Le mot illettrisme est apparu dans les années soixante-dix (1978), en réaction à une illusion, celle d’une alphabétisation absolue, réalisée par le système scolaire. L’association ATD – Quart-Monde en infléchissant son action de la lutte contre la pauvreté à la lutte contre l’ignorance, voulait attirer l’attention sur l’analphabétisme plus ou moins complet de certains adultes de milieux défavorisés, en difficulté pour faire face aux exigences d’une vie professionnelle ou personnelle. En 1984, le gouvernement Mauroy crée le Groupe permettant de lutte contre l’illettrisme.
Un rapport officiel : Des illettrés en France, (Espérandieu, Lion, Bénichou), révèle « qu’un nombre important de personnes francophone, ayant été scolarisées, ont de sérieuses difficultés avec la langue écrite, au point d’être incapables de comprendre un exposé simple de faits en rapport avec la vie quotidienne ». Cette définition rappelle celle de l’UNESCO, 1958, pour désigner l’analphabétisme. Est considéré comme analphabète, littéralement, celui qui ne connaît pas l’alphabet, en fait celui qui n’a jamais appris à lire et à écrire. Cette situation concerne aujourd’hui plutôt les pays pauvres.
Le terme illettrisme désigne les personnes qui, malgré un passage par l’institution scolaire, sont démunis face à l’écrit.
On est donc analphabète « faute d’école » , et illettré « malgré l’école », ce qui fait dire à R. Girod, 1997 que « dans des pays qui sont les plus développés du monde, nombre de jeunes et d’adultes, bien qu’ayant accompli des années d’école, (sont) incapables ou presque de lire plus que gros titres du journal, d’écrire une carte postale ou d’additionner deux nombres ».
L’illettrisme recouvre des situations très diverses et parfois difficiles à détecter. En outre, les critères de définition sont très variables, ce qui fait dire à certains auteurs qu’ils dépendent de la nature des représentations de l’écrit dans une socio-culture donnée, et que des processus de stigmatisation sont induits par une certaine valorisation de la culture lettrée (ethnocentrisme culturel des lettrés).
En France, on rassemble sous le nom d’illettrisme des phénomènes fort différents touchant deux, cinq voire huit millions de personnes en France, dont 6,5 % des jeune : illettrisme lié à la pauvreté ou à la précarité est très perturbée (tziganes, bateliers…) ; illettrisme récurrent de jeunes adultes sortis du système scolaire sans aucun diplôme ; difficulté de relation à l’écrit de personnes qui, sans avoir été mises en échec, ont connu de fortes perturbations dans leur scolarité et leur vie personnelle etc.
L’invention de « l’illettrisme », B Lahire, 1999, cristallise toute sorte d’enjeux. La sociologie historique de « l’illettrisme » décortique la rhétorique des discours publics sur l’illettrisme sont devenus une affaire d’Etat, les bureaucrates se substituant aux militants avec notamment l’instauration depuis une quinzaine d’années du GPLI. L’école, en particulier, participe à la construction sociale de l’illettrisme, Hébrard, Chartier, 1992. Girod, 1997, souligne « le paradoxe, extravagant au regard des normes que les enseignants sont persuadés de respecter […] Il est visiblement possible de se faufiler, pour ne pas dire en étant presque nul dans ces branches ».
Le sociologue précise que « s’il est exact qu’entre misère et illettrisme les liens sont étroits. Les deux vont très souvent de pair. Cependant, cela ne concerne qu’une fraction de la population et qu’un des cas d’illettrisme. Celui-ci s’étend bien au-delà des milieux les plus déshérités, jusqu’au sein des classes moyennes. Il n’est même pas tout à fait absent des classes supérieures ».
L’illettrisme représente un véritable défi lancé à la démocratie : facteur d’inégalité profonde, l’illettrisme invalide l’exercice des droits civiques, la participation à la vie économique et culturelle, la liberté individuelle et l’épanouissement de soi.
On le voit, l’illettrisme fait désormais partie des grands problèmes sociaux publiquement reconnus en France, considéré depuis 1983, comme une « priorité nationale » par les plus hautes instances de l’Etat. Mais entre la réalité des inégalités d’accès à l’écrit, qu’il ne s’agit pas de nier, et les discours qui sont censés en parler, le rapport n’a rien d’évident. L’action sur le terrain mobilise surtout les associations, (Le Monde du 24 mai 2002).