publiques en direction de l’enfance.
La puissance de conviction qui se dégageait déjà du personnage aura contribué, en ce qui me concerne, à un changement d’orientation en matière d’études et de premières expériences professionnelles. C’est ainsi que, un peu plus tard, j’ai quitté le domaine de l’éducation spécialisée pour investir le vaste champ de l’éducation populaire
Depuis ce moment, nous sommes toujours restés en contact et j’ai toujours pu bénéficier de ses avis, réflexions et suggestions, que ce soit au sein du Parti socialiste, de la fédération des conseils de parents d’élèves FCPE, et plus tard du comité économique, social et environnemental régional (CESER) d’Ile de France.
Jean, en effet, était souvent à nos côtés pour nous amener à réfléchir, notamment au sein de la JPA des Yvelines,[1] sur une possible administration conjointe de la pédagogie en milieu difficile et sur la nature des partenariats qu’il s’agissait de développer au cœur de la cité pour pouvoir répondre positivement à cette interrogation. Nous avons ainsi travaillé cette question dans notre département, avec des fortunes diverses, pendant une quinzaine d’années.
J’ai souvenir de son passage à l’ONISEP en tant que délégué régional, nous l’appelions monsieur Dronisep. Il me recevait dans son petit bureau, dans des bâtiments qui abritent à nouveau le rectorat de Versailles, bureau où l’on refaisait le monde. Lorsque j’avais besoin de lui, il disait alors sans hésiter « je t’attends, on déjeune ensemble et on finira dans mon bureau ». Le marqueur principal, c’était cette disponibilité constante dont il faisait preuve à quelque niveau de responsabilité que l’on soit.
Jean était toujours là.
Disponible pour participer, au plus près du terrain comme à un niveau plus institutionnel, à l’animation d’une réunion, à une soirée de réflexion sur la place de l’école dans la cité, à la mise en synergie d’acteurs éducatifs locaux dès lors qu’il s’agissait d’entrevoir un « Projet Educatif Local » !
Et d’une manière plus générale, il déployait une énergie considérable pour nous accompagner dans les mises en application possibles des nouvelles politiques éducatives découlant d’une loi d’orientation (1989 ), d’une refondation de l’école, et tout dernièrement d’une réforme des collèges, imaginant les nécessaires transversalités entre les différents partenaires du système éducatif, s’insurgeant contre les corporatismes, les inerties, les conservatismes, nous montrant la voie d’une éducation inclusive….
C’était tout cela, et bien d’autres choses encore, notre ami, notre camarade, notre frère Jean !
Je me rappelle ce sentiment de bonheur, quand il m’a proposé d’intégrer le premier cercle de PRISME.
C’était pour moi un réel signe de reconnaissance, comme la validation d’une action militante, d’orientations et de traductions éducatives s’étirant sur plus de trente ans…
Et puis, très récemment, cette manifestation de fidèle amitié, en Avril 2014, au Conseil Régional. Jean n’avait pas hésité à faire l’aller et retour de La Ferté sous Jouarre, trois heures de transport, pour, en cette belle soirée de printemps, assister à cette remise d’insigne, sous la houlette débonnaire et solennelle tout à la fois, de Jean Paul Huchon, président de région. L’émotion embuait quelque peu l’étreinte fraternelle de mon vieux complice qui m’a pris dans ses bras en me disant « écoute, si on a encore à faire des choses ensemble, cette journée d’aujourd’hui n’est pas un point d’’orgue, mais ce peut être encore un accélérateur de particules ».
Et enfin, la maladie… mais au cours de mes visites dont la dernière en juin à la Salpêtrière où j’étais venu le voir avec Jean Jacques Hazan, ancien président national de la FCPE, les dernières discussions restaient pétillantes malgré la progression du mal.
L’artiste a quitté la scène et nous sommes désemparés, abattus, sans doute un peu orphelins….
Mon cher Jean, merci pour ce que tu nous as transmis, merci d’avoir été « Jean », tout simplement,
*Militant aux CEMEA de 1976 à 2007, vice Président de la JPA des Yvelines de 1991 à 2009, président de la FCPE des Yvelines de 2002 à 2009, membre du CESER(1) d’Ile de France de 2001 à 2013 (Président de la commission Education, Formation, Enseignement et Recherche de 2010 à 2013), chevalier dans l’ordre des Palmes Académiques
Jacques Guyard*
L’éducation, c’est l’affaire de tous
Un mot tout d’abord pour dire que Jean aurait été très content de voir à travers cette université d’automne réunie le 1er octobre 2016 que Prisme continue dans le même esprit que celui qu’il insufflait lorsqu’il présidait aux destinées de notre association. Nous rassemblons des acteurs de terrain, des gens qui réfléchissent et qui enquêtent. Nous rassemblons des gens qui agissent, qui essaient d’organiser. Tout ce monde-là parle à égalité. C’est une caractéristique de Prisme à laquelle Jean était très attaché. L’expérience des participants aux initiatives de l’association y est prise en en compte au même niveau quel que soit le grade et la fonction de chacun. Cette considération est essentielle. Et c’est ce qui donnait à Jean cette disponibilité extraordinaire qui lui permettait de discuter avec n’importe qui sans distinction hiérarchique.
Jean, c’est un peu plus de quarante ans d’amitié. Je l’ai connu au milieu des années 70 quand, avec un groupe d’ami, nous animions la commission éducation du Parti socialiste alors naissant et dynamique. Nous publions à cette époque une revue qui s’appelait Ecole et socialisme. Jean n’était pas dans les plus actifs à ce moment-là, car il était tout jeune, il démarrait dans l’action militante. Mais déjà, il nous martelait en permanence le fait que si nous voulions changer les choses, l‘éducation doit être l’affaire de tout le monde, dès le début. Je me souviens de la première discussion que j’ai eue avec lui sur ce qui était un de ses thèmes favoris. L’éducation ce n’est pas seulement l’affaire des enseignants, ce n’est pas seulement l’affaire de l’éducation nationale, ce n’est pas seulement l’affaire des collectivités, c’est tout le monde qui doit y participer. Et il faut trouver des structures pour que tout le monde participe. C’était son obsession permanente.
Au début des années 80, nous avons senti que des avancées étaient possibles. Je me souviens des trois années de 1981 à 1984, alors qu’Alain Savary était ministre de l’éducation nationale. Nous avions le sentiment qu’avec des mesures comme les zones d’éducation prioritaire, nous rentrions dans le vif du sujet. La mobilisation est retombée ainsi que les ouvertures à la réforme au rythme des alternances politiques, avec cependant des moments où la dynamique est repartie. Mais ce que j’admire chez Jean, alors qu’il faut bien l’avouer j’ai vécu des moments de découragement, c’est cette capacité à repartir au combat, à rebondir pour retisser de liens, pour peser dans les orientations du moment. Il l’a fait à l’Onisep. Il l’a fait dans des fonctions extrêmement variées mais toujours en prise avec le terrain. Sa fonction de délégué du médiateur de la République en Seine Sant Denis a été très importante pour lui. Il brassait quantité de dossiers très difficiles. Il a également pris très au sérieux son mandat d’adjoint à la Ferté sous Jouarre, sur un dossier éducatif qu’il connaissait parfaitement, mais qu’il souhaitait incarner dans une pratique concrète, confronté aux difficultés de l’action au quotidien. Pour l’anecdote, il a été très reconnaissant à sa collègue Madame Richard, maire de l’époque qui avait obtenu l’accélération des transports entre la Ferté sous Jouarre à Paris où il venait très souvent pour assumer pleinement pendant sa retraite, cette fonction de président de Prisme auquel il s’est consacré sans réserve.
Jean c’est la générosité incarnée. Il voulait la réussite de tous, que tous puissent s’exprimer, que tout le monde acquière la capacité à devenir citoyen autonome et responsable. Merci à vous tous qui reprenez le flambeau pour continuer ce travail, toujours inachevé.
* Ancien ministre, ancien maire d’Evry, vice-président de Prisme
Agnès Bathiany*
Un fédérateur d’engagement
Mon compagnonnage avec Jean remonte il y a trente ans, lorsqu’avec quelques amis nous avons créé la fondation des étudiants pour la ville l’association de la fondation des étudiants pour la ville (AFEV). Jean a été pour nous d’un précieux conseil. Persuadés qu’il fallait changer les choses, nous étions imprégnés d’une culture syndicaliste étudiante et d’un modèle organisationnel pour lequel nous avions le plus grand respect, mais au sein duquel nous n’étions plus nécessairement toujours en phase avec les évolutions de la société. A travers le débat et les échanges que nous avions avec lui, Jean nous a fait progressivement prendre conscience de l’essentiel : la nécessité de se positionner à partir de ce qu’on peut apporter aux autres. Et c’est avec cette prise de conscience qu’a démarré l’aventure de l’AFEV qui pour moi représente un moment très important. Je voudrais à ce propos, caractériser l’attitude de Jean par un terme que je n’ai pas encore entendu prononcer par tous ceux qui lui ont rendu hommage et qui pourtant reflète un sentiment qui me semble largement partagé : Jean était un fédérateur d’engagement. C’est cette dimension d’engagement en tant que partage avec d’autres, par-delà les organisations et pour rénover les organisations, qu’apportait Jean, en tout cas à nous qui étions à l’époque jeunes volontaires et pour qui s’engager dans ce partage avec d’autres était une dimension nouvelle de l’action collective. C’est cette dimension que je dois à Jean qui a été dans mon parcours quelqu’un d’extrêmement important et qui nous a fait également découvrir la notion de territoire. Nous, nous pensions politique de la ville, quartier, des espaces bien localisés dans lesquels nous souhaitions investir nos énergies d’étudiants et les modestes connaissances que nous avions pu engranger. Jean nous a ouvert là encore l’horizon en nous faisant comprendre que le territoire c’est aussi un espace de passage de relais, de dynamiques à créer et pas seulement un espace géographique. Et sur cette base, nous avons essayé bon an mal an de transformer concrètement la réalité avec pas mal de réussites mais aussi quelques échecs.
Après l’expérience de l’AFEV qui continue avec succès à développer ses activités, je me suis retrouvée à l’université et j’ai invité à de nombreuses reprises Jean à intervenir. Les étudiants qui avaient parfois des difficultés à intégrer les notions complexes de développement local et de territoire disaient souvent qu’avec Jean tout cela semblait beaucoup plus limpide, parce ce qu’il leur disait leur parlait « avec lui on comprend, parce qu’on le sent ». Là encore, je crois que c’est cette notion d’engagement qui était extrêmement importante. Nous avons prolongé ces échanges « magistraux » par des interventions sur le terrain pour passer à la pratique et cette relation entre la théorie et la pratique, cet aller et retour quotidien, nécessaire, indispensable pour acquérir ce savoir qu’il savait si bien transmettre, et là aussi je lui dois beaucoup pour cela.
Enfin je suis arrivée à la direction de la Fédération national des Pupilles de l’enseignement public (FG PEP). Cette organisation, qui vient de fêter les 100 ans depuis sa création, est souvent perçue comme une organisation ancienne, principalement gestionnaire d’établissements médicaux sociaux, et en charge de politique publique d’éducation, très imprégnée de la culture éducation nationale. Mais cette organisation souhaite évoluer et jouer un rôle dans la société, comme en témoigne le projet fédéral qui venait d’être adopté. Jean a donc été partie prenante des débats avec le conseil d’administration, avec l’équipe de cadres que j’ai le plaisir d’animer au siège fédéral, mais aussi avec l’ensemble de notre réseau. Il est venu plusieurs fois, n’hésitant pas à se déplacer en province, pour intervenir comme à Limoges dans des amphithéâtres bondés par des enseignants qui se posaient plein de question et des non enseignants qui disaient « oui, mais nous avec les enseignants nous ne nous comprenons pas ». Il venait pour nous dire que nous avions raison de travailler sur les PEDT au moment de la refondation de l‘école, que c’était des éléments fondateurs d’une nouvelle politique éducative car ils posaient les questions de gouvernance qu’il nous fallait aborder. Il est venu batailler avec tout ce petit monde, et nous nous sommes mis en route. Le lien avec Prisme à ce moment-là est devenu extrêmement enrichissant pour notre fédération, par ses mises en débat, par ses questionnements récurrents. Si aujourd’hui, nous collaborons dans « 1001 territoires » ou dans différents autres espaces, c’est grâce à cette conviction portée par Jean et d’autres autour de l’association Prisme qui consiste à réaffirmer constamment que chacun apporte par son expérience. Nos organisations doivent se nourrir de ces expériences pour transformer la société. C’est un point de convergence essentiel pour nous et Prisme continue et continuera dans cette logique j’en suis persuadée. C’est en tout cas très clair pour nous la FGPEP et nous en avons parlé lors du bureau fédéral réuni en septembre 2016, au cours duquel nous avons observé une minute de silence pour Jean. Nous avons besoin de Prisme, parce que c’est une bouffée d’air. Ce n’est pas une organisation parmi d’autres et cette originalité nous convient, ce pourquoi nous serons toujours là pour la soutenir dans l’esprit dans lequel Jean a voulu l’orienter.
* Directrice générale de la FGPEP
Etienne Butzbach*
Mettre l’humain au cœur des politiques éducatives
J’ai connu Jean en 2008, beaucoup plus récemment que beaucoup des anciens membres de Prisme. C’est un ami, Abdel Eddaoui à l’époque permanent des Pupilles de l’enseignement public (PEP) dans mon département qui me l’a fait rencontrer. Après vingt-cinq années à avoir travaillé au titre de mes diverses responsabilités d’élu local sur les questions éducatives, et alors que j’avais été élu maire de Belfort en juin 2007 et confirmé dans mon mandat en mars 2008, je souhaitais passer à une nouvelle étape des politiques éducatives dans ma ville en mettant en place un ambitieux projet éducatif global. Au-delà des attributions municipales habituelles d’un projet éducatif local souvent centré sur le péri et extrascolaire, nous souhaitions nous intéresser à l‘ensemble des temps éducatifs de l’enfant, y compris en développant un partenariat fort avec l’éducation nationale. En quelque sorte une préfiguration du projet éducatif de territoire tel que nous l’entendons à Prisme, beaucoup plus qu’au sens restrictif des circulaires ministérielles.
Afin de susciter la mobilisation collective seule à même de porter un tel projet, Je souhaitais que nous puissions engager dans l’ensemble de la ville un débat citoyen sur les questions éducatives. Dans le cadre d’une vaste concertation, la ville a alors organisé notamment un cycle de conférence et de rencontres afin que des experts de l’éducation, porteurs de conceptions proches de ce que nous souhaitions promouvoir puissent nous aider à réfléchir sur ces questions. C’est ainsi qu’après Hubert Montagner et Viviane Bouysse, Jean Roucou a accepté de venir faire une conférence dans la salle d’honneur de la mairie de Belfort ou près de 150 personnes ont pu bénéficier d’une utile mise en perspective de que pouvait être une politique territoriale d’éducation et mesurer la pertinence des orientations proposées localement au regard des expériences nationales suivies par Prisme.
Très vite, nous nous sommes trouvés avec Jean sur la même longueur d’onde, cette même volonté de mettre l’humain au cœur des politiques éducatives, de considérer l’enfants et les parents comme des acteurs essentiels, de prendre en compte l’ensemble des temps de l’enfant et d’attacher une grande importance aux activités y compris celles qui paraissent les plus minimes mais qui peuvent avoir un impact décisif sur la relation éducative. Ainsi je me rappelle cet exemple qu’il avait donné ce soir là d’une initiative qui peut paraitre anecdotique mais qui peut avoir d’importantes conséquences sur les relations entre les parents et l‘équipe enseignante dans une école. Plutôt qu’une fête de fin d’année, pourquoi ne pas avoir un moment festif en début d’année pour favoriser la rencontre avec les familles ? C’est à travers ces petits détails, qui n’en sont en fait pas vraiment, que l’on peut incarner les politiques publiques dans leur dimension humaine.
J’ai été tout de suite frappé par la vivacité bienveillante de Jean, son parler chaleureux coloré d’une petite pointe d’accent de son sud-ouest natal. Immédiatement, homme de réseau, Jean m’a proposé de participer aux activités de Prime. Ce que j’ai accepté avec plaisir dans la limite des faibles disponibilités liées à l’exercice de mes mandats électifs. J’ai ainsi pu assister à plusieurs réunions nationales de Prime qui m’ont permis de découvrir des personnalités militantes, attachantes, toutes engagées dans des combats de longue haleine pour une éducation humaniste et émancipatrice. J’ai ainsi participé à des échanges toujours stimulants, où la vivacité des débats et du frottement des convictions était toujours tempérée par le cadre respectueux et profondément convivial que savait instaurer Jean. C’est aussi à Prisme que j’ai rencontré nombre de complices actuels des nombreux chantiers dans lesquels nous sommes engagés aujourd’hui.
En 2014 et 2015 nos liens se sont resserrés. J’ai été alors chargé par la Ligue de l’enseignement de coordonner la conférence nationale de refondation de l’éducation, dont deux sessions se sont tenues en novembre 2014 et en mars 2016 et il me semblait logique d’associer Jean et Prisme à cette nouvelle aventure. Jean se préoccupait déjà de l‘avenir de Prisme et quelques jours avant que ne se révèle sa maladie en juin 2015 nous avions eu un long échange dans mon bureau rue Récamier sur le caractère inéluctable de la refondation de l’éducation et la nécessité de faire converger l’ensemble des énergies encore souvent trop dispersées, pour donner à l’éducation populaire le nouveau souffle qu’exige la période de bouleversements que nous traversons aujourd’hui. Nous étions convenus du rôle essentiel que doivent jouer les « majors » de l’éducation populaire, la Ligue, les PEP, les Francas, les CEMEA (Centres d’entrainement aux méthodes d’éducation active) et que le Collectif des associations partenaires de l’école (CAPE) fédère aujourd’hui avec vingt autres mouvements pédagogiques et associations œuvrant dans le champ éducatif. Il nous semblait important également de soutenir des réseaux d’acteurs de collectivités territoriales comme le réseau français des villes éducatrices ou l’association nationale des directeurs éducation des villes. Mais j’étais, comme lui, persuadé qu’une association comme Prisme devait trouver sa place dans cette constellation, avec cette vocation d’être un espace de libres paroles, portées par des valeurs communes, mais sans être contraintes par des logiques organisationnelles ou partisanes.
C’est cela la grande originalité de Prisme, ouvrir un lieu de débat critique et constructif, favorisant les rencontres entre militants de l’éducation de toute nature, dans le respect de la personnalité de chacun avec comme principal objectif la construction d’une pensée collective orientée vers la transformation concrète du système éducatif. C’est pourquoi, quand Martine Fourier et Jacques Guyard, avec bien sûr le plein accord de Jean, m’ont fait la proposition d’assumer la présidence de Prisme pour continuer l’ouvrage, j’ai répondu présent. C’est tout cela à quoi Jean a travaillé. Qu’il en soit remercié.
En conclusion, je voudrais, en paraphrasant René Char, comparer Jean à ce poète qui « face à l’effondrement des preuves (…) répond par une salve d’avenir », en souhaitant que nous puissions, dans ces temps incertains, reprendre le flambeau de cette conception citoyenne et humaniste du « faire ensemble » qu’il nous a légué.
*Président de Prisme
Philippe Meirieu*
Tenir Parole
De Jean Roucou, je garderai toujours présente à l’esprit l’image d’un être constamment à l’affût. Attentif aux êtres qu’il croisait, l’œil toujours vif et l’oreille en alerte, prêt à saisir une proposition, à s’emparer d’une idée, à rebondir sur une hypothèse et à mettre en route un projet. Curieux aussi de tout ce qui se faisait en éducation sur les territoires, conscient que les initiatives des acteurs avaient parfois plus de poids sur les choses que les instructions souvent assez formelles venues du sommet de la pyramide. Vigilant sur les enjeux et les valeurs, appliqué à débusquer, derrière les discours généraux et généreux, le sens des pratiques mises en place et leur impact réel sur le tissu éducatif et social de notre pays. Soucieux, enfin, de créer des étincelles fécondes en suscitant des rencontres imprévues, en mettant en contact des personnes qui ne se connaissaient pas, en offrant à chacune et chacun la possibilité de s’emparer d’informations, en favorisant systématiquement la mise en réseau.
Bref, Jean savait ce qu’être à l’affût voulait dire. Et il savait que cette attention permanente était la condition, face à tant d’entreprises velléitaires, pour tenir parole. Car telle était bien, à mes yeux, sa salutaire obsession : tenir parole pour une éducation qui n’exclut personne du cercle de l’humain. Tenir parole pour faire de la solidarité la valeur cardinale de nos engagements. Tenir parole pour que nos idéaux s’incarnent au quotidien dans le moindre geste et que nous puissions relever, sur le terrain, les défis fantastiques auxquels nous sommes confrontés.
Gardons de Jean cette obsession essentielle et soyons à l’affût comme lui. À l’affût de tout ce qui fait progresser l’émancipation des humains, de tout ce qui les réunit contre toutes les tentations de repli sur soi, de tout ce qui leur permet, non seulement de « vivre ensemble » – ce qui est, après tout, un piètre idéal -, mais aussi, et surtout, de « faire ensemble » : faire ensemble un monde où chacun ait une place, où l’on ne désespère jamais de quiconque, un monde où les éducateurs soient, comme Jean, capables de faire advenir, partout sur les territoires, des affranchissements furtifs mais décisifs. De ces affranchissements qui donnent sens à la vie et à nos engagements. De ces affranchissements qui découragent tout cynisme et congédient toute désespérance.
Je vois encore Jean, à l’affût, nous dire : « Il faut continuer, ne rien lâcher et inventer sans cesse… ». Merci cher Jean de rester ainsi avec nous. Nous tâcherons d’être à la hauteur de ce que tu as été.
*Professeur émérite, Université Lyon 1
[1] Jeunesse au plein air