N Vallaud Belkacem n’a pas besoin de regarder à droite pour voir des ennemis. Le rapport du Comité de suivi de la loi de refondation publié le 13 janvier dénonce le pilotage de la réforme par le ministère. D’autant que ces critiques sont portées par le rapporteur de la loi, le député socialiste Yves Durand. Deux ans après avoir porté la loi devant l’Assemblée il souligne toutes les erreurs commises et demande déjà une réécriture partielle pour « recadrer » les instances indépendantes crées par elle. Il dresse un portrait tellement critique de l’application de la refondation que l’avenir de la loi pourrait être en difficulté en difficulté.
Une loi s’applique si la réglementation est prise mais également si ses usagers se l’approprient ». Institué par la loi de refondation sur une suggestion de son rapporteur, le Comité de suivi de la loi fixe à son rapport l’objectif de vérifier les changements effectifs apportés par la loi sur le terrain. Il est composé de 4 députés, 4 sénateurs et 4 personnalités : A Bouvier, B Gille, V Bouysse et K Bouabdallah et présidé par le député socialiste Yves Durand. Le rapport publié le 13 janvier est particulièrement sévère. Pour le comité la loi a sombré. Elle est toujours largement inappliquée. Surtout elle aurait perdu toute popularité du fait d’un pilotage particulièrement malheureux.
Une loi rejetée par les enseignants
« Alors même que ses principes font consensus pour l’ensemble des acteurs, il semble que la mise en oeuvre de la loi les ait détournés de la représentation qu’ils se faisaient de sa cohérence globale », écrit le comité… ‘Le comité de suivi ne peut qu’être frappé par l’insuffisance de l’appropriation de la cohérence de la loi par les enseignants, par l’affadissement et la parcellisation de son application. La refonte des programmes, c’est-à-dire de ce qui va concerner tous les enseignants, ne se sera faite qu’en dernier lieu, compromettant le calendrier de la réforme et reportant ses effets ».
Une priorité au primaire factice et qui a déçu les enseignants
Le premier exemple traité par le comité de suivi est la priorité au primaire, le fleuron de la refondation. Le comité se livre à un véritable démontage des mesures prises. » Occultée dans le débat public par la mise en place de la seule réforme des rythmes scolaires et en l’absence des nouveaux programmes de cycle (hormis celui du cycle 1 constitué par la maternelle), la réforme ne concerne aujourd’hui que peu d’enseignants sur le fond de leur métier et est mise en oeuvre par les acteurs dans une relative méconnaissance de la cohérence d’ensemble de ses objectifs. Les enseignants ont eu le sentiment que la réforme se diluait au fil du temps et qu’elle se réduisait finalement dans le débat public, voire dans leur milieu d’exercice, à des questions polémiques en dehors du changement de fond. Parallèlement, il apparaît à de nombreux enseignants et membres des corps d’inspection que l’efficacité de la réforme est mise en difficulté dans la mesure où elle ne porte pas sur les structures et l’organisation administrative de l’éducation », écrit le comité.
Mais il va encore plus loin en montrant l’incapacité du ministère à faire vivre la réforme. La mise en oeuvre de la réforme est jugée « contradictoire » mais surtout insuffisante. Ainsi le comité souligne » la sous-réalisation du schéma d’emplois sur le 1er degré public (pour 1 077 ETP), et sa sur-réalisation sur le 2nd degré public (pour 973 ETP), en décalage avec les priorités affichées dans la loi.. Environ la moitié des postes programmés ont été affectés réellement, ce qui amène à poser la question de la faisabilité de cette réalisation intégrale entre 2015 et 2017. » Et le comité de détailler : là où la loi impose 7 000 postes de maitre surnuméraires il n’y en a que 2 352, là où elle annonce 3000 enseignants pour scolariser les 2 ans il n’y en a que 961.
Mais ce n’est pas tout. Les programmes n’entreront en application que 3 ans après la publication de la loi. « L’impact sur les pratiques est difficilement mesurable », affirme le comité, comme si la loi et les programmes étaient en place depuis des années. » Le dispositif (des maitres surnuméraires) ne concerne qu’un petit nombre d’enseignants ce qui amenuise la perception d’une priorité au primaire par les acteurs… Le taux de scolarisation des moins de 3 ans est en léger recul en 2014″. Quant à la liaison voulue par la loi entre l’école et le collège, le conseil école collège est « une coquille vide » estime le comité. Pour cela il de rouvrir le chantier des métiers pour tenir compte de la continuité école collège (en modifiant le statut des enseignants). En conclusion, « La perception de la mise en oeuvre de la priorité au premier degré par les acteurs, occupée par les seuls nouveaux rythmes scolaires dans le débat public, s’est progressivement affaiblie et diluée, creusant un fort décalage avec leur mobilisation, d’où un sentiment important de déception et des attentes encore très fortes ».
La formation des enseignants au milieu du gué
Ce n’est pas mieux pour la formation des enseignants. Là selon le comité, « la mise en oeuvre (est) encore au milieu du gué ». Cela tient au fait que la culture des universités est en contradiction avec les attentes professionnalisantes de la réforme. La place du concours en fin de M1 « contredit la logique » de la réforme. Le comité demande de revoir « le séquençage des contenus de la formation au sein d’un créneau L3 – M2″ et de redéfinir la notion de tronc commun et d’expliciter le profil de l’enseignant. Si on comprend bien l’application de la réforme a tout faux… » La réforme de la formation des enseignants est unanimement reconnue comme le levier principal de l’amélioration de la qualité de l’enseignement et de la réussite des élèves. Attendue par les enseignants, la mise en oeuvre en est extrêmement difficile ».
Le principe de co éducation posé par l aloi est aussi battu en brèche. » La mise en oeuvre de la coéducation se révèle inégale, les parents demeurant finalement les « fantômes » de l’institution », écrit le comité.
Le CSP et le CNESCO à redresser
Enfin le comité s’attaque aux nouvelles instances créées par la loi d’orientation. A vrai dire elles étaient déjà soumises à des critiques d’Y Durand depuis plusieurs mois. Le Conseil supérieur des programmes « est une structure pour un travail de type délibératif, destinée à produire un rapport, mais elle paraît dans son format actuel inappropriée pour piloter l’ensemble de l’élaboration des programmes dans des délais aussi contraints », écrit le comité. Il demande de » clarifier sa position et son mandat, par rapport aux instances participant au travail sur les programmes d’enseignement (DGESCO, IGEN) » et suggère de le remplacer par une agence.
Ce n’est pas mieux pour le Cnesco, lui aussi attaqué depuis des mois. » Le comité a pu constater que parmi les instances nouvelles, le CNESCO faisait partie de celles qui n’avaient pas réellement trouvé leur place, leur mode de fonctionnement et le temps de leur action ». Le comité reproche au Cnesco de faire des recherches quand on lui demande d’évaluer le système éducatif, come si ce recherches étaient inutiles à l’évaluation. Le comité demande de « clarifier la mission du cnesco ».
Un bilan trop pessimiste pour V Corre
Interrogée par le Café pédagogique, la député socialiste Valérie Corre juge que « la présentation faite de la mise en oeuvre de la loi est très pessimiste ». Elle prend en exemple la place des parents. « Beaucoup a été fait », dit-elle. Il ya beaucoup d’initiatives sur le terrain par de écoles qui ne font pas de publicité. Parler de fantôme c’est dur. » V Corre est aussi surprise par le sort fait au Cnesco. « Le Cnesco remplit bien sa mission. Par exemple les études sur la mixité sociale à l’école contribue bien à évaluer le système éducatif ». Il est vrai que Yves Durand est l’auteur, avec R Salles, d’un rapport sur la mixité sociale à l’école qui critique déjà la nécessité de la mixité…
Le CSP menacé pour M Lussault
Michel Lussault, président du CSP, est inquiet. « Je sens le CSP menacé. D’ailleurs personnes liées à l’opposition m’ont prévenu de la disparition du CSP en cas d’alternance », nous a -t-il confié. « Si on conteste autant l’action du CSP c’est qu’elle doit pas être anodine. Le SP a fait soin travail en publiant les programmes. Il manque effectivement de moyens, comme le dit le comité ». Pour M Lussault c’est surtout la procédure de production des programmes, transformés en décret et arrêtés, qui est extrêmement lourde. « Il faut des arrêtés pour faire évoluer des programmes qui devraient être amendables ».
La critique déjà reprise par les syndicats
La balle est déjà reprise par les syndicats. Ainsi le Snuipp : » le rapport parlementaire du comité de suivi de la Loi de refondation de l’école publié ce jour pointe clairement un certain nombre d’insuffisances. Il n’est pas normal par exemple que les nouveaux programmes de maternelle, qui sont de qualité, ne fassent pas l’objet d’un grand plan de formation continue pour les 80 000 enseignantes et enseignants concernés… Il est temps de donner une véritable impulsion et une ligne claire à la priorité au primaire : amplification des créations de postes pour tenir tous les engagements de la loi, déploiement d’un grand plan de formation continue des enseignants, refondation du métier en dégageant du temps et en revalorisant les salaires, ce qui sera d’ailleurs le mot d’ordre de la grève du 26 janvier. »
Reprise en main par la vieille maison ?
Deux ans après avoir porté la loi d’orientation et l’avoir fait accepter par les députés, Yves Durand porte-il des coups à la loi ou à la ministre ? Certes bien des maladresses ont eu lieu dans l’application de la loi, ne serait ce que, dès le début, en mettant en premier les rythmes. Les maladresses, qui continuent dans la façon dont l’institution est incapable d’accompagner le changement, ont coupé l’élan de la refondation, comme le dit le rapport. Mais les critiques portées par le comité de suivi vont au delà en consacrant beaucoup de place à deux nouvelles instances qui irritent certains , particulièrement les organismes qu’ils remplacent, mais qui n’ont pas démérité. Le comité de suivi fait ainsi preuve d’indépendance, voire de fronde, face au gouvernement et de fidélités à l’ancien système.
François Jarraud
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