PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

L’école a toujours été confrontée aux inégalités des conditions de vie de la population, mais la façon dont elles ont été considérées et traitées ont profondément évoluées. Un regard historique et politique sur l’évolution de l’Ecole

L’ECOLE ET LES INEGALITES SOCIALES Jean-Louis PIEDNOIR 7 juillet 2005 Constats et évolutions 1/Au départ de l’école républicaine L’école a toujours été confrontée aux inégalités des conditions de vie de la population, mais la façon dont elles ont été considérées et traitées ont profondément évoluées. Rappelons que pour Jules Ferry et les fondateurs de l’école républicaine il était normal qu’elle traite différemment les enfants de la bourgeoisie destinés aux emplois de niveau supérieurs de ceux que leur condition destinait à être ouvriers ou paysans; Pour les premiers il y avait les lycées, dont la scolarité était payante, et qui dans ses petites classes accueillaient les enfants dès l’âge de la scolarité obligatoire, pour les autres l’école communale, gratuite, et éventuellement ses prolongements, les cours complémentaires, les écoles primaires supérieures et les écoles normales primaires pour les futurs instituteurs. Rappelons que la gratuité des études au lycée date de 1925 mais que les manuels et les fournitures restent à la charge des familles contrairement à la pratique du primaire, primaire supérieur inclus. L’accès à l’université était réservé aux anciens des lycées. Pour les très bons élèves des écoles primaires, par l’intermédiaire des bourses d’études, auxquelles les enfants d’étrangers n’avaient d’ailleurs pas droit, quelques individus pouvaient accéder à l’université. Un tel système était incompatible avec l’évolution économique et celles des mentalités. Une demande sociale de prolongation d’études apparaît entre les deux guerres que se dispute le 1er et le 2ième degré, le 1er est culturellement dominé mais plus proche des préoccupations de la population intéressée. Les partisans d’une démocratisation de l’accès au savoir remarquent que les programmes des sections modernes des lycées et ceux des Ecoles Primaires Supérieures (EPS) se ressemblent et que ces établissements se différencient surtout par les catégories sociales qui les fréquentent. Ils préconisent le passage d’un système par ordre à un système par niveau, les écoles primaires absorberaient les petites classes des lycées et on unifierait le second degré. Jean Zay, ministre de l’éducation nationale sous le front populaire tentera de lancer le mouvement. Jérôme Carcopino, ministre du régime de Vichy fusionnera EPS et lycée pour satisfaire les revendications des professeurs des lycées exaspérés par une concurrence jugée déloyale et entamant le prestige des humanités classiques, mais dans un contexte très différent de celui de 1936. Après la guerre, de nombreux anciens élèves des EPS complèteront en autodidactes leur formation et seront des techniciens et des cadres de la croissance économique. Avant comme après 1945, la discrimination sociale à l’école était bien connue mais ceux qui la combattaient l’attribuaient essentiellement à des causes économiques, les études coûtaient aux familles et elles avaient besoin du salaire des jeunes, voire à des causes culturelles, méconnaissance des avantages d’une meilleure formation, crainte d’une distance trop grande entre les jeunes risquant d’être déracinés et leurs parents. Aides à la famille et information devaient promouvoir la démocratisation et la promotion des meilleurs quel que soit leur milieu social d’origine. Le fameux rapport Langevin-Wallon est marqué par cette conception. Il est vrai que les actions menées à partir de ces présupposés ont permis à de nombreux jeunes issus des milieux populaires de faire des études souvent longues et de répondre à la demande sociale et économique de davantage de qualifications, mais l’effet restait quantitativement limité. 2/L’émergence de la question Il reviendra aux démographes et au sociologues de l’Institut National d’Etudes Démographiques, à partir d’une vaste enquête (suivi sur plusieurs années de la scolarité de 18000 jeunes), de mettre en évidence le lien fort entre l’origine sociale d’un jeune et sa réussite scolaire. A la fin des années 50 plusieurs articles paraîtront sur le sujet. ils seront ensuite exploités par des sociologues, dont le plus célèbre est Pierre Bourdieu, dans les années 60. En moyenne les enfants d’ouvriers non qualifiés réussissent moins bien que ceux des ouvriers professionnels qui eux mêmes réussissent moins bien que ceux des catégories sociales supérieures. Il y a les exclus du savoir, les enfants des très pauvres, ceux quart-monde, et les champions des scolarités réussies, enfants de cadre supérieurs et surtout de professeurs. Depuis les études sur les déterminants sociaux de la réussite scolaire se sont multipliées, l’Education Nationale s’est dotée d’instruments d’études performants sur le sujet, mais chaque étude amène le même constat: sur la longue période la liaison entre la position sociale de la famille et la réussite scolaire si elle s’est déplacée ne s’est que légèrement atténuée. Malgré toutes les études faites l’alchimie qui transforme l’inégalité sociale en inégalité scolaire est encore mal connue. Parmi les causes identifiées mais non quantifiées retenons les plus importantes: -la précarité et l’instabilité des conditions de vie des plus pauvres ne facilitent pas les apprentissages de leurs enfants -le capital linguistique acquis dans la famille est insuffisant pour profiter des exercices scolaires -la culture scolaire est plus proche de celle vécue dans les familles des catégories sociales privilégiés que de celle vécue dans celles du milieu populaire -l’environnement social des enfants de milieux défavorisés ne relaie pas l’action de l’école, place de l’écrit faible, pas de fréquentation de livres, peu de recours à l’abstraction, etc… Notons toutefois qu’il ne s’agit pas de déterminisme mais de tendance, que d’autres facteurs sociaux que la catégorie sociale interviennent; reste que parmi les jeunes qui quittent le système éducatif sans maîtriser les compétences de base nécessaires pour une insertion sociale et professionnelle, les plus pauvres sont ultra majoritaire. Les actions menées. 1/Quelles actions? Confrontée au phénomène de l’échec scolaire l’institution Education Nationale a pris un certain nombre d’initiatives surtout depuis 1974, date à laquelle a été institué par le ministre René Haby le collège dit unique. La grande difficulté scolaire devenait alors flagrante et c’est surtout au collège que des initiatives ont été prises, puis plus récemment au lycée. Avant cette date, pour l’école, le phénomène de l’échec scolaire était marginal, les élèves en échec redoublaient puis s’éliminaient d’eux-mêmes du système éducatif; ce qui du temps du plein emploi n’avait pas les mêmes conséquences que maintenant. Dans le 1er degré plusieurs dispositifs ont été mis en place pour aider les enfants présentant des difficultés d’apprentissage, ils sont regroupés sous le vocable: "adaptation et intégration scolaire" (AIS). En accompagnant la demande sociale de pré scolarisation et en diminuant les effectifs des classes maternelles, beaucoup d’acteurs du système ont espéré diminuer l’échec scolaire. L’institution des cycles devait permettre un étalement bénéfique des apprentissages de base. Au collège, dispositifs de soutien puis de remédiation pour les classes de 6ième et de 5ième, classes spécialisées à effectifs allégés, recours à la technologie ou à une perspective d’insertion professionnelle se sont succédés depuis trente ans, chaque dispositif se superposant ou chassant le précédent. Pour la grande difficulté, baptisée un temps "débilité légère", ont été créées les sections d’éducation spécialisées devenu "sections d’enseignement général et professionnel adaptée" Au lycée sont apparus les modules censés permettre une pédagogie différenciée puis l’aide individualisée. Toutes ces initiatives ne concernent pas officiellement la lutte contre les inégalités sociales mais l’échec scolaire, mais comme les deux variables sont liées, statistiquement, les dispositifs sont essentiellement peuplés de jeunes issus des milieux défavorisés. Tout autre est la démarche suivie par A. Savary dans la mise en place des zones d’éducation prioritaire. On prend acte que les populations défavorisées se concentrent dans certaines zones et on met à la disposition des équipes pédagogiques des établissements concernés des moyens supplémentaires pour leur permettre des actions spécifiques. Depuis longtemps les bourses, les caisses des écoles, et plus récemment les fonds sociaux des établissements scolaires, permettent de faire face à des difficultés économiques des familles. L’inégalité sociale face à l’école ne se mesure pas seulement par une inégalité de réussite mais aussi par une inégalité dans l’orientation même en cas de réussite identique à celles des jeunes issus des classes favorisées. En particulier les enseignements technologiques et professionnels scolarisent la grande majorité des enfants du milieu populaire y compris au niveau "bac+2" de formation. Ainsi l’ex terminale E était composée à 50% de fils d’ouvriers contre 25% dans l’ex terminale C, alors que les débouchés des deux classes étaient très proches. Une certaine spécialisation sociale des filières existe. La création, puis le développement, des passerelles entre les différentes filières ont permis à des jeunes que la sociologie destinait à des études courtes de faire des parcours longs. Elles permettent à l’ascenseur social de fonctionner encore, même si les médias les ignorent. Il est vrai que les journalistes n’y mettent pas leurs enfants. 2/Quelle efficacité? La description des actions menées par l’institution pourrait faire croire que la questions des inégalités sociales a été prise à bras le corps, ce qui n’a pas été le cas. Elles ont rarement été portées par l’ensemble des acteurs et trop souvent confiées à des spécialistes ou, en cas de pénurie, à des personnels nouveaux titulaires ou auxiliaires. Les études les plus récentes montrent la persistance du phénomène. Le rapport du haut comité pour l’évaluation de l’école (Hcéé) rédigé par A.Hussenet et Ph.Santana, l’article d’A.Davaillon et d’E.Nauze-Fichet paru dans la revue Education et Formations numéro 70 de décembre 2004 sur les trajectoires scolaires des enfants "pauvres", fournissent des indicateurs quantitatifs précis. Il existe des études partielles sur l’impact insuffisant des diverses mesures. Sans viser à l’exhaustivité on peut risquer quelques analyses. Si la fréquentation de l’école maternelle est facteur de réussite scolaire ultérieure pour tous, elle profite davantage aux enfants culturellement favorisés. L’absence de spécialisation des professeurs des écoles exerçant en classe maternelle, de leur encadrement, qui se traduit par une place restreinte dans la formation à l’IUFM, ne permet pas d’espérer une amélioration à court terme, c’est plutôt le contraire qui risque de se passer. A l’école primaire les cycles existent surtout sur le papier et sont trop rarement une réalité de terrain. L’échec est traité sur le mode psychologique, on ignore les aspects sociaux et ceux dus à la différence d’âge entre les enfants nés au début de l’année et ceux nés à la fin. Sur le sujet voir les études faîtes par J.Ferrier. Plus généralement, la mise à part d’enfants ayant des difficultés d’apprentissage est contre productive. Du cours préparatoire à la fin du collège ils souhaitent être comme les autres. De même il est montré depuis maintenant plus de trente ans que le redoublement a, à ce niveau, la même efficacité que la saignée des médecins de Molière pour soigner diverses maladies. Au collège la succession rapide des diverses dispositions prises a été contre productive. La direction concernée lance une action relayée par les rectorats, des professeurs s’impliquent, quelques années après la même direction leur explique qu’ils ont tout faux et qu’il faut faire autre chose, le tout sans évaluation sérieuse, sans consultation des acteurs concernés. Il y a eu les CPPN et les CPA, les quatrièmes d’aide et de soutien et les troisièmes d’insertion, les classes technologiques et maintenant l’alternance et la découverte professionnelle. Rien que des "trucs pour débiles" comme avait répondu à un journaliste un jeune ayant fréquenté une de ces structures. Avouons que cette succession a de quoi décourager les enseignants les plus militants et les plus impliqués dans ces dispositifs. Un moment, des cycles 4ième 3ième en trois ans ont fleuri dans de nombreux établissements, ils ont disparu quelques année après, sans bruit, surtout sans évaluation. Leur efficacité possible restera un mystère sauf si dans quelque temps l’initiative est reprise et présentée comme une grande nouveauté dans un institution qui s’évertue à ne pas avoir de mémoire. Au lycée les modules, conçus pour permettre une pédagogie différenciée, sont rapidement devenus de simple dédoublement améliorant surtout les conditions de travail des professeurs. L’aide individualisée en classe de seconde n’a pas non plus remplie ses promesses faute d’une pédagogie adaptée. Faire le même type d’exercice devant 7, 15, 30 élèves a grossièrement la même efficacité, mais les coûts pour la collectivité ne sont pas identiques. En fait, à ce niveau, c’est au lycée professionnel que les progrès les plus importants ont été faits. Le succès du baccalauréat professionnel, la réussite de jeunes passés par la 1ère d’adaptation en témoignent. Mais ce que font les lycées professionnels est largement ignoré des autres établissements. Sur le sujet voir l’ouvrage de P.Rotmann "Tant qu’il y aura des élèves". Le bilan des zones d’éducation prioritaire est mitigé. Leur dilution, trop de zones classées, la faiblesse des liaisons avec les autres institutions dans les projets ont été souvent notés par les observateurs. Il en résulte, pour les bénéficiaires, des moyens supplémentaires modestes et une action pédagogique affaiblie. Les sceptiques dénoncent les effets de seuil, la stigmatisation engendrée par le classement en ZEP. Reste que les conditions d’enseignement varient profondément d’un établissement à l’autre et que les plus défavorisés sont bien concentrés sur certains territoires et que cette donnée doit être prise en compte. Pour une plus grande égalité 1/ Peut-on faire mieux? 1.1/ Que font les autres pays? Les considérations qui précèdent n’incite pas à l’optimisme. Un ministre qui voudrait s’attaquer à l’inégalité sociale à l’école aurait-il les moyens de faire mieux? Peut-on trouver des marges d’action? Que font les autres nations, Des enseignements peuvent être tirer de l’enquête international "PISA" qui s’est déroulée dans plusieurs pays de l’OCDE. Elle concerne tous les jeunes de 15 ans qui sont scolarisés et mesure leurs compétences dans trois domaine: maîtrise de l’écrit, mathématiques, sciences. Malgré les réserves qui peuvent être faîtes quant aux exercices auxquels les jeunes de l’échantillon ont été soumis, les comparaisons internationales sont instructives .Il ne faut cependant pas majorer leur importance, les variations entre pays n’expliquent que 10% des variations totales de performance. La Finlande et la Corée du Sud arrive en tête du palmarès, la France se place dans un honnête moyenne, l’Allemagne est en retard. Du point de vue des inégalités sociales de réussite scolaire des pays font mieux que la France. Globalement c’est le pourcentage de jeunes en difficulté qui varie le plus d’un pays à l’autre. L’inégalité sociale de réussite engendre naturellement une plus grande dispersion des résultats mais, contrairement à une opinion a priori, cela ne facilite pas l’émergence d’une élite scolaire, c’est plutôt le contraire qui est vrai. Pour les pays développés il n’y a pas de relation entre la dépense intérieur d’éducation et les performances moyennes des jeunes ou les inégalités sociales de réussite. De même les inégalités de revenus des familles dans plusieurs pays peuvent être les mêmes et pourtant les inégalités sociales de réussite scolaire sont très différentes. S’il existe une liaison entre la richesse d’un pays et sa performance moyenne, celle-ci ne transite pas seulement par la dépense publique consacrée à l’éducation mais aussi par d’autres canaux. Comme quoi tout n’est pas affaire de budget. Les pays qui font mieux que la France, meilleure moyenne, moindre influence des inégalités sociales, sont caractérisés par: -une ignorance du redoublement -un tronc commun à l’ensemble d’une classe d’âge long -des classes hétérogènes -une action spécifique pour les élèves à "besoin pédagogique particulier" -un grand prestige de l’institution école dans la société globale. A contrario les pays à sélection précoce comme l’Allemagne sont en retard sur les deux indicateurs, performance moyenne, inégalité sociale. 1.2/Les variables intéressantes Des marges de manœuvre existent donc. Des expériences locales où "on a mis le paquet" le montrent également. Pour contribuer à leurs élaboration on a exploré deux voies. La première est de déterminer quand se forme l’inégalité, la seconde est de voir pourquoi des jeunes issus des milieux défavorisés réussissent quand même. Il aurait aussi fallu chercher les caractéristiques des élèves issus des milieux favorisés et qui échouent à l’école, mais, à ma connaissance, il manque d’études récentes sur le sujet. Sur le premier point on diagnostique une formation précoce de l’inégalité face à l’école, dès le cours préparatoire. Peut être se forme-t-elle dès la maternelle mais il est difficile de la mettre en évidence. Quand la classe d’âge arrive en sixième les observateurs notent que 80% de l’inégalité sociale de réussite scolaire de la scolarité obligatoire est déjà constituée. Il n’est pas étonnant que les remédiations tentées dans cette classe soient relativement peu efficaces. Au delà de la scolarité obligatoire, l’orientation, socialement marquée, ajoute son effet à la réussite scolaire, elle même différente selon les catégories sociales des élèves. C’est donc au primaire que l’attention des décideurs doit se porter. Sur le deuxième point on distingue les caractéristiques sociologiques de ceux qui réussissent et les évènements liés à des trajectoires plus personnelles. Dans la fraction de la population la plus défavorisée (14% de l’effectif des jeunes entrée en 6ième en 1995), parmi ceux qui réussissent sont sur représentés: -ceux dont le père est né à l’étranger -ceux dont au moins un des parents a un travail régulier à plein temps -ceux qui vivent dans un famille bi-parentale -ceux dont les parents assistent aux réunions organisées par l’établissement scolaire et ont des contacts avec les enseignants -ceux qui ont des activités extra scolaires dont notamment la fréquentation des bibliothèques -ceux qui ont un projet d’études ambitieux. Par contre le revenu familial, le logement, le quartier où il est implanté sont des variables de faible importance. Dans l’histoire personnelle des jeunes ayant réussis, la plupart d’entre eux ont rencontré un enseignant qui leur ont donné le goût de l’étude ou ont fréquenté un établissement qui a su leur faire mesurer l’enjeu. L’effet maître existe bien et l’effet établissement aussi. Ceux qui sont actuellement engagés dans des études supérieures reconnaissent qu’ils ont fait sérieusement leur travail scolaire, que l’école leur a donné des méthodes de travail efficaces et que leur famille les a encouragé à travailler régulièrement. Il n’y a pas de secret, mais, malheureusement, tous ceux qui ont fait confiance à l’institution ne réussissent pas, il y a là matière à réflexion. On note aussi, dans les familles nombreuses, l’importance de la réussite de l’aîné sur celle de ses cadets. Toutes ces observations sont de nature statistique et le poids de chacune des variables, sociologiques ou autres, a été mesuré, les résultats figurent dans les articles cités ci-dessus. On peut toujours trouver des exemples illustrant le contraire de ce qui est affirmé ici, mais ils ne sont pas représentatifs, les patrons de gauche existent mais ils ne sont pas non plus représentatifs de leur catégorie! 2/Quelles actions? 2.1/Le rôle du politique Le rappel des actions passées, les comparaisons internationales montrent que lutter contre les inégalités sociales à l’école n’est pas chose facile. Obtenir des succès concrets et tangibles suppose une volonté politique forte, une priorité affirmée, une continuité dans l’action. L’enjeu est important, il y va de la cohésion sociale, de l’intégration des jeunes issus de l’immigration, des progrès de la démocratie, de l’efficacité future de l’économie. La politique à mener dépasse le cadre strict de l’éducation nationale, elle implique l’action d’autres ministères et celle des collectivités locales. La mobilisation de forces sociales, de militants et d’acteurs locaux est indispensable. Le passé nous apprend que le temps de l’éducation est le temps long, que des décisions prises en fonction d’un rapport de forces conjoncturel peuvent être contre productives. Deux exemples peuvent illustrer le propos. Pour le collège l’abandon du projet prévoyant un corps de professeurs spécifique a achevé l’alignement de l’enseignement à ce niveau sur le modèle pédagogique du petit lycée, avec ses professeurs très spécialisés, une culture en tiroir, où le jeune lui même (ou ses soutiens familiaux) doit faire la synthèse des savoirs enseignés, culture en rupture profonde avec celle vécue à l’école primaire. Comme le note avec force A.Prost, ce modèle ne favorise pas les apprentissages des enfants du milieu populaire pour lesquels le modèle pédagogique du primaire supérieur était mieux adapté et que l’ensemble de la social-démocratie européenne a adopté. Pour y remédier on invente des exercices pédagogiques, comme les itinéraires de découverte, compliqués et qui ont du mal à passer dans la réalité de l’enseignement. La réforme pédagogique des lycées, dont l’élaboration s’est faîte entre 1990 et 1994′ n’a atteint à peu près aucun de ses objectifs affichés, mais en comparant les vœux d’orientation des élèves scientifiques dans l’ancien et dans le nouveau système, un sociologue, B.Convert, a mis en évidence un recul de l’égalité sociale dans l’accès aux études scientifiques longues. Il existe déjà de nombreuses propositions d’action pour avancer. Le rapport de A.Hussenet pour le HCéé, cité ci-dessus en comporte un certain nombre, elles paraissent toutes judicieuses. Pour une approche plus politique on peut classer les propositions à faire en trois catégories: celles qui relèvent d’une volonté générale, celles qui sont du ressort du ministre et qui tiennent à l’organisation des services, celles qui relèvent davantage de la pédagogie et qui nécessitent un pilotage fin et participatif. La volonté politique doit s’afficher clairement, il faut mobiliser l’opinion publique, les élus locaux. Le succès dépend du soutien de tous les acteurs sur le terrain. L’école ne peut pas être dissociée du territoire où elle est implantée. L’importance des activités extra scolaires dans la réussite des jeunes des milieux défavorisés, les responsabilités des collectivités locales plaident pour le développement et le renforcement des contrats éducatifs concertés, l’organisation de l’espace éducatif. On a vu que la réussite des jeunes dépend d’un climat général, d’un état de la société. Evidemment une façon de réduire les inégalités est d’éradiquer le chômage, mais c’est une autre affaire!; en attendant il est nécessaire d’agir pour rapprocher les familles de l’école, pour montrer l’importance de cette institution. Les pays qui réussissent le mieux sont ceux dans lesquels l’école est reconnue. Toutes les familles, y compris les plus défavorisées, savent des choses sur les difficultés vécues par leur enfants, il s’agit de mieux les associer à l’action éducative de l’institution. 2.2/L’effet maître Dans l’institution le succès dépend de la mobilisation des personnels concernés. Cela pose la question du dialogue avec des organisations syndicales divisées. Pourra-t-on éviter que la plus importante organisation lutte contre l’institution des travaux personnels encadrés en lycée pour s’indigner quelques années après de leur suppression? Des actions plus sectorielles sont à prévoir mais la priorité est à donner à l’école maternelle et au premier degré et particulièrement au cours préparatoire. La formation, initiale et continue, des maîtres est fondamentale. On ne peut qu’être inquiet du peu d’intérêt que portent de nombreux IUFM à l’école maternelle, un savoir-faire spécifiquement français risque de disparaître, comme a disparu dans un passé récent d’autres savoir-faire pédagogiques. Le redoublement a, sur la longue période, beaucoup diminué, il s’agit maintenant de le supprimer compte tenu de son inefficacité, de le remplacer par le soutien des élèves à besoins pédagogiques particuliers comme cela se passe en Finlande par exemple. Il faut s’appuyer sur l’effet maître et l’effet établissement pour réussir. Là encore la formation des maîtres joue un rôle important mais ne dispense pas d’une action plus institutionnelle. Il existe actuellement des établissements ghetto dont l’existence est catastrophique pour les jeunes qui les fréquentent, mais aussi pour l’ensemble du système éducatif, car sous le feu des médias, ils donnent une image de l’éducation nationale qui empêche la mobilisation autour de l’institution. Dans certains collèges l’élève qui travaille est l’objet des moqueries, des brimades de ses camarades, or sans travail, pas de réussite. On pourrait aussi parler de la situation difficile des adolescentes fréquentant ces établissements, des pressions exercées sur les élèves d’origine maghrébine par certaines associations se réclamant de l’Islam. Autant de phénomènes qui ne favorisent pas les apprentissages. L’outil ZEP peut être utilisé pour casser les ghetto, mais il faut que la priorité soit conséquente, donc concentrer les moyens là où il y a urgence et donc revoir la carte, simplifier les dispositifs qui se superposent, revivifier le projet de zone, accompagner ceux qui sont en première ligne et exerce dans des conditions très difficiles. Pour le faire, il faut des moyens et avoir le courage de les récupérer là où les conditions d’exercice du métier d’enseignant sont faciles. Au delà du ghetto l’homogénéité ethnique de certains quartiers engendre celle de l’établissement scolaire de proximité, ce qui favorise les dérives signalées précédemment et d’autres. Certains jeunes se posent trop facilement en victime permanente même et surtout quand la puissance publique a fait le maximum, ce qui évite de s’interroger sur ses propres responsabilités. 2.3/Un pilotage fin du système La notion de pilotage est essentiel pour le succès de l’action. Quand une initiative est prise à l’échelon central et envoyée dans les établissements, on observe très souvent un décalage considérable entre ce qui était prévu au départ et ce qui est réalisé effectivement sur le terrain. Faute de suivi, d’accompagnement, de participation des acteurs à la décision, après une mise en place à la sauce locale de la décision ministérielle, on abandonne tout doucement l’innovation pour faire ce que l’on a l’habitude de faire. Il faut en finir avec le harcèlement par circulaire, informer et associer les acteurs, évaluer la pertinence de ce qui se fait pour ensuite modifier, infléchir. Les recteurs, les inspecteurs d’académie et leurs équipes ont un rôle important à jouer, ils doivent aussi prévoir les moyens pour aider les équipes dans des situations délicates. Il faut en finir avec un mode de gestion de type caporalisant inadapté à une institution dont le développement de l’intelligence est une des finalités. Il faut aussi accroître la compétence pédagogique des maîtres, tenir compte des résultats de la recherche dans ce domaine, faire sa place au travail personnel de l’élève, toute chose nécessitant une animation pédagogique actuellement insuffisante. L’appel à leurs capacités d’innovation est essentiel. Après la scolarité obligatoire vient le lycée. Si une proportion importante des jeunes issus des milieux les plus défavorisés quittent l’école avant le lycée, (le quart de l’effectif) la majorité d’entre eux essaie d’acquérir une qualification, les structures de l’éducation nationale les y aident par l’intermédiaire, en particulier, de la mission générale d’insertion. Ils sont souvent attirés par l’apprentissage mais les lycées professionnels en reçoivent un nombre important. Il ne faut pas qu’à l’inégalité de réussite se superpose une inégalité provenant des procédures d’orientation. Trop souvent, certaines filières tertiaires, surchargées, jouent pour les jeunes des familles défavorisées un rôle de miroir aux alouettes, surtout pour les filles. Les conseils de classe doivent rendre des comptes sur ce sujet. De plus les filières fréquentées par une proportion importante de ces jeunes doivent être valorisées, par la parole, mais aussi par la qualité de l’environnement, des équipements, et surtout par l’existence de débouchés professionnels réels. Les lycées professionnels ne sont pas les parkings trop souvent décrits et, pour l’insertion, le clivage le plus important est entre ceux qui ont acquis un diplôme de niveau V et les autres. 2.4/Quid des contenus Pour expliquer l’inégalité scolaire l’écart entre la culture transmise par la famille et celle véhiculée par l’école variait selon les milieux. La culture scolaire est très proches de celle des classes privilégiés, loin de celle vécue par les jeunes des milieux défavorisés, et pour eux les enseignements n’ont pas de sens et ils s’en détournent. Il en résulterait qu’une action efficace devrait rapprocher les contenus enseignés des préoccupations des jeunes, il faudrait revoir tous les programmes. L’analyse résumée ci-dessus est partiellement vraie, il faut que tous les élèves trouvent du sens aux activités scolaires. Mais les tenants de la subversion des programmes ont toujours tenu un discours global sans proposer les contenus d’une école débarrassée de l’influence bourgeoise. Il y a fort à parier que modifier les programmes dans cette direction conduirait à une impasse. Les contenus ne sont pas dictés seulement par un arbitraire social mais aussi par des considérations objectives. Par contre des changements dans les pratiques pédagogiques, la prise en compte des acquis extérieurs à la sphère scolaire sont des pistes qui ont déjà été explorées par des équipes pédagogiques, en particulier dans les zones d’éducation prioritaire qui ont réussi. La valorisation et la diffusion de ces expériences est à l’ordre du jour. Un enjeu de société Les inégalités sociales se sont toujours répercutées à l’école. L’obstacle économique à la fréquentation des formations longues ont été à peu près levé. Reste que la réussite dans les apprentissages proposés, les choix et décisions d’orientation, sont dépendants de l’origine sociale. Il est possible d’avancer vers une réduction des inégalités sociales à l’école, et pour l’avenir il s’agit d’un enjeu majeur. La cohésion de la société est en jeu mais aussi son avenir économique. Trop de jeunes sortent actuellement du système éducatif sans une formation suffisante pour une insertion sociale et économique minimum et du coup risque de se marginaliser. Notre devenir repose sur une société de la connaissance qui implique une plus grande quantité de jeunes formés au niveau supérieur. Il existe un vivier pour cela: les jeunes des classes défavorisées. L’exigence de justice rejoint l’intérêt à long terme bien compris. Si l’action est possible, elle est difficile. Elle exige courage politique, mobilisation, analyse lucide des situations et elle passe par un changement assez radical du mode de gouvernance de la maison éducation nationale. Elle doit allier l’action à partir des territoires et l’action en direction des élèves. Il faut aussi rejeter le faux débat entre les tenants d’une école centrée sur le savoir et ceux qui feraient trop de place au social. Le social est présent, il faut le traiter, mais sans oublier que l’objectif est l’accès de tous à la maîtrise d’un savoir qui permet de s’insérer, de s’épanouir, et éviter ainsi de tailler pour les plus pauvres une culture pauvre. J.L.Piednoir

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