Le décompte des sépultures profanées au cimetière juif de Sarre-Union était à peine achevé que les ondes vibraient de l’accusation déjà formulée lors des attentats de janvier : l’école républicaine a failli à sa mission. Tous ceux qui ont tenu ce discours seraient bien inspirés d’en conserver copie, car il resservira, souvent. Pour quatre raisons au moins.
1. Il tombe sous le sens
En France, patrie des Lumières, de la Révolution et des législations Ferry, l’école est investie d’une charge qui confine au sacré : vaincre l’obscurantisme. La dernière loi en date (Peillon, 2013) le réaffirme en son article 3 : l’école a pour « mission première de faire partager aux élèves les valeurs de la République ». En l’espèce, un collégien ou un lycéen qui ont suivi un cours sur la Seconde Guerre mondiale ne sont pas seulement censés savoir ce qui s’est produit, mais doivent intérioriser la singularité de la Shoah et comprendre, presque éprouver, pourquoi l’antisémitisme constitue un délit tandis que le blasphème relève de l’opinion -distinction que bien des adultes seraient incapables d’argumenter.
2. Il y aura toujours des failles dans le dispositif
Le roman national de l’école a beau supposer que l’institution scolaire sera un jour capable, sur ces questions, d’atteindre le « zéro défaut », enseigner demeurera une activité humaine, donc faillible. De plus, l’école n’a pas le monopole de la transmission des savoirs et des valeurs. Quoi qu’en pensent les nostalgiques de l’école d’antan, elle ne l’a d’ailleurs jamais eu, même lorsqu’elle consacrait une énergie de chaque instant à combattre les influences respectives de la famille et de la religion, pratiquant un enseignement qu’on qualifierait aujourd’hui d’endoctrinement.
La concurrence n’a fait qu’empirer avec les progrès de la diffusion des connaissances, la multiplication des grilles interprétatives qui en découle -en un mot, la montée du relativisme. On ne reviendra pas en arrière et nul n’imagine un ministre écrire aux enseignants, comme le fit Jules Ferry, qu’il lui suffira pour remplir son office de « parler avec force et autorité toutes les fois qu’il s’agit d’une vérité incontestée », car cette notion est désormais obsolète.
3. L’école a d’autres chats à fouetter
Hormis dans les périodes d’intense émotion qui saisissent le pays après des actes aussi abjects que ceux commis à Sarre-Union, la demande sociale adressée à l’école n’a pas grand rapport avec le « partage des valeurs de la République ». Au triptyque « Liberté, Egalité, Fraternité » se substituent, au choix : le triptyque « lire, écrire, compter » et sa cohorte de polémiques techniques, voire technicistes, au premier rang desquelles la querelle des méthodes de lecture ; la demande d’autorité renforcée, qui exonère au passage les parents de leur part de responsabilité ; l’exigence de mieux préparer les jeunes à la vie active. Ces trois demandes, parmi d’autres, peuvent évidemment se combiner.
4. Elle ne peut pas se défendre
L' »école » dont on parle ici est une composante de l’imaginaire collectif, l’incarnation d’une idée, la projection de nos espoirs comme de nos impuissances. Pour preuve, lorsqu’on en vient aux solutions qui pourraient être mises en oeuvre afin qu’elle remplisse sa « mission première de faire partager aux élèves les valeurs de la République », c’est pour constater que nombre de mesures et de dispositifs sont en place, parfois de très longue date, mais que cela ne suffit pas. Rien ne dit, en outre, que nous soyons collectivement d’accord sur les « valeurs » à transmettre, ni prêts à en déléguer la transmission à l’école.
Celle-ci est certes la matrice de la société, mais elle en est aussi le miroir. L’accuser de ne pas savoir prévenir des attentats, des actes islamophobes ou antisémites constitue un réflexe aussi vain que paresseux, qui n’a qu’un seul avantage : dispenser ceux qui clouent l’école au pilori d’affronter l’image que renvoie ce miroir. Celle d’un pays écartelé entre son messianisme humaniste et la tentation de la violence, du communautarisme et de l’exclusion.
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