La ministre de l’Éducation nationale a fait, dit-on un peu partout dans les médias, des maladresses de communication sur la réforme des collèges. Outre son attaque contre les « pseudo-intellectuels », elle aurait affirmé que les élèves – ou, du moins, certains d’entre eux – s’ennuyaient en classe. L’histoire se répète, ou, du moins bégaye : c’est aussi pour avoir utilisé ce mot d’ « ennui » que l’équipe chargée de la consultation sur les lycées en 1998 s’était faite épingler et avait subi les foudres de ceux et celles qui entendent lutter contre la démagogie scolaire, refusent de s’en remettre aux « caprices des élèves » et prônent l’exigence intellectuelle contre les tentations de la séduction qui feraient de l’École républicaine une nouvelle forme d’agence publicitaire…
On peut comprendre l’inquiétude qui se manifeste là et même partager vigoureusement la conviction que l’École doit résister au « capitalisme pulsionnel », à l’immédiateté compulsive, à la régression dans l’infantile et au syndrome de la toute-puissance. Mais il me semble qu’on ne doit pas, pour autant, traiter le phénomène de l’ennui à l’école par l’ignorance ou le mépris… Nous avons besoin d’une réflexion approfondie sur cette question qui permette, sans céder aux sirènes de la démagogie, de mobiliser les élèves fortement sur les savoirs qui leur sont proposés… C’est ce que j’esquisse modestement ici.
Si l’on consulte le célèbre Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire publiée sous la direction de Ferdinand Buisson à la grande époque de la fondation de l’École républicaine par Jules Ferry, on trouve, dans l’article « Ennui » de Félix Pécaut, quelques lignes étonnantes de la part d’un Inspecteur général de l’Instruction publique : « Qui n’a été frappé, en pénétrant dans la cour d’un de nos grands établissements d’enseignement secondaire, de la mine maussade, éteinte, ennuyée, d’un grand nombre de jeunes garçons ? Qui ne les a vus, dans la classe, subir les leçons comme une corvée monotone, sans que leur visage s’animât, sans que le moindre tressaillement vînt annoncer que le cœur prenne part à l’effort de l’intelligence ? Qui ne sait que, l’éducation terminée, un trop grand nombre d’entre eux se hâtent d’oublier une époque de leur vie qui, par leur faute ou par celle de leur maître, ne leur apparaît que comme un temps de labeur ingrat et ennuyeux ? ».
L’ennui n’est donc nullement un phénomène nouveau dans l’institution scolaire, mais ce qui, de toute évidence, a changé, ce sont ses manifestations. Nous assistons, en effet, aujourd’hui au passage d’un ennui contenu dans les limites de la convenance scolaire, à un ennui qui s’étale ostensiblement avec une arrogance insupportable, interroge la légitimité même des enseignants et menace parfois l’équilibre de l’institution… Mais, en fait, c’est moins la réalité du phénomène qui pose problème aux enseignants, aujourd’hui, que les comportements qui lui sont associés et qui sont vécus comme beaucoup plus agressifs de la part de ceux qui sont chargés d’enseigner dans l’institution scolaire. Disons-le crument : les élèves qui savent s’ennuyer poliment n’ont, aujourd’hui, aucun problème avec l’École. Le problème, ce sont les autres !
En d’autres termes, la convenance scolaire est devenue, pour un grand nombre d’élèves, une « langue étrangère ». Face à ce constat, trois possibilités se présentent spontanément : enseigner en « langue étrangère », par exemple en verlan, au risque évident d’une surenchère de démagogie ; enseigner à tous la « langue maternelle scolaire » au risque d’une perte de temps infinie et de conflits culturels dans lesquels les enseignants peuvent s’épuiser ; réserver les bénéfices de l’enseignement à ceux qui maîtrisent la « langue maternelle scolaire », avant même d’arriver à l’école, au risque d’exclure de l’accès aux savoirs scolaires le plus grand nombre des enfants et adolescents.
L’enseignement entre « le plaisir de la rencontre » et « les contraintes de l’organisation » (…)
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