In CIEP – Centre International d’Etudes Pédagogiques n°62 du mois d’avril 2013 :
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Les attentes éducatives des familles ont changé, partout dans le monde. Elles se sont à la fois diversifiées et accrues et cette évolution semble s’accompagner, en de nombreux pays, d’une perte de confiance dans la capacité de l’école à favoriser une insertion sociale réussie de leurs enfants. Les familles ont recours, de plus en plus souvent, à des stratégies de compensation, notamment en se tournant vers le marché scolaire.
À travers dix études de cas portant sur des contextes culturels économiques et géographiques très variés, l’examen des attentes des familles s’avère ainsi un puissant révélateur du fonctionnement des institutions scolaires elle-mêmes. Les décideurs sont aujourd’hui confrontés à des situations entièrement nouvelles, qui conduisent à repenser l’offre éducative officielle, au-delà de certaines idées reçues sur les parents « démissionnaires », en rupture, ou au contraire uniquement consommateurs.
Les études proposées dans ce dossier montrent que la réalité des relations entre l’école et les familles est en réalité multiforme, et souvent façonnée par les systèmes éducatifs eux-mêmes. Ces constats invitent à reconsidérer en profondeur les rôles de l’école et des parents, pour une compréhension mutuelle et une définition partagée de l’éducation.
Sommaire du numéro
- Actualité documentaire
Bernadette Plumelle
- Ressources en ligne
Federica Minichiello
L’intérêt croissant pour l’ouverture des données publiques : des initiatives en éducation
- Le point sur l’actualité internationale en éducation
Bernadette Plumelle
Les résultats de l’étude PIRLS 2011
-
Repères sur les systèmes éducatifs étrangers
Beata Kosová, Gilles Rouet
L’enseignement supérieur et le Processus de Bologne en Slovaquie -
Notes de lecture
Anne-Marie Bardi
Jean-Luc Gilles (dir.), Pierre Potvin (dir.), Chantal Tieche Christinat (dir.), Les alliances éducatives pour lutter contre le décrochage scolaire, Peter Lang/Berne, 2012
Jean-Michel Leclercq
Daniel Mallet, Maurice Berrard, Collèges et lycées du XXIe siècle : la révolution de l’autonomie ?, Armand Colin, 2012
Dossier
Les attentes éducatives des familles
Coordination : Xavier Pons, Florence Robine
Introduction [pdf – 1,4 Mo]
Les attentes éducatives des familles : des fausses évidences aux vrais défis
Xavier Pons, Florence Robine
Une privatisation inégalitaire des usages scolaires
Famille et éducation au Japon
Claude Lévi Alvarès
Le modèle centralisé de l’éducation japonaise a connu d’importantes transformations au cours des vingt dernières années. Face à des établissements scolaires sommés de se démarquer et de décliner leur caractère propre, les parents ont été invités à se transformer en consommateurs avisés. Les aménagements de la carte scolaire et l’augmentation de l’alternative privée dans les grandes métropoles ont renforcé les tendances à la clientélisation dans un système déjà caractérisé par l’expansion de l’industrie privée des Juku. L’auteur retrace cette évolution et interroge le renforcement des inégalités qu’elle induit.
Au-delà de la bienveillance paternaliste
Les familles populaires face à l’école au Brésil
Benjamin Moignard, Marcelo Burgos Baumann
Cet article s’intéresse aux relations qu’entretiennent l’école et les familles populaires au Brésil, en interrogeant leurs conséquences sur les attentes éducatives. Dans un contexte où l’implication des familles populaires dans l’école est particulièrement recherchée, on observe une distinction forte dans les formes de prise en charge des élèves, entre les secteurs public et privé. C’est dans ce contexte que les familles populaires organisent, modulent et développent un certain nombre d’attentes éducatives différenciées, envers une école qui, si elle se transforme, reste marquée par un traitement paternaliste de sa relation aux familles.
Parents, familles et école dans un système éducatif néo-libéral
Réflexions sur les attentes, les inégalités et les tensions dans le contexte anglais
Gill Crozier
En Angleterre, les politiques éducatives néo-libérales ont induit un certain nombre de comportements parentaux où l’on constate que « l’implication des parents » dépasse le simple fait de vérifier les devoirs scolaires des enfants, ou d’écouter ces derniers lire. Les parents jouent aujourd’hui un rôle essentiel dans leur capacité à rendre le marché de l’éducation opérationnel. Ils s’attendent désormais à pouvoir choisir un établissement pour leurs enfants et à avoir le droit de s’impliquer de manière utile dans la vie de l’établissement. L’article propose une analyse du rôle et des attentes des parents dans ce système éducatif néo-libéral, ainsi qu’une étude de l’impact de ce marché de l’éducation sur leurs attentes et leur implication.
Les conséquences du rôle donné aux parents sur les inégalités structurelles qui existent dans ce domaine ultra compétitif sont au cœur de cette réflexion.
Les attentes éducatives des familles aux États-Unis
Le « rêve américain » face aux différences de classe, de genre et de race
Katerina Bodovski
Cet article s’intéresse à la façon dont les familles américaines issues de différentes classes sociales, de divers milieux ethniques, appartenances raciales et communautés d’immigrants, parviennent à s’orienter devant la complexité des choix qui s’offrent à eux dans la « carte éducative » (educational map) et à adapter leurs pratiques parentales afin d’élever le meilleur enfant possible. L’auteure s’appuie sur les études sociologiques classiques, ainsi que sur sa propre analyse d’échantillons représentatifs des élèves américains du primaire, et montre combien les attentes éducatives sont des constructions sociales complexes.
Accompagnement et soutien scolaires : l’expérience béninoise
Clarisse Napporn, Abdel Rahamane Baba-Moussa
Procurer aux enfants une éducation de qualité est une priorité pour nombre de familles béninoises. Dans un contexte où le système scolaire présente un certain nombre de carences à leurs yeux, elles investissent fortement dans les travaux dirigés et les cours particuliers. L’article revient sur l’essor de ce phénomène et en propose une lecture critique. L’absence de formation des répétiteurs, aux profils sociaux variés, l’accumulation des heures de travail extra-scolaires sans souci des rythmes de l’enfant ou encore le coût important de ces séances qui peuvent avoir lieu dans des conditions matérielles extrêmement variables sont autant de phénomènes abordés par les auteurs pour discuter l’utilité de ce type d’accompagnement, mais aussi pour mettre en évidence l’importance de l’exploitation des attentes des familles par des marchands de savoir dont l’activité est faiblement régulée. L’article propose ainsi en conclusion des pistes de réflexions pour pallier ces dysfonctionnements importants.
L’éducation parallèle
Nature et implications du tutorat extrascolaire privé en Europe
Mark Bray
Le système éducatif parallèle de tutorat extrascolaire privé monte en puissance de façon de plus en plus nette en Europe. Dans une certaine mesure, ce phénomène résulte des déficiences du système conventionnel. Il reflète également la demande des familles, placées dans des environnements de plus en plus compétitifs. L’article donne d’abord une idée de l’échelle et de la distribution géographique de l’éducation parallèle, puis il identifie les modes opératoires et les domaines concernés, avant d’aborder la question de savoir quelles familles investissent dans cette forme de tutorat, et pourquoi. Enfin, l’auteur s’intéresse à l’impact sur les politiques publiques du développement de cette « éducation parallèle », et aux enseignements que peuvent en tirer les systèmes scolaires.
Vers l’émergence et le développement de Cités de l’Éducation
Jean-Pierre Pourtois, Huguette Desmet, Vanessa Della Piana, Marcelle Houx, Bruno Humbeeck
Les relations entre familles et école sont complexes et se sont souvent construites dans une défiance réciproque. Comment imaginer une école au sein de laquelle tout ce qui est appris trouve son sens dans l’ensemble des milieux de vie de l’enfant, et qui permette de lutter contre le déterminisme social ? Les auteurs explorent la piste de la coéducation, dans le cadre d’une recherche-action conduite en Belgique depuis plus de trente ans sur une génération d’enfants devenus jeunes adultes, puis parents à leur tour. L’article montre en quoi le partenariat école-famille-société est la clé d’une approche intégrée du processus éducatif. il présente quelques constats qui ont orienté la recherche-action « Parents partenaires de l’éducation », en décrit les modalités et l’évaluation qui en a été faite et présente, in fine, le concept de Cités de l’Éducation qui en a résulté.
La mobilisation scolaire des familles populaires françaises
Entre appropriation active des enjeux d’apprentissage et défiance
Séverine Kakpo
Après avoir rendu compte de l’évolution des attentes éducatives des familles françaises et plus particulièrement des mutations emblématiques qui ont affecté le rapport à l’école des familles appartenant aux couches sociales modestes, cet article se concentre sur les pratiques parentales d’accompagnement du travail scolaire en milieux populaires. Mobilisant les résultats d’une récente enquête ethnographique, il montre qu’une partie des familles populaires, loin de s’en remettre pleinement à l’institution, développe des comportements d’appropriation active des enjeux d’apprentissage et s’inscrit dans une logique de défiance pédagogique vis-à-vis de l’institution. Celles-ci semblent avoir profondément intégré l’idée que l’école ne constitue pas son propre recours et que les parcours scolaires se façonnent pour une large part en dehors de l’école.
Les attentes éducatives des familles pauvres au Maroc
Une investigation empirique
Aomar Ibourk
Dans un pays en développement qui présente des degrés de pauvreté et d’analphabétisme assez élevés, l’engagement des parents pour la réussite éducative et sociale de leurs enfants peut constituer un élément clé. Pour tester la réalité de l’accroissement des attentes éducatives des familles pauvres marocaines, un programme expérimental a été mis en place dans une région pauvre, le programme Tayssir. L’objectif était d’agir sur l’abandon scolaire en neutralisant certains des facteurs qui réduisent la demande pour l’éducation, tels que les coûts de scolarisation directs ou indirects. Les résultats montrent des attitudes favorables au prolongement des études des enfants, et ce même en cas d’arrêt des subventions. Le niveau d’instruction des parents ne semble pas affecter leurs attentes éducatives et l’arrêt des subventions ne déclenche pas de revirement de leurs intentions. Enfin, l’étude révèle un engagement beaucoup plus important de la part des mères, qui sont plus disposées que les pères à investir et à utiliser au mieux les subventions.
La montée de la préoccupation scolaire des familles populaires
Le cas de la Suisse Romande
Christophe Delay
Le système d’enseignement secondaire helvétique s’est massifié à partir des années 1960. Cette évolution, toujours en cours aujourd’hui, est en voie d’achèvement. Alors qu’au niveau inférieur, l’école s’est ouverte en 1969 aux élèves des milieux populaires, prolongeant leur scolarité de 13 à 15 ans, une grande majorité d’entre eux prolonge aujourd’hui, voire achève une formation au niveau supérieur. S’appuyant sur des entretiens qualitatifs réalisés récemment en milieu populaire, cet article vise à montrer comment cette transformation, de même que la crise de l’emploi ouvrier, ont conduit les familles suisse-romandes à s’approprier les enjeux scolaires en fonction de leurs ressources et à intégrer de plus en plus l’école dans leurs stratégies éducatives.
Références bibliographiques
Hélène Beaucher