En 1952, l’US Air Force est confrontée à ce paradoxe : elle recrute de meilleurs pilotes, les forme mieux et ses avions de chasse bénéficient de technologies plus avancées que jamais. Pourtant, les performances diminuent. La suite de l’histoire est racontée par le chercheur en éducation Todd Rose, de l’université Harvard, dans une conférence TEDx. Après avoir accusé les pilotes puis les ingénieurs, l’Air Force s’intéresse à l’ergonomie de ses cockpits. Ces derniers sont alors conçus en fonction des mensurations moyennes des pilotes de chasse, à partir d’une dizaine de mesures – taille, poids, longueur des jambes, largeur du torse, etc. Un chercheur de l’US Air Force collecte les mensurations de 4000 pilotes, cherchant combien d’entre eux ont la taille moyenne sur l’ensemble de ces critères. Résultat: aucun. Le « pilote moyen » n’existe pas; le « cockpit moyen » n’est, littéralement, adapté à personne. L’Air Force commande donc aux constructeurs des cockpits adaptables, et c’est notamment à ces recherches que nous devons la généralisation des sièges inclinables et des volants à hauteur variable dans nos voitures. Non seulement les performances s’améliorent, mais le fait de ne plus raisonner en termes de « moyenne » permet à l’US Air Force d’élargir son vivier de recrutement de pilotes de chasse à des candidats qui, jusque-là, étaient recalés sur des critères physiologiques, notamment les femmes.
Tous les systèmes éducatifs sont confrontés à la même problématique : concevoir des programmes et des approches susceptibles d’améliorer le niveau du plus grand nombre et de favoriser la diversité, du moins jusqu’au terme de la scolarité obligatoire – à partir du lycée, en France, il est admis que les parcours divergent. La question se pose donc essentiellement au primaire et au collège: quelle marge d’initiative laisser aux enseignants et aux établissements afin qu’ils puissent adapter leurs méthodes aux élèves qu’ils accueillent ?
Les établissements refusent de s’adapter, les élèves trinquent
Aux premiers, l’Education nationale reconnaît la « liberté pédagogique ». Chaque professeur est libre de mettre en oeuvre les méthodes qu’il juge les plus adaptées aux besoins de ses élèves. Il est tout aussi libre de ne pas les ajuster : l’accompagnement pédagogique, notamment dans le second degré, est quasi inexistant, la formation continue est sinistrée et il existe une défiance persistante au sein du corps enseignant à l’endroit de la recherche en éducation, accusée de produire des savoirs « en chambre », déconnectés de la réalité des salles de classe. Aux seconds – les établissements -, le système concède quelques marges d’autonomie, notamment dans l’organisation des emplois du temps ou afin qu’ils mettent en oeuvre un « projet d’établissement » singulier. Là aussi, le spectre est large : quelques-uns s’emparent résolument de cette autonomie, la majorité se contente de l’utiliser à la marge. […]