Les gens du voyage passeront-ils du statut de « Français entièrement à part » à celui de « Français à part entière » ? La question, posée par le préfet de Mayotte Hubert Derache dans un rapport remis au gouvernement en juillet 2013, pourrait trouver prochainement une réponse législative. Les députés ont en effet approuvé mercredi 27 mai en commission la proposition de loi du député socialiste de Loire-Atlantique Dominique Raimbourg visant entre autres à supprimer le livret de circulation. Une survivance de l’Ancien Régime qui voulait contrôler nomadisme et vagabondage.
« Bien que français, les gens du voyage doivent encore pointer régulièrement au commissariat ou à la gendarmerie », déplore Olivier Le Mailloux, un avocat marseillais spécialiste de la question. En effet, les « personnes n’ayant pas de domicile fixe ni de résidence fixe depuis plus de six mois, et âgées de plus de 16 ans » ont obligation d’avoir sur eux un livret de circulation à jour.
Quelques exceptions ont été apportées en octobre 2012 à cette mesure vexatoire : certaines catégories de population itinérante ont été exemptées de livret. A l’époque, « le Conseil constitutionnel a ouvert une brèche dans l’évolution manifestement jugée trop lente des gens du voyage dans leur longue marche vers l’égalité républicaine », rappelle Hubert Derache dans son rapport.
« Données anthropométriques »
C’est Me Le Mailloux qui est derrière cette avancée. La question prioritaire de constitutionnalité qu’il a déposée est alors venue à bout du « carnet de circulation », la version la plus inquisitrice de cette famille de documents puisque « dans ce carnet figuraient des données anthropométriques comme la circonférence de tête ou la couleur du teint », s’insurge l’avocat. Il reste le livret, moins contraignant, mais toujours présent.
La proposition de loi portée par M. Raimbourg, qui se décline en trois volets, veut accélérer l’insertion de ce groupe de population dans le droit commun. Outre la fin des livrets, il inclut une obligation renforcée pour les communes de construire des aires d’accueil et leur octroie en retour la possibilité d’expulser plus aisément ceux qui s’installeraient ailleurs que dans un endroit balisé.
La loi du 5 juillet 2000 obligeait déjà les communes de plus de 5 000 habitants à construire une aire d’accueil. « Aujourd’hui, 40 000 aires devraient être offertes aux gens du voyage, or seules 27 000 le sont réellement », regrette M. Raimbourg. « Dans le sud de la France, que l’on s’intéresse à Marseille, où j’exerce, ou bien aux Alpes-Maritimes, 80 % n’en ont pas », ajoute Olivier Le Mailloux.
La loi de 2000 accordait bien au préfet un pouvoir de substitution dans la réalisation et la gestion des aires si la commune ne répondait pas à ses obligations, mais il n’a pas été utilisé. « Si des mises en demeure ont pu être adressées en nombre limité, ce pouvoir de substitution n’a jamais été mis en œuvre », rappelle le rapport Derache. Cette fois, la proposition de loi de Dominique Raimbourg proposera que le préfet ponctionne directement sur le budget communal le coût de construction d’une aire.
« Réticences » au PS
Politiquement sensible, le sujet ne fait pour l’heure pas de remous à l’Assemblée. Aucun des groupes parlementaires ne l’a évoqué lors de sa réunion du mardi matin et, au PS comme à l’UMP, les députés semblent davantage préoccupés par les congrès de leurs partis que par le travail législatif. Pourtant, lorsque ce texte avait été présenté pour la première fois au groupe PS, à l’été 2013 – à quelques mois des élections municipales –, il avait suscité quelques réactions, entre autres sur le renforcement des pouvoirs des préfets. Le député d’Indre-et-Loire, Laurent Baumel, s’y était notamment opposé et continue d’exprimer aujourd’hui ses « réticences » sur cette mesure, dans un contexte de « budgets communaux très contraints ».
L’examen du texte aura lieu en séance le 9 juin. La proposition de loi devrait, comme en commission, rencontrer un large consensus à gauche, en partie grâce au rapporteur PS et vice-président de la commission des lois, Dominique Raimbourg, considéré comme un « gage de consensus » par son collègue Olivier Dussopt. Ce qui n’empêchera pas l’UMP de combattre ce texte « déséquilibré, qui ne répond pas aux problèmes concrets des communes » d’après la députée du Doubs, Annie Genevard, qui avait déposé une proposition de loi de son côté, cosignée par 80 de ses collègues de droite. « Il se focalise sur la question de la discrimination, or il faut équilibrer les droits et les devoirs. Or, les difficultés des communes ne sont absolument pas prises en compte », déplore-t-elle. Egalement maire de Morteau, l’élue témoigne dans sa commune de « harcèlement envers la population, intimidation des commerçants et dégradations des installations publiques » de la part de gens du voyage.
Enfin, la droite devrait défendre à nouveau des amendements pour maintenir le seuil maximum (3 % de la population) au-delà duquel une commune ne peut plus accueillir de gens du voyage, que Dominique Raimbourg propose de faire disparaître. Aux yeux du député, cette barre a d’autant moins de sens que, sur les 36 000 communes, 300 seulement l’atteignent.
La France et l’Irlande sont les deux seuls pays d’Europe où la communauté du voyage ne s’est jamais sédentarisée. En France, la crise économique doublée d’une amélioration de la scolarisation des enfants ont amorcé un mouvement d’installation, léger encore, mais que la loi en cours de discussion pourrait accentuer.
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