COLLÈGE : « Maillon faible » du système éducatif au moins pour deux raisons : historique d’abord, un enseignement intermédiaire entre l’ordre primaire et l’ordre secondaire s’est constitué avec difficulté, somme toute assez récemment au début de la Ve république. Avant la Seconde Guerre mondiale, un collège était un établissement secondaire complet ; on pouvait y entrer au cours préparatoire pour en sortir bachelier. Avec la réforme Berthoin-Fouchet, le collège désigne un établissement d’enseignement général, classique ou moderne, secondaire ou technique. Depuis la réforme Haby, le collège est véritablement un établissement consacré au premier cycle du second degré.
Le collège gaullien (1963) a consisté à asseoir le recrutement élargi des élites. On a ainsi construit pendant la période dite de « l’explosion scolaire» 2400 collèges en France entre 1965 à 1975, soit un CES par jour ouvrable. Sociologique ensuite, contrairement au lycée, qui représente un enjeu social considérable pour les classes moyennes, le collège n’est porté par aucun élément du corps social qui compte dans la nation.
Sur le plan de l’évolution institutionnelle récente, depuis 2004, la compétence de sectorisation des collèges a été transférée aux conseils généraux. Le premier cycle du secondaire comprend un cycle d’adaptation (classe de sixième) ; un cycle central (cinquième et quatrième) ; un cycle d’orientation (troisième) auxquelles s’ajoutent les classes de 6ème, 5ème, 4ème et 3ème SEGPA (Section d’enseignement général et professionnelle adaptée), ONISEP, 2007.
Le « collège unique» voulu par le président V. Giscard d’Estaing, et mis en oeuvre par la réforme de l’Éducation de R.Haby, 1977, est toujours remis en question par l’existence de filières ou de structures ségrégatives : « Il n’est donc pas raisonnable de prétendre que le collège unique est un collège uniforme, et il faut prendre conscience que les filières demeurent l’un des moyens de traitement de la difficulté scolaire plus ou moins grande … Il semble donc que les filières de collège aient fonctionné comme des impasses alors que le passage en lycée professionnel aurait plutôt été vécu comme une chance de réussite», Rapport A. Hussenet et P. Santana, 2005. La confusion entre collège unique et collège uniforme perdure en septembre 2007, quand le nouveau ministre de l’Éducation nationale, X. Darcos, se donne « pour mission de rompre avec le collège unique».
Dans les années soixante, l’OCDE était porteur d’un modèle de progrès aussi bien économique que social qui passait par le rassemblement de tous les 11-16 ans dans une « comprehensive school». Aujourd’hui, leurs orientations vont plutôt dans le sens de la diversification : diversification des établissements, des cursus, etc.
La réforme Bayrou des collèges a fait émerger l’idée des « parcours diversifiés» : « Les parcours diversifiés doivent contribuer à faire accéder des élèves différents aux objectifs communs de savoirs et de savoir-faire qui doivent être atteints au terme du cycle central» (circulaire du 27 février 1997 explicitant sous forme d’instructions, le modèle de la diversification pédagogique expérimenté depuis 1995, dans 368 collèges volontaires).
Les travaux de l’IREDU de Dijon ont montré comment les trajectoires scolaires se fabriquaient au collège et à l’intérieur de chaque classe. Loin d’être méritocratique, l’orientation scolaire est un rouage important dans la genèse des inégalités sociales à l’école. Les pratiques d’orientation sont entachées d’incohérence. Les procédures d’orientation autorisent une marge d’autonomie dont les acteurs n’ont pas forcément conscience. Les familles, lors de l’élaboration des
choix d’orientation, optent soit pour des « stratégies de spéculateurs» en exprimant des intentions d’avenir ambitieuses eu égard aux profils scolaires de leurs enfants, soit des « stratégies de rentiers» en formulant des voeux peu ambitieux. En « suivant» les textes, les conseils de classe tendent à entériner les inégalités sociales à l’origine du niveau d’aspiration (« demande» des familles). Les collèges sont des «milieux» d’orientation différents. L’analyse fait apparaître des différences de sélectivité entre collèges, non réductibles aux différences de public. On observe qu’au-delà des différences de valeur scolaire, de niveau d’ambition et des variantes intra-collège, à public comparable, les collèges populaires sont plus sélectifs. L’offre de formation (par exemple, le nombre de places en section professionnelle de lycée professionnel) exerce un impact significatif sur le passage ou non, en 4ème des élèves moyens, notamment quand il s’agit d’enfants de milieu populaire. Les critères
utilisés de fait par les conseils de classe pour orienter les élèves peuvent varier selon le poids accordé aux notes dans les disciplines dites fondamentales, à l’âge des élèves, aux demandes des familles, etc. Cette « incohérence d’orientation», M. Duru-Bellat, 1986, 1989, est surdéterminée par le fait que l’évaluation des élèves est entachée elle-même de biais sociaux. Désormais le palier d’orientation en fin de cinquième a perdu de son ampleur, en raison du fait que la quasi-totalité des élèves de quatrième se retrouvent dans un cursus commun. Cependant le processus d’orientation en fin de troisième est de même nature que les biais d’orientation observés en fin de cinquième.
À niveau scolaire équivalent, il est prouvé que l’ambition ou le type d’établissement fréquenté joue un rôle considérable dans l’orientation. Tout se passe comme si, les choix scolaires relevaient de stratégies de distinction sociale, M. Duru-Bellat, 1991, mais il n’y a pas égalité devant l’exigence de « savoir gérer sa carrière» : des variables contextuelles à l’origine de l’effet établissement – et des variables socio-démographiques produisent des effets de sélection et d’auto-sélection qui ne sauraient être assimilés à des choix rationnels. En d’autres termes, le même enfant, avec les mêmes résultats, aura plus ou moins de chance de passer dans la classe supérieure selon qu’il est scolarisé dans tel ou tel établissement, implanté dans telle ou telle région de France. Ainsi les gros collèges, plus encore les collèges rattachés à un lycée, sont beaucoup plus coulants que les petits collèges de banlieue, eux-mêmes plus souples que les collèges ruraux.
Une approche analytique de la genèse temporelle des trajectoires scolaires montre que, globalement, le poids du collège apparaît beaucoup plus important que celui de l’école primaire dans la génération des différenciations sociales qui conduit un tiers des élèves à être éliminés des études longues, A. Mingat, 1989, 1992. Les différences d’orientation sont considérables : selon le collège fréquenté, le taux de passage en classe de seconde varie de 27 % à 87 %. En 1988, pour un élève de 12 ans, fils d’employé, ayant 10 de moyenne, la probabilité d’entrer en 4ème passait de 48 % à 95 %, M. Duru & A. Mingat, 1988. Au total, en quatre années de collège, il se crée deux fois plus d’inégalités que sur les cinq années du primaire. Près de neuf enfants de cadres supérieurs sur dix accèdent au lycée, pour seulement trois fils d’ouvriers sur dix. Si la valeur scolaire des élèves joue, l’attitude des familles en matière d’orientation est également importante. Les milieux favorisés se montrent en moyenne deux fois plus persévérants pour faire accéder un enfant même faible, en second cycle long – (Revue de l’IRES – Institut de recherches économiques et sociales, n° 10, 1993). L’approche macrosociologique de l’IREDU de Dijon peut être complétée par une approche psycho-cognitive du développement vocationnel des élèves. Que savons-nous de la réalité psychologique du projet d’avenir chez l’adolescent de collège ? Auteur d’une thèse de doctorat sur « la dynamique vocationnelle chez l’adolescent de collège : continuité et ruptures» (1988). B. Dumora a conduit une étude clinique et longitudinale sur des discours d’orientation sollicités/produits par la technique de l’entretien chez des élèves de la sixième à la troisième, appartenant à deux collèges de Gironde.
On ne peut mettre en évidence aucune linéarité significative entre les différents choix effectués au cours de la scolarité. L’analyse des orientations effectives ultérieures, répétées 3 et 5 ans après chez les sujets observés, confirme l’absence de ressemblance entre les choix successifs effectués par les adolescents.
L’évolution des contenus vocationnels est marquée par trois étapes dont on peut faire l’hypothèse qu’elles constituent une forme récurrente dans les différents cycles d’orientation :
1. L’espace des rêves, loin en amont des premières échéances institutionnelles d’orientation ;
2. L’irruption de la réalité, quand l’adolescent en raison des pressions institutionnelles, prend conscience des problèmes d’orientation en termes de problèmes scolaires ;
3. Le compromis, configuration originale entre l’espace personnel de l’orientation probable et l’espace hiérarchisé des orientations possibles.
Le processus développemental d’orientation étudié en collège serait une mise en tension entre des éléments des représentations du moi motivationnel, les représentations des professions et les auto-évaluations scolaires, B. Dumora, 1990. Certes il existe des projets linéaires dans les trajectoires lisses de l’excellence – ou de l’illusion – mais la problématique vocationnelle consiste plus’ en un travail récurrent de réduction de la dissonance et de rationalisation que d’élaboration de projets et des schémas moyens-fins. Le projet est-il une réalité psychologique ou bien, davantage, une fiction pédagogique ? B. Dumora, 1992.
R.Boyer & M. Delclaux, INRP, 1995, ont étudié les conceptions et pratiques éducatives dans les couches moyennes salariées par opposition à celles des milieux populaires. Comment les familles font-elles face au collège ? Si de manière générale, les familles interrogées considèrent la nécessité scolaire comme le levier de l’ascension sociale, les formes de mobilisation sur la scolarité (orientation et guidance pour un projet d’accès à l’autonomie venus rapport désenchanté à l’univers scolaire, défiance parentale, jeunes désinvestis) apparaissent diversifiés, de même que les styles éducatifs et les types de fonctionnement familiaux.
L’approche ethnographique dans quelques collèges de banlieue souligne combien les « scènes de face à face» à l’occasion de l’orientation des élèves, au terme de chaque cycle d’enseignement, génèrent une forme de violence résultant de la contradiction moyenne entre une idéologie scolaire égalitariste et une logique globale d’un système éducatif fortement sélectif et hiérarchisé. L’orientation des élèves est un domaine particulièrement soumis à une logique de complexification des codes scolaires. Ceci est le résultat de l’évolution d’un système éducatif dans lequel se sont aggravées les tensions entre un objet d’unification et un impératif de diversification. Alors que se développent les stratégies consuméristes des parents, et particulièrement des familles appartenant aux classes moyennes, la maîtrise des informations permettant d’optimiser au mieux les parcours scolaires devient un enjeu fondamental. Ce qui ne va pas sans facteurs de blocage : « Les résistances des acteurs scolaires aux nouveaux droits des familles se révèlent fortement dans les procédures d’orientation. Le non-respect du cadre juridique par certains acteurs scolaires produit des situations qui, pour garder l’apparence d’une négociation, pervertissent le sens scolaire par l’emprunt à des registres domestiques ou marchands.» J.P.Payer, 1995.
Devenue un terme tabou et honteux, l’orientation devrait être restaurée comme un véritable choix opéré de façon consensuelle avec l’élève et sa famille. Elle devrait être dédramatisée en expliquant, dès ce moment, les possibilités de réorientation qu’ouvrira le droit à la formation professionnelle tout au long de la vie, M. Goyet, 2003. Le pré-rapport de la commission Thélot, 2004, préconisait de consacrer une soixantaine d’heures de cours par an en
collège, pour une éducation au choix d’orientation.
On s’interroge toujours sur le bien-fondé de scolariser durablement et ensemble, toute une classe d’âge, en ne tranchant par véritablement sur la manière d’organiser les orientations différentes des élèves, en raison notamment du contentieux orientation/sélection dont l’enjeu est le positionnement social différencié.
– Éducation à l’orientation ; Établissement d’enseignement ; Lycée ; Orientation scolaire et professionnelle.
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