Un inspecteur d’académie a épluché mille copies d’élèves sur la laïcité, souvent édifiantes. Pour beaucoup d’entre eux, la laïcité évoque un conflit larvé. Morceaux choisis.
Au brevet national des collèges de juin 2014, une des trois questions d’éducation civique était brûlante d’actualité :
« Définissez le principe de laïcité et donnez un exemple de son application en France ».
Dans le cadre d’un groupe de réflexion de l’académie de Lille, Mathieu Clouet, inspecteur d’académie et inspecteur pédagogique régional d’histoire-géographie, a épluché des réponses d’élèves. Pendant six mois, il a travaillé sur un millier de copies de différents centres d’examen. Résultat ? La laïcité est bien présente dans la vie quotidienne des adolescents, ils sentent qu’elle représente un enjeu important, mais ils ont du mal à formuler clairement leur pensée.
Cette plongée dans les représentations des jeunes a été prise très au sérieux par l’académie. Mathieu Collet avertit :
Si nous ne sommes pas vigilants à montrer tout le bénéfice personnel et social de l’application du principe de laïcité, nous risquons de laisser la place à l’instrumentalisation ».
« On a pas le choix sans être jugés »
Dans le quart des copies, les réponses semblent, à première vue, hors-sujet. Tel cet élève qui écrit : « Le principe de laïcité est de respecter la religion chrétienne » (Villeneuve-d’Ascq). Il se trompe, bien sûr : la laïcité implique le respect non pas d’une religion en particulier, mais de toutes les religions.
On lit dans d’autres copies que la France est laïque parce qu’elle accepte « d’autres religions » (Calais), ou « toutes les religions » (Roubaix). Le principe est là pour « éviter le favoritisme d’une religion » (Roubaix). Les réponses sont inexactes, mais elles reflètent une expérience quotidienne : la laïcité est associée à une culture sur la défensive.
D’autres erreurs sont tout aussi instructives. Des candidats confondent la laïcité avec la défense des opprimés (les fautes d’orthographe ont été conservées) :
La laïcité, c’est quand les personne de couleur de peau noir et blanche ne sont pas séparé, on ne fait pas de différence. Exemple : l’école publique (sic) » (Calais).
Les liens qu’ils font entre race et religion renvoient au sentiment d’appartenir à une communauté maltraitée. Selon un adolescent de Roubaix. la laïcité c’est…
…de vivre ensemble malgrés nos différence et ne pas juger ou rabaissez l’autre à cause de sa religion ou couleur de peau. On peut trouver en france des Eglise comme des mosquée ou autres et on n’a le choix sans être jugés (sic) ».
Origine, religion, milieu social… tout cela fait un beau mélange.
Le principe de la laïcité, c’est qu’on ne doit pas montrer ses origines à l’école ou autre part » (Croix).
Le choix des mots est précieux. Beaucoup d’élèves, que l’on imagine de confession musulmane, utilisent « origine », en lieu et place de « signe religieux ». Cette confusion inquiète l’expert :
Dans ces conditions, le risque est grand que l’élève ne parvienne pas à dépasser une forme d’assignation identitaire et qu’il vive la laïcité comme une lutte contre lui-même, contre son identité, contre sa famille… ».
« La laïcité, c’est cacher ses opinions »
De fait, beaucoup de réponses renvoient à un conflit larvé. La laïcité est définie comme un principe de méfiance ou d’hostilité envers « une » religion. Même si cette dernière n’est pas systématiquement désignée, on devine qu’il s’agit de l’islam.
Laïcité : c’est être laïque contre les autres » (Roubaix).
La laïcité, c’est cacher ses opinions notamment sur les religions dans les lieux publics à moins que cela soit discret (pendentifs). Exemple : l’interdiction de la burqa » (Wattrelos).
Cet élève-là – mais il n’est pas un cas unique – est dans l’erreur. Car dans la rue, chacun peut afficher sa religion. Et comme le rappelle Mathieu Clouet, si la burqa est interdite, « elle ne l’est pas au nom de la laïcité, mais au nom de l’obligation de montrer son visage dans les lieux publics ».
Il n’empêche. Ces multiples approximations montrent que le message officiel n’est pas bien passé.
Où est-il interdit au juste de montrer son appartenance religieuse ? Entre les principes du droit et les pratiques quotidiennes, les frontières sont floues :
La laïcité est présente en France car aucune religion est refusée dans les lieux publics que l’on soit chrétien, juif, musulman ou autre, nous sommes libres d’aller au supermarché, au cinéma ou autre lieu » (Villeneuve-d’Ascq).
Et à l’école ? Des réponses en disent long sur la qualité de l’accueil dans le public :
La laïcité, c’est d’accepter toutes les religions. Exemple les écoles privées » (Roubaix) !
Trouver comment illustrer le principe de laïcité a été encore moins facile pour les candidats. Beaucoup n’ont pas répondu. Ceux qui se sont lancés citent, au-delà des exemples historiques comme l’affaire Dreyfus, le droit de fréquenter la mosquée, et l’interdiction du port du voile, une réponse qu’on retrouve dans 15% des copies, voire 60% dans le bassin de Roubaix où la population est à majorité musulmane.
« Croire dans ce que je veux, sans le montrer »
Ainsi, pour beaucoup de collégiens, laïcité n’est pas synonyme de liberté – chacun est libre de ses convictions religieuses – mais de contrainte, voire de dissimulation. « Les copies expriment fréquemment une conception ‘pharisienne’ de la laïcité », résume Mathieu Clouet.
Comme cet élève de Roubaix qui écrit :
La laïcité, c’est croire dans qu’est-ce que je veux, mais sans le faire montrer (sic) ».
Bienvenue dans une République schizophrène. L’inspecteur s’alarme :
Imaginez ! On pourrait être islamophobe, xénophobe, homophobe, et il suffirait de ne pas le montrer pour que tout se passe bien ? Est-ce cela que l’école veut transmettre ? ».
Ces réponses renvoient à une forme de segmentation de la société, assez éloignée de l’idéal républicain :
La laïcité est le fait d’avoir tous la même religion à certains endroits ou plûtôt de ne pas montrer la sienne par exemple dans une école laïque ne pas venir avec un voile sur la tête pour les filles musulmanes » (Wattrelos).
Derrière la phrase, se profile la réalité d’un des nombreux quartiers communautaires qui fleurissent dans certaines villes déshéritées du Nord.
En revanche, l’idée que la séparation de l’Eglise et de l’Etat garantit la liberté de chacun n’apparaît quasiment jamais. « Séparation de l’Eglise et de l’Etat ce qui permet à chacun la liberté de conscience et de religion » est une formule qui ne surgit qu’une seule fois dans le millier de copies analysées par Mathieu Clouet.
Rares aussi sont les élèves qui ont noté le rôle de ciment social qu’elle peut jouer : « La laïcité permet de ne pas avoir de religions qui se confrontent, elle permet de ne pas parler de religion pour éviter les conflits », écrit un élève de Croix. Mais pour tous, ou presque, hors de Dieu, pas de salut. Seuls 2% des élèves ont imaginé qu’on pouvait être athée.
Caroline Brizard
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