Toute définition étant une identité, l’identité même ne saurait être définie. Cette remarque de G.Frege, 1894, ne nous interdit pas de questionner les rapports de l’identité aux sciences sociales.
Les sciences sociales sont passées dans les années soixante du concept d’image sociale, illustré notamment par le laboratoire de Chombart de lauwe, à celui de représentation lie, à la suite de la thèse de Moscovici, pour travailler s les années quatre-vingt-quinze à une exploration du concept d’identité. Un nombre considérable d’éléments participent à la construction et à la définition de l’identité. A.Muchielli, 1994, en repère quelques-uns: le système cognitif, l’éducation, la socialisation, la culture, identification à autrui, la perception, le sentiment d’appartenance, le sentiment de continuité temporelle, le sentiment de différence, les valeurs, l’autonomie, l’identité communautaire, l’identité individuelle, l’identité sociale, identité différentielle, l’identité attribuée, l’identité :prescrite, l’identité dynamique, etc.
Il ne faut pas confondre l’identité personnelle et sociale et identité professionnelle; cependant les stratégies identitaires constituent « une mosaïque personnelle et, sociale), au sens où les deux dimensions sont imbriquées: ‘une « personnelle), l’autre «sociale et personnelle). La famille est le premier lieu d’apprentissage des identifications et de l’appropriation des identités multiples (identité sexuelle … ). D.W. Winnicott et R.A. Spitz ont mis l’accent sur l’importance des interactions précoces dans la formation du sentiment d’identité. la construction identitaire est un processus dynamique qui peut être traversé par des ruptures et des crises entraînant des modifications sensibles de la conscience de soi. La conscience de sa propre identité oriente le rapport à l’existence et au monde.
Erikson a été le premier à proposer la notion d’identité à travers le concept de crise d’identité. Sa théorie s’appuie sur la notion d’identification de Freud. Le processus identitaire se construit par étapes et atteint sa crise normative pendant l’adolescence où le jeune se trouve acculé à faire des choix, à prendre des décisions qui conduisent à des engagements pour la vie.
Pour le sociologue J.c. Kaufmann, « l’identité est un processus. C’est ce qui permet de recoller les morceaux, de donner sens à sa vie, dans chaque situation. C’est un travail. » L’identité est une conquête jamais achevée, qui se trouve toujours menacée même lorsqu’elle semble bien affirmée dans la maturité. Le sourd travail du vieillissement, la fatigue, la déception, les deuils risquent de l’ébranler fortement. L’identité personnelle, selon Clévi-Strauss, 1977, est un « foyer virtuel» qui n’existe pas (comme « objet » réalisé) mais auquel on croit et qu’on a besoin de dire (comme « sujet») pour vivre et agir avec les autres. L’identité sexuée se développe dès les premières années de la vie.
C. Dubar, 1991, évoque un processus de construction identitaire: « l’identité humaine n’est pas donnée, une fois pour toutes, à la naissance: elle se construit dans l’enfance et, désormais, doit se reconstruire tout au long de la vie. L’individu ne la construit jamais seul: elle dépend autant des jugements d’autrui que de ses propres orientations et définitions de soi. L’identité est un produit des socialisations successives ». Deux processus identitaires hétérogènes se présentent: le premier concerne l’attribution de l’identité par les institutions et les agents directement en interaction avec l’individu; le second concerne l’intériorisation active, l’incorporation de l’identité par les individus eux-mêmes. Ainsi l’institution scolaire conduit à construire des visions particulières de soi et d’autrui. D’après C. Dubar, si l’ensemble des choix d’orientation scolaires représente une anticipation importante du futur statut social, c’est dans la confrontation avec le marché du travail que se situe actuellement l’enjeu identitaire le plus important des individus.
P. Tap, 1997, repère six composantes impliquées dans la construction et la dynamique de l’identité: la continuité (ou sentiment de rester le même au fil du temps); l’unité, la cohérence du moi (ou représentation plus ou moins structurée, stable que l’on a de soi-même et que les autres se font de la personne) ; l’unicité (ou sentiment de se percevoir comme unique); la diversité (ou coexistence de plusieurs personnages en une même personne); la réalisation de soi par l’action (c’est le cas dans les démarches de projet et de formation) ; la vision positive de soi (ou estime de soi). Dans la construction des identités se joue la dialectique du même et de l’autre, et une double articulation: permanence/changement, intériorité/extériorité. « L’identité émerge de l’action et la production d’œuvres ». Je suis ce que (je fais) je deviens.
Il semble nécessaire d’avoir une identité pour s’orienter, d’où les problèmes d’orientation existentielle rencontrés par les personnes en quête d’identité. Nous sommes les contemporains d’une crise d’identité, ce qui fait dire à J.c. Kaufrnann, 2004, que « nous sommes entrés dans l’âge des identités [ … ] l’identité est un processus historique qui. .. n’a pleinement surgi au niveau individuel de l’invention de soi que depuis moins d’un demi-siècle».
Autrefois, l’identité était fixe et assignée une fois pour toute, enracinée dans un passé commun. De nos jours, les individus aussi bien que les groupes sont contraints par les circonstances qui changent, de redéfinir eux-mêmes leur identité, au regard d’un avenir incertain. En ce sens, les identités sont perçues comme relativement fluides et malléables. Ce sont les trajectoires et non plus les positions qui désormais définissent les identités. Mais une nouvelle identité est souvent instable, incertaine et peut s’avérer déstabilisante et douloureuse, d’où la fatigue d’être de soi », (entendue comme pathologie de l’insuffisance: Suis-je à la hauteur? Suis-je capable de le faire ?) débouchant sur la dépression se substituant à la névrose, A. Ehrenberg, 1998.
Un monde d’identité en flux est un monde où le besoin de reconnaissance des individus devient un enjeu de premier ordre et intéresse la société globale. On parle désormais de la dynamique des identités, d’identités plurielles, « mosaïques », contextuelles, changeantes dans la mesure où les individus doivent vivre dans des sociétés de plus en plus complexes, d’où le caractère essentiellement instable, multidimensionnel, différentiel et relationnel des processus de construction identitaire. L’expérience postmoderne crée les conditions d’une « vie en miettes », Z. Bauman, 2003. Chacun tend à se bricoler un style de vie en combinant plusieurs appartenances, voire plusieurs identités. Au sein d’une « société hypertexte », les identités deviennent « liquides », « flexibles» aux composantes interchangeables (hybridité culturelle). Peuvent-elles devenir « meurtrières» comme le prétend A. Maalouf, 2000 ?
La « flexibilité identitaire », R. Wittorski, 1994, répond à un changement de pratiques professionnelles et suppose un abandon des systèmes de description de tâches précises. C. Dubar, 2000, évoque la crise des identités» en ces termes: « Auparavant, les identités professionnelles étaient le résultat de négociations collectives (syndicats, patronats) validées par l’État avec un appui important sur les diplômes et les niveaux de qualification, aujourd’hui le diplôme professionnel ne veut par forcément dire identité reconnue. Ces évolutions ne conduisent pas au remplacement d’un mode d’identification par un autre, elles invalident le mode traditionnel en ouvrant un champ de possibles qu’il revient au sociologue de comprendre. Ce que l’on peut d’ores et déjà dire, c’est qu’on assiste à l’éclatement des modèles dominants au profit d’identités professionnelles qui sont davantage singularisantes, incertaines mais individualisées. Les identités se construisent dans et par les interactions avec les autres et avec le monde tout au long de la vie ». En précisant le concept de « forme identitaire », C. Dubar prend en compte deux traits caractérisant la subjectivité de l’individu socialisé dans nos sociétés complexes: la pluralité des identités, la fluidité et la malléabilité de ces identités. Autrement dit, il n’y a pas d’identité « naturelle» qui s’imposerait à nous par la force des choses. La prétendue « identité culturelle» correspond à une « identité politique », en réalité tout aussi illusoire: « Il n’y a que des stratégies identitaires, rationnellement conduites par des acteurs identifiables », J.F. Bayard, 1996.
Selon le concept d’identité élaboré par A. Strauss, dans le cadre de l’école interactionniste, chaque individu appartient simultanément à plusieurs groupes sociaux et dispose donc de plusieurs collectifs de référence. Cette appartenance sociale, culturelle, à des collectifs divers fait que, à un moment donné, des gens différents peuvent avoir une même conduite. Elle permet aussi de comprendre des comportements que ne suffiraient pas à expliquer le profil psychologique, l’histoire individuelle (l’enfance, le rapport à la mère, l’absence de père … ) ou l’appartenance à une catégorie sociale unique (la bourgeoisie de province, la classe ouvrière, la classe moyenne .. )
La notion de « construction identitaire» concurrence-t-elle celle de « socialisation» ? L’idée se répand selon laquelle le soi est un projet réflexif, l’individu moderne se définissant à travers son « identité narrative », c’est-à-dire la mise en récit qu’il fait de sa propre histoire. L’identité procède d’une logique séparative et classificatoire. Suffit-il de catégoriser pour rendre compte de la dynamique identitaire? P. Bourdieu rappelle que catégorie, vient du grec, katêgorein qui signifie accuser publiquement. P. Ricoeur, 1991, dans une perspective de philosophie morale, relie l’identité personnelle, avec les notions d’ « identité narrative », d’initiative, d’attestation et de distinction entre mêmeté et ipséité. La mêmeté ou le fait d’être le même (idem) et l’ipséité ou le fait d’être soi (ipse) : « Une vie ne devient une existence et ne s’appréhende comme telle, que si elle est en quête de narration … je suis ce que je me raconte ». Autrement dit, mon identité n’est pas immédiatement donnée, elle n’est pas connaissable sans l’intermédiaire des mots, qui l’inventent mais en même temps la découvrent ».
Lévinas parle du visage comme essentiel pour représenter l’identité d’une personne. Autrement dit, l’identité d’une personne ne se réduit pas à l’identité civile et ne se confond pas avec l’identité biométrique. Identifier n’est pas authentifier.
On ne saurait se contenter de rapporter l’identité à l’individu, comme c’est le cas en Europe où est mis en débat l’ « identité postnationale », J.M. Ferry, 2005. Le contexte des castes en Inde, par exemple, montre comment l’identité peut également renvoyer à un entrecroisement d’appartenances communautaires et faire l’objet d’une « négociation ", N. Tazi, 2004. La dimension psychologique et subjective du moi, héritée de J. Locke qui oriente vers une intériorité close, est récusée au profit de la dissolution de la frontière entre moi-même et autrui. L’homme est « un être de frontières », Thomas d’Aquin.
Nous sommes loin d’avoir épuisé la grande complexité du sujet humain qui se retrouve en particulier, dans son identité nomade et polyglotte. Il y a autant d’identités que de contextes sociaux de définition d’un acteur. À cet égard, P. Boumard & G.lapassade & M.lobrot, 2006, dénoncent « le mythe de l’identité) et font l’apologie de la dissociation. On le voit, « si l’individu est en crise aujourd’hui des points de vue de son identité et de son unité, alors la raison s’en trouve dans le changement de paradigme informatif à un paradigme programmatique et prédictif », B. Andrieu, 2006.