In Diversité n°172 – 2ème trimestre 2013 :
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RÉGIS GUYON :
Sylvie Perles, vous êtes coordinatrice du Programme de réussite éducative à Vaulx-en-Velin dans l’agglomération lyonnaise. Pouvez-vous nous présenter ce territoire, notamment sous l’angle des critères d’éligibilité à la politique de la ville ?
SYLVIE PERLES :
La ville de Vaulx-en-Velin réunit malheureusement les neuf indices relatifs à la précarité de l’Insee et est une des villes les plus pauvres du territoire français. On pourrait ajouter que Vaulx-en-Velin est une ville attractive pour des populations en difficulté, sans doute parce que l’on offre des services reconnus de qualité : la ville, qui compte plus de 40 000 habitants, assure, de plus, la domiciliation à 300 foyers, ce qui est considérable au regard des villes équivalentes 1. Tous les dispositifs de la politique de la ville y sont présents : Zones d’éducation prioritaire, Zone sécurité prioritaire, Zone sensible. Concernant l’Éducation nationale, trois des quatre collèges sont en dispositif ÉCLAIR2 et sur les vingt-cinq groupes scolaires, un seul ne relève pas de la politique de la ville. Normalement les PRE portent uniquement sur les quartiers Politique de la ville ; le groupe scolaire n’y figurant pas y a été intégré au moment de la signature de la convention, si bien qu’il s’agit d’une intervention globale sur toute la commune…
R. G. :
Dans d’autres communes, il y a des PRE par quartiers et dès lors que l’on est hors du périmètre, on n’a plus accès au dispositif. Ici, s’il concerne toute la commune, c’est le dispositif qui devient du droit commun…
S. P. :
On pourrait dire cela mais en réalité, c’est toute la ville qui réunit les difficultés. Le PRE vient dans l’interstice entre les dispositifs de droit commun et c’est lorsque le droit commun fait défaut que le PRE intervient. Quelquefois on « glisse » de l’un à l’autre car ce qui relevait du droit commun disparaît progressivement. Par exemple, le conseil général prenait en charge il y a sept ou huit ans l’intervention d’interprètes pour les équipes éducatives dans le Rhône. L’Éducation nationale travaillait avec Inter-service migrants notamment. Aujourd’hui, le coût de l’interprétariat est pris en charge par le PRE : cela consacre la disparition du droit commun.
R. G. :
On ne dira pas plutôt qu’il est défaillant ou qu’il s’efface ?
S. P. :
Le contexte de Vaulx-en-Velin est particulier : la politique très dynamique de la municipalité a permis d’ouvrir la ville, notamment à travers le CUCS 3 ou la rénovation urbaine qui passe par des démolitions, des reconstructions et l’innovation urbaine. C’est une ville en perpétuelle mutation, qui croît en habitants et en logements. L’objectif de la commune a toujours été de favoriser la mixité de sa population, avec un accès à la propriété pour les locataires… et d’être toujours dans la négociation. Elle attire aussi des services et de nouveaux habitants : le tramway devrait bientôt arriver, tout comme la ligne 1 du métro. Il y a aussi deux universités, l’ENTP (École nationale des travaux publics) et l’école d’architecture. La municipalité a donc favorisé l’implantation de logements étudiants. La dynamique, c’est l’ouverture vers l’extérieur : ouvrir la ville, brasser les populations, attirer d’autres types d’habitants que ceux qui arrivent par la précarité. C’est une ville qui est dans une dynamique positive malgré sa complexité liée à cette précarité.
R. G. :
Concrètement, dans ce contexte, comment fonctionne le PRE ? Historiquement, comment a-t-il été lancé ?
S. P. :
La commune a candidaté au PRE en 2005 et la convention a été signée entre le CCAS et la préfecture en octobre 2005. J’ai été recrutée en 2006 pour mettre en place le dispositif. Le comité de pilotage a validé au 1er juin 2006 les parcours personnalisés. L’une des particularités du PRE de Vaulx-en-Velin est qu’il s’appuie à la fois sur les orientations nationales du décret et l’appel à projet de l’ACSÉ 4. Il y a évidemment un cadre, mais avec une certaine liberté d’interprétation et cela peut être un outil décentralisé intéressant. Une exigence essentielle des premiers PRE était que les porteurs ne soient pas des municipalités pour qu’il y ait de la visibilité dans le financement…
R. G. :
C’était peut-être une condition pour que ces équipes pluridisciplinaires puissent être neutres aussi.
S. P. :
C’est la complexité. En 2004, est paru le rapport sur la prévention précoce des enfants5 et le contexte n’était pas bon. En 2006, le PRE se met en place après des suppressions de postes, et quand j’ai monté le projet, j’ai contacté l’ensemble des partenaires. Mon objectif était de faire une trame, de la leur présenter et de la faire évoluer jusqu’à ce qu’elle fasse consensus et qu’elle puisse être présentée au comité de pilotage. De tout temps, sur tous les dispositifs, les mêmes réserves ont été formulées par rapport à l’équipe pluridisciplinaire, au suivi individuel, à la circulation de l’information, au secret professionnel partagé. La difficulté tient à ce que l’on mélange des travailleurs sociaux avec des animateurs qui n’ont pas les mêmes missions. Comme j’avais travaillé sur la charte du secret professionnel partagé, à Lyon, j’ai fait un point sur ce qu’il recouvrait en fonction des missions des uns et des autres. J’ai rappelé aussi que les fonctionnaires (et notamment certains animateurs) ont un devoir de réserve. J’ai fait une proposition de règlement intérieur du fonctionnement du PRE : ce texte a fait consensus. J’ai aussi expliqué que travailler avec le PRE n’avait pas de caractère obligatoire : c’est donc un PRE de co-construction avec des partenaires volontaires. L’équipe pluridisciplinaire, que j’appelle comité opérationnel, réunit douze personnes dont le conseil général (la responsable enfance ou la responsable santé), l’Éducation nationale (principaux de collège et les deux IEN), deux associations de prévention (SLEA 6 et ADSEA7), la PJJ8, le CMP9, la CAF 10,la Direction de l’éducation de la ville et la responsable sociale du CCAS. Ces professionnels ne sont pas forcément des gens qui vont suivre un parcours : tous les acteurs, qu’ils soient animateurs, éducateurs, professeurs d’école, directeurs, principaux de collège, médiateurs service jeunesse qui travaillent avec des enfants de 2 à 16 ans ou les 16-18 ans (nous avons un PRE 16-18, financé par la Région) peuvent faire remonter des situations. Une fiche d’inscription signée par les parents et recensant des informations indispensables données par les professionnels explique le fonctionnement et le circuit.
R. G. :
La fiche permet donc de savoir si la situation est déjà connue des différents services et donc de faire « l’inventaire du mille-feuille » ?
S. P. :
Les parents ne le disent pas toujours mais ils donnent leur accord. Toutes ces situations remontent et c’est moi qui les traite. Puis tous les mois, le comité opérationnel se réunit, je fais un tableau de bord. Au début, les situations étaient seulement numérotées et, d’un commun accord progressivement, les noms ont été inscrits puisqu’on connaît les familles et elles-mêmes sont bien informées de ce parcours. En janvier, je n’ai pas eu trop de situations – sept ou huit – et en février, une trentaine. Sur les dossiers de demande, il manque plus ou moins des informations suivant la fonction du professionnel qui formule la demande. En fonction de cela ensuite, j’anticipe sur la suite : j’appelle la famille, je leur explique, j’essaie de peaufiner un peu l’entretien…
R. G. :
La famille joue le jeu ?
S. P. :
Oui, je prends toujours ce qu’ils ont déposé, et je leur demande s’ils ont un suivi avec un travailleur social. Si oui, je leur demande son nom et si je peux prendre contact avec lui et si j’ai confirmation du suivi, je me permets, si les parents m’appellent, d’envoyer un courriel pour soutenir la demande. Un exemple très simple : si le séjour de quinze jours pour un enfant handicapé coûte 2 000 euros et que, déduction faite des bons CAF, de l’aide sociale à l’enfance, etc., il reste 1 200 euros à la charge des parents, une prise en charge partielle peut être envisagée. La demande peut donc aboutir à une aide financière,
R. G. :
Un tour d’horizon du PRE dans différentes villes m’a donné l’impression qu’il joue un rôle de facilitateur quand les réponses du droit commun ont été épuisées, ou que les délais s’avèrent trop longs. C’est cet aspect facilitateur que je souhaiterais aborder, par rapport au travail entre professionnels.
S. P. :
La difficulté des dispositifs interinstitutionnels comme le PRE réside dans le turnover des professionnels : il faut renouveler, il faut être vigilant, et si la vigilance ou le temps manquent pour relancer les partenaires, l’un d’eux peut être tenté de se retirer progressivement, non parce qu’il ne veut pas mais parce que je n’ai pas été assez réactive pour relancer la machine. Certains professionnels ne connaissent pas le PRE et il y a d’autres manières d’accompagner. Au niveau du PRE, nous ne sommes que deux : la coordonnatrice – moi-même – et ma collègue qui gérons tout le suivi budgétaire. Il n’y a pas de référent PRE, le seul référent est celui de droit commun, qui fait remonter la situation et qui a déjà une idée de ce qu’il faudrait faire, même s’il n’est pas en capacité de le faire seul. On a beaucoup de mères isolées, seules avec deux, trois, quatre ou cinq enfants et qui travaillent en horaires décalés et parfois en temps partiel : c’est très difficile pour elles. Les enfants, qui ont 5, 6 ou 7 ans, sont parfois gérés par les grands frères pour aller à l’école. En fonction de certaines situations, le PRE peut trouver une personne qui va à domicile quand la maman part, qui fait le lien entre son départ et son retour, qui fait lever les petits et les amène à l’école. Je fais appel à une association intermédiaire qui s’appelle Solidarité services. Ce sont des étudiants, des infirmiers, éducateurs, psy, etc. qui travaillent d’abord auprès d’autistes, d’enfants handicapés… mais aussi avec les familles que nous accompagnons.
R. G. :
Il y a une jonction entre l’individualisation et le collectif en fait. Le PRE est un exemple type de la rencontre et de l’imbrication entre les deux, mais j’imagine que les choses sont plus compliquées…
S. P. :
Le collectif et l’individualisation ne sont pas en opposition dans ce cadre. L’intérêt du PRE réside dans une entrée individuelle, une entrée par la problématique de l’enfant quelle qu’elle soit, alors que les autres dispositifs tels que le Contrat d’accompagnement à la scolarité ou le Contrat éducatif local sont principalement collectifs. Les conseils généraux proposent une entrée famille : il faudrait pratiquement qu’il y ait des assistantes sociales au niveau scolaire, pour avoir des entrées « enfant ». Mais cela n’existe pas dans le droit commun qui se centre sur la famille, à l’exception du suivi médical ou de la PMI. Mais individuel ne veut pas dire anti-collectif car l’objectif, c’est que l’individu se socialise et s’intègre avec sa problématique dans le collectif.
R. G. :
Dans le suivi ou dans les actions produites, quel est votre rapport avec l’institution scolaire ? Souvent les situations sont pointées dans l’école ou par l’école…
S. P. :
Pas sur le PRE de Vaulx-en-Velin, justement. Aujourd’hui, seulement 50 % des situations sont pointées par l’école. Par exemple sur le dispositif de sur encadrement au niveau des centres de loisirs de la ville, des fiches individuelles précisent exactement la nécessité de l’intervention auprès d’enfants de 4 ou 5 ans que les animateurs n’arrivent pas à gérer. Ainsi, en partenariat avec la PMI et la direction de l’éducation, on désigne une personne qui va s’occuper d’un enfant, lui permettant d’aller en centre de loisirs en aménageant des temps calmes pour cet enfant afin qu’il ne soit pas dans les collectifs.
R. G. :
On peut aussi se demander quel est l’effet du dispositif sur les apprentissages, ou tout simplement quels sont les retours de ces suivis auprès des enseignants et la capacité de dire qu’il se passe des choses à l’extérieur.
S. P. :
Il y a toute une partie immergée de l’iceberg et un contexte minimum à connaître quand on travaille dans ces établissements et ces écoles-là. À la différence d’autres PRE sans doute, on a des partenaires qui jouent le jeu. Au niveau du comité opérationnel, dans les premiers temps, chacun avançait avec ses missions. Aujourd’hui c’est un lieu de qualification des acteurs. Ce n’est pas que des situations croisées ou un regard croisé sur des situations. Souvent lors de la première demi-heure du comité, je fais intervenir une association ou des professionnels avec qui je travaille au niveau de l’accompagnement. Et on écoute, on échange, on interroge. On a ainsi pas mal travaillé sur le handicap : la référente handicap est venue expliquer comment fonctionnaient les dispositifs en lien avec l’Éducation nationale et la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) a apporté sa contribution pour qu’on ne reste pas dans le flou entre ce qui relève du handicap ou pas. Ce dispositif a un rôle facilitateur permettant de faire du lien entre les enfants, les jeunes, les familles et l’ensemble des professionnels du champ éducatif. Et il y a donc là une instance de qualification des personnes.
Entretien réalisé à Lyon, le 11 février 2013