In L’Humanité – le 3 décembre 2013 :
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Alors que les résultats de l’enquête Pisa, révélée ce matin par l’OCDE, montre un nouveau recul de l’école française, le sociologue Jean-Pierre Terrail donne des pistes pour relancer la démocratisation de notre système éducatif.
Rendu des copies. L’OCDE publie ce matin les résultats de l’enquête internationale Pisa sur les performances des élèves de quinze ans en 2012. Des conclusions largement anticipées par Vincent Peillon. Fin octobre, le ministre de l’Éducation nationale a déjà révélé que le constat dressé par les experts serait peu amène. Et que les écarts entre les élèves qui réussissent et ceux en grande difficulté s’étaient encore accrus par rapport à 2009 «?dans des proportions qui sont inacceptables?». Animateur du Groupe de recherches sur la démocratisation scolaire, le sociologue Jean-Pierre Terrail analyse ces résultats.
Ces résultats vous surprennent-ils ?
Jean-Pierre Terrail. Il faut les replacer sur une longue période. Entre?1987 et?1997, les travaux du ministère, en France, montraient déjà une stagnation des acquis à la sortie du primaire. Puis, de 1997 à 2007, il note une dégradation de ces résultats qui concorde avec les dernières enquêtes Pisa. Ce n’est donc pas une surprise. L’efficacité du primaire n’a pas bougé depuis vingt-cinq ans.
Comment analysez-vous ce recul de l’école française ?
Jean-Pierre Terrail. Cette dégradation est à la fois le fruit de l’institution scolaire – avec la mise en cause des conditions de travail, l’encadrement dans les classes, la fatigue des enseignants,?etc. – et de la dégradation de la situation sociale dans son ensemble, avec de plus en plus de familles en difficulté dans les milieux populaires. Mais aujourd’hui nous sommes arrivés à une situation intenable. Les inégalités scolaires ont été longtemps tolérées, car elles se situaient dans un trend ascendant, le fils faisant plus d’études que le père,?etc. Ce processus est bloqué depuis le milieu des années 1990. Toute une partie de la population sort de l’école sans maîtrise suffisante de la langue écrite, alors même que notre société est de plus en plus complexe, avec un développement accéléré des sciences et des technologies. Cette fracture qui s’accroît est extrêmement dangereuse pour l’avenir démocratique du pays.
Comment agir ?
Jean-Pierre Terrail. Vu la difficulté de la situation, les réformettes n’auront aucun effet. C’est la conception d’ensemble de notre système éducatif qui est aujourd’hui en cause. La mise en concurrence systématique des élèves, que l’école organise depuis les années 1960, se fait toujours au détriment des classes populaires. La culture de l’échec domine avec, à la disposition des enseignants, tout une série de moyens institutionnels pour «?régler?» la difficulté intellectuelle par des solutions administratives : la mauvaise note, le redoublement, les classes Segpa… Si on veut démocratiser l’école, il faut, me semble-t-il, mettre en place un tronc commun sans redoublement au long duquel les difficultés intellectuelles seront réglées par des solutions intellectuelles. Autre grande question : celle des dispositifs pédagogiques. L’institution scolaire dispose d’une marge de manœuvre, à condition d’ouvrir le dossier des pratiques en classe. Une enquête récente vient de montrer, par exemple, que le choix du manuel scolaire d’apprentissage de la lecture a un impact aussi fort sur la réussite que le niveau culturel des parents… L’influence de ce dernier existe mais on dispose de moyens pour réduire considérablement ces écarts. À condition d’en avoir la volonté politique.
La «?priorité au primaire?» de Vincent Peillon est-elle à même d’inverser la donne ?
Jean-Pierre Terrail. Tout dépend de ce qu’on appelle «?priorité?». Ce n’est pas en rendant quelques postes et en mettant des maîtres surnuméraires ici ou là qu’on peut radicalement modifier la situation. La vraie question est d’enfin réfléchir sur la façon dont on travaille dans les classes. Pour l’instant, le ministère refuse d’ouvrir ce chantier. Nous vivons encore largement sous la révolution pédagogique des années 1970 et 1980, dont beaucoup de promoteurs et d’acteurs étaient animés des meilleures intentions progressistes et démocratiques; pour autant, il est urgent aujkourd’hui de réexaminer cet héritage, dont la force propulsive est pour le moins épuisée, en donnant la formation nécessaire et de réels moyens d’expérimentation aux enseignants, en liaison avec des travaux de recherche. Pour donner vraiment la priorité au primaire, il conviendrait de tout faire en ce sens.