PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

Conclusion : relance ou refondation de l’éducation prioritaire ?
"Relance et refondation sont deux termes opposés. Le premier tend à penser la politique éducative en reproduisant les schémas antérieurs ; le second, dans son étymologie, a pour objet de concevoir de nouvelles formes d’action. Refonder implique une rupture, un changement de paradigme. Les obstacles à un tel changement sont considérables.

Actuellement, le principe d’action « donner plus à ceux qui ont moins » correspond à des réalités scolaires les plus diverses, trop souvent contraires au principe même de la discrimination positive censée guider l’action. Pour réduire cette discrimination négative, le pilotage de l’EP nécessite de se focaliser sur un nombre réduit d’indicateurs de financement, cohérents et globaux, pertinents pour l’ensemble des établissements qu’ils relèvent ou non de l’EP.

Un second obstacle, qui réduit la visibilité des moyens alloués, tient à la grande diversité des modalités d’intervention, à l’empilement des dispositifs et à l’enchevêtrement des actions, pas toujours menées, d’ailleurs, en faveur des établissements de l’EP.

Pour ces raisons, la refondation devrait transformer de façon conjointe la comptabilité de ce qui est alloué aux établissements et les modalités d’intervention. La diversité de l’offre pédagogique, qui contribue de façon majeure à l’attractivité des établissements, doit être comptabilisée dans les moyens alloués. Les options, dont les établissements des centres-villes sont largement dotés, sont en effet des éléments essentiels d’une discrimination positive ou négative effective. La simplification des modalités d’intervention doit être fondée sur des indicateurs basiques dont les recherches nationales et internationales ont montré, avec constance, la forte dimension prédictive de la réussite et de l’échec : part des redoublants dans l’établissement, proportion d’élèves d’origine défavorisée, importance de la population immigrée, niveau scolaire à l’entrée en 6e, taux de réussite aux écrits du DNB.

La simplification des indicateurs de pilotage doit permettre une discrimination positive pensée au niveau des établissements et de façon continue afin d’éviter les effets de seuils indissociables de la labellisation dont les effets stigmatisants sont par ailleurs connus et d’autant plus pénalisants que la logique du marché scolaire se développe. Des modalités d’intervention selon les spécificités de chaque établissement existent déjà en Belgique, en fonction du niveau économique et social des élèves, ou aux Pays-Bas dans lesquels, pour réduire une ségrégation ethnique importante, les moyens alloués sont croissants lorsque la proportion d’immigrés augmente. Ce principe du bonus-malus est une incitation, pour les établissements relativement
fermés aux populations étrangères, à s’ouvrir davantage pour accroître leurs ressources.

La refondation se heurte à une triple difficulté. Dans la période budgétaire actuelle, « donner plus à ceux qui ont moins » impose de réduire les avantages dont bénéficient les établissements les mieux dotés, voire de leur donner moins. Les travaux économétriques de Piketty et Valdenaire (2006) ont montré, dans une recherche de grande qualité méthodologique, que la légère politique de ciblage des moyens, actuellement en vigueur en faveur des ZEP (taille moyenne des classes de 21,9 en ZEP, contre 23,3 hors ZEP), permet de réduire d’environ 10% l’écart de réussite entre ZEP et non-ZEP. Cet écart pourrait être réduit de 40% si l’on mettait en place un ciblage fort avec une taille de classe moyenne de 18,0 en ZEP et 24,2 hors ZEP. L’augmentation d’un élève par classe dans les établissements hors ZEP, sans effet sur le niveau de progression des élèves hors EP, ne présente pas de difficulté technique mais est politiquement difficile car elle se heurte aux intérêts des établissements hors EP et à leurs personnels si bien que l’immobilisme l’emporte sur cette possibilité effective de changement à coûts constants."

La seconde difficulté d’une refondation tient à ce que qu’il est usuel de nommer, quel que soit le domaine considéré, le sentier de dépendance ou la dépendance au sentier, constitué par des structures organisationnelles, des paradigmes, des idéologies, des routines et   pratiques des acteurs et des éléments techniques tels que des pratiques comptables. Ces structures organisationnelles et mentales sont d’une grande inertie et conditionnent le changement de façon à ce qu’il soit compatible avec l’existant, voire tendent à renforcer les structures présentes plutôt que de les changer. Adopter une comptabilité qui remplisse mieux ses missions de connaissance et de pilotage du système éducatif, simplifier les modes  d’intervention de l’EP, supprimer les labels, différencier davantage les effectifs des élèves par classe selon leur niveau scolaire, doter les établissements en difficulté d’options attractives, réduire les différences d’options entre établissements, sont des propositions réalistes qui ont l’avantage de ne pas augmenter le coût global. Elles se heurtent toutefois à l’obstacle peu visible du sentier de dépendance.

L’histoire de l’éducation prioritaire depuis 1981 est une illustration emblématique de la force de celui-ci. Ni la gauche ni la droite ne sont parvenues à reprogrammer réellement le logiciel d’action de l’EP conçu en 1981.
Enfin, la dernière difficulté est de repenser la politique de l’EP dans le cadre général de la politique éducative. Le collège unique présente à ce titre un modèle d’action qui a montré, notamment en Finlande, qu’il était une source d’efficacité et d’équité supérieure aux autres formes d’organisation scolaire. Mais, en France, le collège unique n’a plus d’unique sur le principe du collège unique que sur deux mots clés – différenciation et individualisation – souvent problématiques. D’une part, la politique d’individualisation et de différenciation est en partie concurrente à la politique du collège unique si bien que le paradigme de l’action éducative est double et, pour cette raison, devient ambigu, voire contre-productif. Ainsi, la polysémie de la politique d’individualisation et de différenciation permet de donner plus à ceux qui ont plus (Merle, 2012). D’autre part, lorsqu’elle est évaluée de façon rigoureuse, l’intérêt de l’individualisation n’est pas forcément démontré. A titre d’exemple, la politique du « Coup de Pouce Clé », aide individualisée au profit d’écoliers de CP en difficulté scolaire, n’a pas montré son efficacité en termes de progrès dans les apprentissages des élèves (Goux, Gurgand, Maurin, 2011). Les politiques structurelles ciblées, telles que la scolarisation à deux ans ou la réduction du nombre d’élèves par classe dans les établissements où les difficultés sont les plus grandes, demeurent pour la recherche scientifique, tant nationalequ’internationale, les politiques éducatives les plus efficaces. Ces politiques devraient être prioritaires.

Si la refondation actuellement promise se réduisait, en 2012 ou 2013, à une nouvelle relance de l’éducation prioritaire, comparable à celle de 1997 ou de 2006, il s’agirait d’une manifestation emblématique de la difficulté à repenser les modalités d’action en faveur des élèves en difficulté et d’un renoncement à une politique de réelle redistribution des moyens.
L’enjeu n’est pas seulement scolaire, il engage aussi l’intégration ou l’exclusion des populations scolairement et socialement déshéritées et, in fine, la cohésion et le devenir de la société française. L’adage hugolien de 1847 – Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison – demeure toujours d’actualité tant, au cours du précédent quinquennat, les portes des
écoles se sont fermées et celles des prisons ouvertes.
 

Document(s) associé(s) :

pdf/p_merle_refondation_de_l_education_prioritaire.pdf

Print Friendly

Répondre