In L’Express :
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Auteur en 2004 d’un rapport sur les signes religieux à l’école, l’inspecteur général Jean-Pierre Obin juge, dix ans après, les enseignants mal formés à la laïcité. Interview.
Vincent Peillon a inauguré à cette rentrée une charte de la laïcité à l’école pour aider personnels, élèves et parents à "s’approprier" les règles à observer en la matière.
L’inspecteur général Jean-Pierre Obin publie avec Chantal Daux-Garcia 20 situations réelles de vie scolaire. Les auteurs y passent en revue toutes les situations critiques auxquelles peuvent être confrontés les enseignants et les personnels, dont les problèmes de laïcité. Interview.
Votre livre aborde des "situations réelles de vie scolaire" et passe en revue toutes les difficultés que peuvent rencontrer enseignants ou chefs d’établissement au quotidien. Un chapitre est notamment consacré à la laïcité. Est-ce devenu un problème?
Je crois que les enseignants sont assez mal formés sur les questions de laïcité. Si tout le monde se dit aujourd’hui partisan de la laïcité, le problème reste qu’on ne met ni les mêmes mots, ni les mêmes actes derrière cette apparente bienveillance. Ainsi, la meilleure façon de former les enseignants c’est de travailler sur des études de cas réelles. Les enseignants sont démunis: par crainte de se retrouver en conflit avec des élèves, ils peuvent être tentés de sauter tel passage du programme sujet à débat. Les deux disciplines les plus concernées par ce type de problème sont les sciences de la vie et de la terre et l’histoire-géographie. Le domaine de la vie scolaire est également touché, avec des absences pour les fêtes religieuses ou des interdits religieux à la cantine.
Que conseillez-vous aux enseignants et aux personnels d’encadrement?
La solution c’est de comprendre ce qui se passe avant toute prise de décision. Il faut que les enseignants aient une vision claire de la laïcité en terme de droit. Que signifie l’article premier de la Constitution qui affirme que la République est laïque? Il suppose que les fonctionnaires d’Etat doivent faire en sorte que les élèves soient protégés de toute influence religieuse. Sur le territoire de l’école, la croyance religieuse est une affaire personnelle. Toute tentative pour convaincre, intimider les élèves est proscrite.
Que pensez-vous, dans ce contexte, de la Charte pour la laïcité à l’école, mise en place à la rentrée par Vincent Peillon?
La charte est une très bonne initiative mais qui n’épuise pas la question. Elle rappelle les règles du droit, mais n’institue rien de nouveau. C’est un simple rappel du principe de laïcité et des règles qui en découlent. La charte fait l’impasse sur deux sujets importants: la question des sorties scolaires qui n’est pas tranchée par le droit, et celle des interdits religieux à la cantine. En la matière, une circulaire de 2011 du ministère de l’Intérieur fixe les règles et oblige les collectivités. Je comprends donc que le ministre de l’Education nationale n’ait pas voulu empiéter sur les prérogatives du ministre de l’Intérieur.
Nous sommes en pleine querelle des rythmes scolaires. Cette énième polémique autour d’une réforme n’illustre-elle pas la difficulté de l’Education nationale à s’adapter?
La société française est difficile à faire bouger. On ne peut changer les choses que progressivement. Là il s’agit de faire passer l’ensemble des écoles de France, soit 6 millions d’élèves d’un système à un autre, du jour au lendemain, en tous les cas pour les communes qui appliquent la réforme en 2013.
En fait, nous ne sommes pas retournés au système antérieur, où les enfants avaient école le samedi matin. Pour la première fois depuis que l’école existe, les enfants n’ont pas de coupure hebdomadaire. Antoine Prost s’est élevé dans un texte devenu fameux, en 2008, contre le "Munich pédagogique" qu’avait représenté la réforme Darcos.
La seconde difficulté posée par la réforme est le problème des activités péri-éducatives. Il y a toute une série de bavures qui tiennent à l’improvisation dans laquelle la réforme a été menée, au choix budgétaires imposés aux communes. On passe du volontariat du mercredi après-midi pour le centre aéré, au volontariat très fortement suscité pour les activités éducatives. Dans certaines communes on est passé de 30% à 90% des élèves qui bénéficient de telles activités. Il est donc tout à fait normal qu’il existe des problèmes quant à la liaison avec les animateurs.
Mais cette défiance vis-à-vis des animateurs ou des personnels de mairie n’est-elle pas surprenante, alors que ces personnels travaillent depuis des années avec l’Education nationale?
C’est logique! Ce sont des réactions corporatistes et le propre d’une corporation consiste à défendre le monopole sur un métier. Regardez par exemple la défiance des enseignants du secondaire par rapport à ceux du primaire….Quand le métier est menacé ou concurrencé, la corporation réagit !