PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

in Blog de Pierre-Yves CHIRON :

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Cinq ans ne suffiront pas. On ne devient pas un citoyen actif, engagé et responsable en l’espace d’une année, ni même en l’espace de cinq années.

Au-delà de toutes les bonnes volontés de la part des collectivités locales, des associations, d’impliquer les jeunes dans la vie locale, des jeunes eux-mêmes, de s’engager sur leur territoire de vie, on constate des différences très significatives dans la manière dont ceux-ci utilisent les dispositifs qui leur sont proposé, dans la manière dont, tout simplement, ils s’expriment.

Ces différences renvoient pour la plupart à un apprentissage, sur le long terme, de l’engagement et de la participation, et donc à une inégalité face à cet apprentissage. Plusieurs auteurs ont pu en effet montrées l’importance de l’éducation, de l’exemple, pour apprendre et transmettre le goût et la volonté de l’engagement. Un exemple, un modèle de participation, selon Georges Lemieux[1], révèle aux pairs, aux proches, la possibilité d’agir mais également le chemin à emprunter et les méthodes à mettre en œuvre pour s’engager. Connaitre les institutions aux côtés desquelles on s’engage, avec lesquelles on prend des décisions, connaitre les mécanismes de prise de décision, le devenir de la parole participative, est pour Marion Carrel[2], également déterminant de la participation des jeunes.

Aujourd’hui, prétendre proposer aux jeunes de s’impliquer et de prendre place dans des dispositifs participatifs, en niant les parcours de vingt ans de ces jeunes est une pure aberration. Autant ne pouvons-nous évidemment pas exclure les jeunes d’aujourd’hui de l’engagement citoyen, de l’implication dans la vie de la cité ; autant nous devons nous concentrer sur les générations futures et préparer, dès le plus jeune âge, les futurs citoyens à devenir acteur de la cité de demain. Ces parcours doivent donc être pris en compte et analysés.

Les institutions qui ont en charge l’éducation, la socialisation des individus sont toutes décrites comme étant en crise. L’Etat, la famille, l’école, la religion, le travail, ces institutions sont, pour le moins, en mutation. Remise en cause de l’autorité, évolution des valeurs, perte d’influence, émergence de nouveaux modèles, perte de légitimité, perte de sens, d’idéal, de sens communs, …

Pour ne prendre exemple qu’à partir d’une seule de ces institutions et montrer comment on peut prêcher tout et son contraire, nous nous arrêterons un temps ici sur l’école. Pour les besoins de notre illustration, nous devrons considérer celle-ci sous une double approche, de terrain d’une part et institutionnelle de l’autre. D’une part l’implication des enseignants, auprès de leurs élèves, dans ou hors les classes ; d’autres part, l’institution scolaire, avec son programme, ses directives et ses objectifs. Ces deux dimensions scolaires jouent sur le devenir des citoyens de demain, ont joué sur ce que sont aujourd’hui les jeunes citoyens de vingt ans.

Il est, dans l’Education Nationale, comme dans toute entreprise, dans toute institution, des professionnels qui développent une approche humaniste de leurs rapports aux autres. Il est donc des enseignants qui jouent le jeu de l’implication de leurs élèves, de leur devenir citoyen. De multiples expériences, de ci, de là, permettent à des élèves de tout âge, de se confronter à ce que sera leur vie de citoyen de demain, de se construire comme citoyen actif et impliqué. Nous pouvons par exemple évoquer dans un premier temps la philosophie à l’école, et ce dès le plus jeune âge, en maternelle, admirablement mis en image dans le film de Jean-Pierre Pozzi « Ce n’est qu’un début » ; les expériences menées d’élections dans le cadre scolaire (désigner dans la classe des candidats, construire un programme, faire campagne, organiser le scrutin, voter, prendre fonction, prononcer un discours de politique générale, tenir ses engagements et rendre des comptes) ; construire une entreprise à l’école (car la citoyenneté s’exprime également dans le monde professionnel) et rencontrer des partenaires, des institutions du domaine économique ou financier, et présenter, défendre son projet ; etc.

Malgré cela, les bonnes volontés ne suffisent pas toujours. Le contexte et la réalité scolaire peuvent venir contraindre les expériences mises en œuvre et dénaturer les actions éducatives à destination des élèves. Les effectifs, le cadre de l’enseignement scolaire, le stress et la fatigue, les représentations sur l’autorité, les représentations sur le rapport au savoir, l’urgence du programme, etc., sont autant de facteurs qui peuvent aller à l’encontre de l’épanouissement du futur citoyen à l’école, à l’encontre d’un apprentissage serein, par l’expérience, de la citoyenneté et de l’implication.

Par exemple, le poids de l’urgence est également présent dans les établissements scolaires, dans les salles de classe. La volonté d’aborder, en une heure, voire quarante-cinq minutes, un certain nombre de notion concernant la citoyenneté, les principes républicains, peut se heurter à la compréhension, inégale, des élèves. Le dilemme devient : s’arrêter, discuter, s’interroger, susciter le questionnement de l’élève, des élèves, organiser la confrontation des points de vue et prendre le risque de ne pas aborder tous les points prévus ; ou bien, poursuivre le programme du cours et anéantir la participation et par là même l’appropriation, par les élèves, du contenu de l’enseignement. La bonne volonté des enseignants n’est pas à mettre en cause. Mais parfois pris dans l’envie et l’enjeu de transmettre, dans l’urgence d’aboutir, la méthode va à l’encontre des objectifs recherchés.

Pour accentuer les difficultés d’un apprentissage serein de la citoyenneté par l’expérience de celle-ci, le message officiel de l’Education Nationale n’est pas toujours clair sur ses orientations éducatives et pédagogiques. Si les textes officiels, depuis plusieurs années, comportent effectivement des attentes en termes d’apprentissage de la citoyenneté, les méthodes proposées ou bien le cadre dont disposent les enseignants n’est pas toujours propice à cette expérimentation nécessaire, voire indispensable pour se construire en tant que citoyen. De plus, et par ailleurs, le raffermissement relativement général sur la nécessité des apprentissages fondamentaux nous font oublier, d’une part, les apprentissages transversaux et non moins essentiels comme la citoyenneté, l’expression et la réalisation de soi et d’autre part, ont tendance à faire revenir l’élève dans un statut de réceptacle d’une connaissance absolue, en oubliant que le citoyen est également un contradicteur, capable de s’exprimer, d’exprimer un point de vue argumenté et différent de la norme. L’Ecole, dans ses dérives, peut avoir tendance à former davantage des individus disciplinés, qui ne seront pas incités à s’exprimer ou à réfléchir, des abstentionnistes qui tiendront le discours suivant : « A quoi bon voter ! Ce n’est pas mon vote qui changera quelque chose ! » Nous ne sommes pas loin, ici, de l’injonction paradoxale entre : « Devient citoyen ! » et « Apprend et récite ! ».

L’éducation de la jeunesse est un enjeu d’importance qui a eu sa place, dans les débats de la dernière Présidentielle. La citoyenneté n’est jamais absente des discours sur les politiques éducatives. Elle représente en effet, concernant les jeunes, un enjeu d’intégration et de stabilité sociale, peut-être passage obligé également eu égard aux renforcements des votes extrémistes et aux remises en causes concomitantes et incessantes des valeurs républicaines et démocratiques de notre pays. Donc chaque partisan au siège suprême a agrémente son discours sur une politique éducative d’un soupçon d’apprentissage ou de rappel de la citoyenneté. Cette mobilisation n’a d’ailleurs pas forcément été exclusivement réalisée par le biais de l’école. Le Parti Socialiste a eu plutôt tendance à préconiser une ouverture de l’école sur le monde extérieur et notamment professionnel. Selon celui-ci, aller à la rencontre des entreprises, et ce dès le collège, étaye le projet professionnel des jeunes, mais confronte également à un univers différent, à des individus porteur de valeurs, de représentations, d’attentes parfois, et aide le jeune élève à se construire et à se situer dans son environnement. C’est une invitation à la rencontre de l’autre qui a été préconisée, par la mise en œuvre d’actions qui ne sont pas forcément réalisées dans le seul champ scolaire. L’UMP quant à lui, a proposé un renforcement de la transmission des connaissances, des valeurs et des symboles de notre pays dans le cadre scolaire. Il a préconisé également un rappel des citoyens, jeunes ou moins jeunes, dans le cadre de rendez-vous avec la nation, avec une expérimentation de la citoyenneté, à différentes étapes de leur vie. Cette approche concerne davantage la confrontation de chacun, sur des temps choisis, avec les représentations et valeurs officielles de la nation, qu’il s’agit de rappeler à chacun, en vue d’en faciliter la transmission et l’appropriation par tous.

Entre un nécessaire rappel de l’Histoire et de l’héritage et la construction collective par la confrontation et l’échange, la vérité est vraisemblablement à trouver entre les deux.

Si l’on veut faire des futurs citoyens des individus libres d’agir et de décider par eux-mêmes, dans le respect des règles, des lois, et des autres, tout simplement, il nous faut retrouver, sur les bancs de l’école, mais également dans les autres univers en charge de l’éducation des plus jeunes, des temps d’apprentissages et d’expérimentation de la citoyenneté.

Et puisque l’instant est à la réflexion sur l’évolution de l’école, malheureusement davantage sur son mode d’organisation que sur son fondement éducatif, risquons-nous à quelques remarques, peut-être à même d’inspirer cette évolution.

Nous ré-insisterons d’abord sur l’expérimentation, notamment dans le domaine de l’apprentissage de la citoyenneté. On apprend mieux en découvrant par soi-même, en tirant les enseignements de nos découvertes, qu’en apprenant par cœur des principes, valeurs, ou théorèmes. Dans le cadre de la citoyenneté, les principes eux-mêmes peuvent avoir difficilement de la consistance pour les jeunes s’ils ne les ont pas expérimentés, s’ils n’y ont pas été confrontés. Que veulent dire respect, tolérance fraternité, si ces mots ne se raccrochent pas à des expériences vécues ? On peut réciter par cœur en passant totalement à côté de leur signification.

L’expérimentation peut d’ailleurs se situer en dehors de l’école. L’école, institution, n’est qu’un lieu de transmission et d’apprentissage. L’individu, notamment jeune, est confronté en dehors de cette institution à d’autres apprentissages et transmissions. Je ne veux pas ici, opposer une institution à une autre, bien au contraire. C’est de complémentarité et de partenariat qu’il s’agit dans mon propos. Des savoirs fondamentaux peuvent trouver, en dehors de l’école, des partenariats dans lesquels se mettre en expérience, se mettre en action. Concernant la citoyenneté, les réseaux associatifs, les maisons de quartier, devraient être des partenaires tout désignés pour faire le lien entre l’école et la ville, entre transmission de connaissances et mise en œuvre.

Enfin, le pédagogue, l’enseignant, dans sa démarche de transmission, d’éducation, d’accompagnement des jeunes, doit être en mesure de s’observer et d’analyser son action. Dans le domaine de l’éducation spécialisée, de la petite enfance, les professionnels participent régulièrement, en théorie, à des séances d’analyse de leurs pratiques professionnelles. Ce sont des temps d’échanges collectifs, entre professionnels, en petits groupes, avec un médiateur, pour regarder leurs pratiques, échanger des points de vue, essayer de trouver des réponses à des situations difficiles, des problèmes auxquels ils peuvent être confronté, ou tout simplement des questions qu’ils se posent.

Si l’on veut réfléchir à une possible extension du travail de l’enseignant, on doit pouvoir trouver ici, une possibilité pour le sortir de son isolement relatif dans les établissements, de son domaine de compétence exclusif. Au-delà de la spécialité, il partage avec ses collègues la compétence de pédagogue qui doit pouvoir être mise en questionnement autrement que par le simple rappel, très épisodique, des règles, principes et méthodes d’enseignement par la voie institutionnelle.

Comme je le précisais plus haut, le terrain n’est pas vierge de ces diverses expériences. Des enseignants, des établissements scolaires, développent des actions qui vont dans ce sens.

Il s’agirait peut-être alors de mettre un peu de cohérence dans ces différentes actions, de tirer profit des expériences qui marchent, de remettre au centre de nos préoccupations le devenir des enfants au travers de leur rôle de futur citoyen.

Là encore, la rencontre de l’autre et l’échange est peut être une clé du succès.

Pierre-Yves Chiron

Secrétaire Général du CNRJ

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