« Les initiateurs du collège unique avaient parfaitement conscience qu’en changeant le contenant, ils devaient changer le contenu. Et ce contenu ne devait pas être uniforme mais accessible à tous les élèves dans leur diversité », écrit Jean-Paul Delahaye (1), historien de l’éducation, Igen, dans un hors-série de la revue du SE-Unsa « L’enseignant », intitulé « Construire le collège de demain » et publiée vendredi 6 mai 2011. Jean-Paul Delahaye estime ainsi que « le collège unique restera un idéal à atteindre tant qu’au moins trois points de blocage ne seront pas levés » : « les contenus d’enseignement, la formation insuffisante et la faiblesse de l’aide au travail personnel des élèves ».
« Le problème, finalement, c’est que lorsqu’on ne retient dans le tronc commun du collège que les contenus préparant à l’enseignement général du lycée, il ne s’agit pas vraiment d’un tronc commun et on ne construit pas l’école moyenne pour tous », affirme-t-il. « On fait, au contraire, constater à une partie des collégiens -ce qu’ils font d’ailleurs très vite- que le collège qui les accueille n’a pas été pensé pour eux. L’exemple de ce qui est arrivé à l’enseignement du travail manuel, qui a disparu du tronc commun car considéré comme inutile au lycée général, en est une illustration parlante. » Or, rappelle Jean-Paule Delahaye, « cela fait pourtant longtemps que l’on sait que, sans un socle commun de connaissances et de compétences, il est illusoire de concevoir une école de base pour tous ».
« En 1985, le ministère déclare conditionner la réalisation de l’objectif du collège unique, que l’on appelle alors le ‘collège de la réussite’, à ‘une révision des contenus d’enseignement’ et à un effort ‘pour préciser les objectifs du collège et les connaissances que tout collégien doit avoir assimilées’. Il s’agit d’un ‘noyau commun de connaissances’. La formule est en quelque sorte une première allusion à ce qu’on nomme aujourd’hui le socle commun qui, depuis la loi de 2005, est la réponse mais c’est une réponse qui doit être portée et pilotée de façon continue », poursuit Jean-Paul Delahaye qui ajoute : « Espérons que le socle ne fera pas l’objet de renoncement ou d’une digestion lente par les disciplines. De ce point de vue, l’avenir du socle n’est pas encore écrit. »
ALIGNEMENT SUR LE LYCÉE
L’inspecteur général évoque ensuite « la formation insuffisante » dispensée aux enseignants : « On ne peut accueillir au collège des élèves différents et hétérogènes qu’en mettant en face de ces derniers des compétences professorales diversifiées et complémentaires. » C’est pourquoi, en 1975, « on conserve au collège une pluralité d’enseignants aux compétences complémentaires : des instituteurs spécialisés, des professeurs bivalents (les PEGC) et des professeurs spécialisés (les certifiés) ». Par la suite, « on ne peut malheureusement que constater qu’on a ensuite opté pour une autre formule, d’abord en transformant les instituteurs en professeurs bivalents, puis en arrêtant le recrutement des PEGC en 1987-1988 (décision du ministre Monory appliquée par le ministre Jospin). On a ainsi unifié le corps enseignant en collège par un alignement sur les seules compétences des enseignants de lycée, les certifiés, qui font un travail admirable aujourd’hui au collège mais qu’on ne prépare pas assez, tant en formation initiale qu’en formation continue, à la mission d’enseigner au collège à tous les élèves », note l’auteur. Cette mesure a « certes renforcé le lien du collège avec le lycée » mais a « coupé un peu plus le collège de l’école primaire, ce qu’on regrette aujourd’hui ».
Ainsi, « les enseignants de collège sont souvent démunis pour enseigner à des effectifs d’élèves hétérogènes, démunis pour identifier les difficultés de leurs élèves, démunis pour prévenir ces difficultés, démunis pour traiter ces difficultés ». Et Jean-Paul Delahaye de s’interroger : « Combien de temps faudra-t-il pour reconnaître qu’enseigner les mathématiques en terminale S et enseigner les mathématiques dans une classe de 6e hétérogène, ce n’est pas le même poste de travail ? »
D’après lui, « le comble serait donc qu’après avoir fait sortir du collège les enseignants qui étaient préparés à prendre toute leur part de travail dans l’accueil de l’hétérogénéité, on fasse sortir aujourd’hui du tronc commun du collège les élèves qui ne seraient pas adaptés aux compétences des enseignants qui s’y trouvent ».
AIDE AU TRAVAIL PERSONNEL
Évoquant enfin « la trop longue et inexpliquée faiblesse de l’aide au travail personnel des élèves », Jean-Paul Delahaye y voit « un facteur d’inégalité qui ne permet pas aux élèves de milieux populaires de réussir comme ils le pourraient au collège ». Il note ainsi qu’il a été « fait systématiquement appel aux seuls enseignants volontaires pour concevoir les actions d’aide et de remise à niveau, comme si venir en aide aux élèves en difficulté ne faisait pas partie des compétences de base de tous les enseignants et n’était pas inclus obligatoirement dans le service de tous les enseignants ». Et « on a attribué aux établissements des dotations horaires en heures à taux spécifique ou même des vacations, c’est-à-dire des horaires aléatoires d’une année sur l’autre, et pas inscrits de façon pérenne dans le service des enseignants ». « Le ministère va même jusqu’à écrire, en 1985 comme en 1993, ‘qu’il appartient aux chefs d’établissement de dégager les moyens nécessaires sur leur dotation mais aussi de rechercher auprès des municipalités si des aides financières peuvent leur être apportées’ », relève-t-il.
« Constatons que le ministère de l’Éducation nationale n’a jamais eu besoin de faire appel aux collectivités territoriales pour financer les heures dites de ‘colle’ dont bénéficient les élèves de classes préparatoires aux grandes écoles : dans ce cas particulier il est vrai, d’accompagnement scolaire, le ministère a toujours su et pu consacrer les budgets nécessaires. Il ne s’agit évidemment pas de contester ici le fonctionnement des classes préparatoires mais de constater que l’effort effectué en leur faveur ne l’a pas encore été pour les collégiens en difficulté », insiste l’inspecteur. Il souhaite ainsi voir « s’étendre » l’accompagnement éducatif, « dispositif permettant d’offrir aux collégiens, après la classe, des activités d’aide aux devoirs, des activités artistiques et sportives et, récemment, des actions de renforcement en langues vivantes », même s’il « ne remplace certes pas une aide effectuée dans le temps scolaire ».
PRIORITÉ BUDGÉTAIRE ?
Jean-Paul Delahaye considère en outre qu’il « faut, nécessairement, poser la question du pilotage national de la scolarité obligatoire ». « Disons- le, le collège n’a jamais constitué une priorité budgétaire pour les différents gouvernements, ce qui est pour le moins étonnant. » L’inspecteur général remarque également « que l’architecture ministérielle choisie pour la Lolf, qui coupe la scolarité obligatoire en deux, est aussi significative » : « La décision de créer un socle commun aurait dû entraîner, logiquement, la création d’un programme « scolarité obligatoire » réunissant école et collège. On a préféré garder la distinction traditionnelle, premier et second degré. Comprenne qui pourra… », conclut-il.
(1) Jean-Paul Delahaye enseigne l’histoire de l’éducation à l’université Paris V. Il a publié en 2006 « Le collège unique, pour quoi faire ? Les élèves en difficulté au cœur de la question ».
Cet article publié par l’AEF est proposé aux lecteurs de PRISME grâce à l’amabilité de son auteur JP Delahaye