In Gem Gif – le 20 mai 2013 :
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Professeur Emérite de Psychologie de l’Éducation – Université de Lille 3
Chercheuse en chronobiologie spécialiste des rythmes de l’enfant et de l’adolescent
« Je compte sur l’école pour changer la société de demain.
Les enfants sont les citoyens de demain, ce sont eux qu’il faut changer. »
La semaine de 4 jours, une aberration
Cette semaine de 4 jours existait depuis 1991 dans certaines communes et dès 1995, Claire Leconte a cosigné, avec d’autres scientifiques, une tribune dans le Monde pour dénoncer la fatigue engendrée par un tel emploi du temps. Elle déstructure les rythmes biologiques de l’enfant (NB : si vous êtes intéressé par plus de précision sur les rythmes biologiques, vous trouverez en fin d’article tout ce qu’en a expliqué Claire Leconte le 26 avril aux Ulis où elle était invitée), avec la modification permanente du rythme veille/sommeil. Quand on n’a pas classe le lendemain, on se couche tard, d’où une déstructuration, des conséquences qui se cumulent, comme la fatigue, pour les enfants comme pour les enseignants. Des recherches, des travaux, permettaient dès cette époque de bien se rendre compte des dégâts causés chez les enfants.
De plus, les psychologues ont depuis longtemps démontré qu’un apprentissage distribué dans le temps est bien mieux acquis que s’il est massé sur une courte période.
S’occuper d’aménager le temps de l’enfant, pas « les rythmes scolaires » :
Claire Leconte insiste sur le fait qu’il faut éviter de parler de « rythmes scolaires ». C’est dans les années 60 que les rythmes biologiques ont commencé à être reconnus. Le rythme est quelque chose qui « se reproduit à l’identique en fonction d’une certaine périodicité ». Il n’y a rien d’identique dans le scolaire puisque chaque jour, l’enfant évolue et donc, associer les mots de « rythmes » et de « scolaires » ne veut rien dire du tout.
La fatigue de l’élève n’est pas un problème nouveau. Il en était déjà question au XVIIème siècle. Il serait temps qu’on prenne ce problème à bras le corps et de faire que les enfants apprennent et vivent mieux au sein de l’école. Dans les années 70, Guy Vermeil, un grand pédiatre avait écrit « La fatigue de l’écolier ». En 2002, dans une conférence il disait que s’il devait réécrire cet ouvrage il le ferait mais il l’intitulerait autrement, à savoir « la fatigue de l’enfant » car il s’est aperçu au travers de toutes ses consultations que la fatigue était liée à l’ensemble de la vie de l’enfant, pas seulement à l’école, et que chacun y avait donc sa responsabilité.
Ce qu’il faut s’occuper d’aménager, c’est le temps de l’enfant (pas « de l’élève ») et chacun de nous a une responsabilité dans l’aménagement de ce temps. C’est pourquoi tout le monde, toute la communauté éducative, doit réfléchir ensemble sur ce sujet.
Que tout le monde réfléchisse ensemble :
Le plus gros danger est en effet que chacun réfléchisse dans son coin : que l’Education nationale réfléchisse dans son coin, la Mairie dans son coin, etc…Il faut au contraire se demander, pour que l’on arrive réellement à refonder l’école :
« Qu’est-ce que chacun de nous est prêt à changer pour que ça aille dans le bon sens ? ».
Il faut que chacun fasse un pas vers l’autre et à ce moment-là, ça pourra changer. C’est l’intérêt de tout le monde de se mettre autour d’une table.
Refonder l’école…
On parle de refonder l’école, ce qui veut dire rénover les conditions d’apprentissage de l’élève. Il faut accepter de se dire que ça ne peut pas être un petit changement à la marge. Comme le dit Mme Leconte : « Réduire la réforme à des calculs quantitatifs, c’est être complètement à côté de la plaque ». Il faut réfléchir au contenu.
Enlever simplement trois quarts d’heures en fin de journée et les caser ailleurs est très mauvais pour les enfants : cela n’a pour effet que de morceler le temps, de l’émietter. Et il est absurde de penser qu’un simple allègement du temps travaillé va permettre aux enfants d’être plus concentrés et moins fatigués. Le degré d’attention des enfants ne dépend pas seulement de la longueur de la journée, mais aussi des qualités pédagogiques de l’enseignant. Surtout, la fatigue des enfants ne découle pas seulement du nombre d’activités qu’ils effectuent, mais de leur morcellement. Il aurait donc fallu engager une réflexion pédagogique sur la gestion des temps scolaires, les méthodes d’apprentissage et les évaluations, en favorisant par exemple les transferts d’apprentissage entre les activités.
Les 3h d’école en moins :
Dans beaucoup de communes, on va juste enlever trois quarts d’heure par jour et les enfants travailleront le mercredi, et cela ne changera rien à rien. Il faut mettre les 24h à plat et voir comment on les reconstruit. Comme dit Claire Leconte, « c’est un sacré boulot ». A chaque fois qu’elle a participé à des expériences dans des communes pour construire un vrai projet, cela a duré un an. Il faut commencer par recenser toutes les ressources disponibles qui pourraient être mutualisées pour un parcours éducatif pour les enfants.
D’ailleurs, il faudrait rendre obligatoire les projets éducatifs locaux, car c’est ainsi qu’on peut poser les bases d’une “co-éducation” bien comprise.
L’école sur cinq jours, pas sur « 9 demi-journées »…
La loi prévoit « école sur 9 demi-journées » et pas « sur cinq jours ». Cela change tout, cette notion-là, et Claire Leconte espère que des amendements de l’article 47 lors de la 2ème lecture de la loi vont permettre d’enlever cette notion de demi-journées, de matin et d’après-midis qui casse tout. Il faut parler de 4,5 jours et non de 9 demi-journées.
… car le matin n’est pas l’équivalent de l’après-midi :
C’est l’une des choses que devrait faire l’Education Nationale, repenser le temps. C’est de sa responsabilité. Le matin n’est pas équivalent à l’après-midi.
Il est urgent qu’on mobilise le matin, qui pourrait, comme dans plusieurs projets que Claire Leconte a aidé à mettre en place, être de 4h. C’est le temps des apprentissages, de tous les apprentissages et pas seulement des maths et du français : pour bien faire, il faudrait chaque matin respecter la triple alternance : maths-français-histoire-sciences../activité motrice/activité créatrice, avec deux fois un quart d’heure de pause. Parce que c’est l’alternance d’activités qui permet aux enfants de souffler et de ne pas accumuler la fatigue.
Pour l’avoir expérimenté, la proposition qui consiste à privilégier les matinées de travail est valable aussi bien pour les maternelles que pour les élémentaires. Proposer cinq matinées de quatre heures, entrecoupées de deux pauses, permet de proposer aux enfants de tous âges du temps pour mener à bien leurs apprentissages.
Cela permet d’alléger au maximum les après-midi, et, surtout, de proposer des temps de repos, de relaxation, de décontraction, de manière à faire respirer les enfants.
C’est une erreur de croire que les lâcher le midi en cour de récréation va leur permettre cette respiration. Il faudrait la possibilité pour les enfants qui sortent de la cantine de moments calmes. C’est ce qu’on appelle « le creux méridien », c’est le moment de la journée où la vigilance physiologique est au plus bas. Qu’ils puissent se reposer, ne rien faire, car comme dit Claire Leconte, « ne rien faire » est une activité à part entière.
Le parcours éducatif :
A Lomme par exemple, ils ont deux après-midis de 2h avec 6 parcours (deux par trimestre) : éducation à la citoyenneté, philosophie, langage des signes, cirque, marionnettes et astronomie. Ces parcours sont non obligatoires, mais tous les enfants y viennent. Ils sont pris en charge financièrement par la Mairie.
Autres conséquences dans l’école de Lille et non des moindres:
Dans le quartier difficile de Lille où elle travaille avec une école depuis 17 ans, tous les parents viennent à l’école. Ils veulent apporter leur contribution dans le projet d’école. C’est un travail au jour le jour. Et cela fait 17 ans que cela dure. Il y a un suivi permanent, par un comité de pilotage. Les enseignants disent qu’ils ont retrouvé les fondamentaux de leur métier. Et elle est affirmative là-dessus : pour que l’école se passe bien il faut impérativement que les enseignants se sentent bien.
Aux enfants, ce système apporte une grande ouverture culturelle, ils ne redoublent plus, ne sont plus décrocheurs. Les professeurs du collège voient la différence.
De nombreux articles intéressants de Claire Leconte sur son blog consacré à « L’école et les temps de l’enfant »
http://www.claireleconte.com/pages/presentation/
Les rythmes biologiques,
Ils font partie intégrante de la vie. Même les plantes ont un rythme biologique, c’est génétique. Il ne peut donc être modifié.
Le rythme circadien : sur une journée de 24h. Pour que le rythme veille/sommeil se fasse correctement, il faut qu’il y ait une synchronisation de toutes les horloges. Pour que le sommeil soit de qualité, il faut que la veille soit de bonne qualité. Il y a ce qu’on appelle la pression du sommeil, autrement dit « la bonne fatigue ». Il faut organiser la journée de l’enfant de façon à ce qu’il ait une bonne fatigue qui lui permette donc d’avoir un sommeil de qualité. La température centrale atteint un creux en milieu de nuit, puis augmente jusqu’au moment du réveil spontané, c’est-à-dire sans réveil. Si on est en avance de phase, c’est-à-dire qu’on met son réveil, cela veut dire qu’on se réveille avant que nos horloges soient synchronisées. Et plus la distance est grande entre l’éveil spontané et le réveil, plus les horloges seront déphasées. Le cortisol arrive en pic de fonctionnement quand l’éveil spontané va se produire et au contraire, la mélatonine est quasiment à l’arrêt.
Jusqu’à 8-9 ans, l’heure du lever est indépendante de l’heure du coucher, tous les parents l’ont observé, l’enfant couché plus tard, dont on espère qu’il fera une grasse matinée, se réveille en fait à la même heure.
Le 1er travail que l’on doit faire est ce respect veille-sommeil. Les enfants devraient se réveiller seuls. Sans réveil. Et les parents devraient adapter l’heure du coucher en fonction de cette heure connue de réveil naturel.
L’horloge infradienne : c’est une horloge mensuelle, celle de l’hibernation. De novembre à mars, il y a diminution de la luminosité et les médecins constatent plus de dépression. C’est donc un non-sens que les plus longues vacances se passent en été. C’est une aberration de demander à des ados de cravacher au 2ème trimestre alors que c’est un moment très difficile pour eux. Ils sont fatigués. Il serait urgent de revoir l’ensemble de l’année, en particulier en mettant trois semaines de vacances à Noël de façon à ce que les enfants aient le temps de récupérer pendant l’hiver où leur organisme manque de lumière. Quant aux vacances de printemps, il faudrait les grouper aux jours fériés de façon à éviter cet emploi du temps gruyère. Les ponts en permanence sont une aberration. Le pire est le morcellement du temps.
L’horloge ultradienne :
1) Le rythme cardiaque est révélateur des changements à l’environnement. L’accéléra-tion prévient d’un danger potentiel. C’est une mise en défense de l’organisme, mais coûteuse.
Dans un restaurant scolaire, ont été faits des relevés sono-métriques, on est arrivé à 85 décibels comme bruit de fond, c’est-à-dire celui d’une locomotive. A ajouter à cela le bruit du couteau qui tombe, du verre qui se casse, du caoutchouc qui manque sous le pied de la chaise et qui fait que ça grince quand elle est tirée. Quand un enfant sort d’une cantine avec un tel bruit, il est en état de stress émotionnel, d’émotion physiologique, dit-on. Et à ce moment-là, on lui dit « va dans la cour te défouler », alors qu’il est déjà en hyper excitation. Il aurait au contraire besoin de calme (certains pourraient même s’endormir). Il faudrait la possibilité pour les enfants qui sortent de la cantine de moments calmes. C’est ce qu’on appelle « le creux méridien », c’est le moment de la journée où la vigilance physiologique est au plus bas. Un pédiatre genevois a mis en évidence, en étudiant plusieurs milliers d’accidents corporels, que le maximum (foulures en particulier) se situe entre 12h30 et 14h. Il faudrait qu’après la cantine, les enfants puissent se décontracter, se reposer, faire la sieste, faire «RIEN ». Qu’ils aient un coin pour la tchatche entre copains et copines. « Ne rien faire » est pour moi une activité en soi.
2) Le sommeil : Le soir, quand le corps sent le besoin d’aller se coucher, la température baisse, c’est le « frisson » qu’on ressent. La sécrétion du cortisol commence à baisser à partir du creux méridien et continue de baisser jusqu’à atteindre son plus bas niveau au moment où le sommeil s’annonce. C’est alors que la mélatonine est prête à démarrer sa sécrétion à la condition que le sujet soit dans l’obscurité.
Pendant le début de nuit, on est pendant 90 minutes dans un cycle de sommeil profond et très profond, fondamental pour la récupération de la fatigue physique. C’est au stade 4 de ce sommeil profond qu’est sécrétée l’hormone de croissance (et ne peut l’être que si les stades précédents ont été respectés). Pendant ce cycle de sommeil, c’est aussi la peau qui se régénère, le système immunitaire qui se renforce.
Puis apparaît le sommeil paradoxal pendant lequel le cerveau est en activité. C’est là qu’il traite les informations apprises dans la journée. Voilà pourquoi il est toujours très productif pour un enfant de relire ses leçons avant d’aller se coucher. Puis se produit un nouveau cycle de sommeil profond, puis le paradoxal, avec le sommeil des rêves.
Les deux bouts de la chaîne du sommeil sont très importants pour les enfants.
Certains parents pensent pouvoir avoir une grasse matinée en couchant leurs enfants plus tard le week-end. Mais l’heure du lever sera toujours la même et tout ce que l’enfant aura perdu, ce seront ses heures de sommeil profond. Le cerveau n’aura plus le temps de se reposer de la fatigue physique. Le rôle des parents est d’observer leurs enfants, de voir à quelle heure ils vont se réveiller naturellement et de combien de sommeil ils ont besoin. Ensuite, d’adapter l’heure du coucher en fonction de façon à n’interrompre aucun cycle de sommeil en particulier en début et en fin de nuit. Il est aussi pénalisant pour un petit dormeur d’être contraint de rester des heures au lit que pour un gros dormeur d’être privé de sommeil. Il faut surtout que les parents apprennent aux enfants à repérer quand ils sont fatigués, quand ils ont besoin d’aller dormir. Leur expliquer qu’on a le droit de dire « j’ai sommeil », que cela répond à un besoin. Il faut surtout éviter d’associer le sommeil à une punition comme souvent on le fait. Les enfants ont besoin d’obscurité pour dormir bien. Cela veut dire, pour les adolescents par exemple, qu’il ne faut pas de lumière qui perturbent le sommeil = écran en veille, petite lumière des téléphones, etc. La création de la mélatonine se fait quand la lumière baisse.
Même adulte, même ado, quand on se couche tard, il est bien préférable de se lever à l’heure normale et ensuite, de faire la sieste.
Il faut l’obscurité pour dormir, inversement, le corps a besoin de la lumière du jour et c’est aussi pour cela que le pédibus est excellent. Il permet aux enfants d’arriver décontracté en classe et permet de recharger les batteries.
Compte-rendu rédigé par Martine Debiesse
(Groupe Démocrate et Indépendant GemGif)