Les collectivités territoriales sont restées en retrait de la concertation lancée par le ministère de l’Éducation nationale. Elles n’auront de toute façon d’autre choix que de financer des équipements dès la rentrée 2016 dans le cadre des nouveaux programmes du collège.
« Vous ne trouvez pas étrange que le ministère de l’Education Nationale lance une consultation sur le numérique à l’école quelque jours après nous avoir envoyé un cahier des charges précis pour l’équipement en tablette de tous les collégiens ? », remarquait Florence Sylvestre, responsable de l’environnement numérique des collèges au conseil départemental des Hauts-de-Seine lors des Net Journées accueillie par la délégation académique au numérique éducatif du rectorat de Strasbourg. C’est bien là tout le paradoxe de la concertation qui s’est déroulée du 20 janvier au 9 mars 2015 et dont les résultats ont été restitués le 7 mai dernier.
L’objet de cette concertation n’était donc pas de remettre en cause un plan numérique déjà en ordre de marche pour la rentrée 2016, qui prévoit que les élèves de classes de 5ème viendront au collège avec un « équipement individuel mobile » (EIM), comme il se doit, à écran tactile, selon l’inénarrable jargon estampillé Éducation nationale. Les collectivités territoriales seraient-elles résignées à financer équipements, ressources et infrastructures comme la loi de la refondation de l’école leur impose ?
0,4%
Leur participation à cette consultation est en effet anecdotique. Du moins sur les deux outils mis à disposition sur le site web créé pour l’occasion par le ministère. Seuls 0,4% de représentants de collectivités territoriales classés dans la catégorie « autres » ont pris le temps de répondre au e-questionnaire sur les 50 000 participants.
Quant à la plate-forme technique, copie conforme de celle mise en ligne par le Conseil national du numérique (CNN) dans le cadre de la concertation sur le numérique, utilisée cette fois sous un mode « forum citoyen », le bilan est encore plus étique : sur les 600 contributeurs ayant produit 1100 contributions, l’on identifie seulement celle mise en ligne par l’Association des maires ruraux de France.
Les collectivités ont pourtant été associées au processus : « Nous avons conçu le questionnaire en amont avec les principales associations d’élus que nous rencontrons une fois par mois. Nous développons une gouvernance partagée avec les collectivités qui font partie du service public du numérique éducatif au même titre que l’État », explique Catherine Becchetti-Bizot, directrice du numérique pour l’éducation au ministère de l’Éducation nationale.
Une petite trentaine de participants par conférence
Le dispositif en ligne était complété par des événements, avec 150 conférences organisées par les recteurs d’académie, réunissant au total 10 000 participants, soit une petite moyenne de 27 par session. Les collectivités y étaient conviées au même titre que les parents d’élèves, les acteurs de l’éducation populaire, les enseignants et les entreprises de la filière éducative en attente de commandes. Des conférences et « ateliers de restitution » ont été montés en mode commando dans les rectorats par les délégations académiques au numérique pour l’éducation. Il fallait rapidement trouver un espace dans des agendas déjà saturés par d’autres grands sujets comme la « grande mobilisation pour les valeurs de la République » lancée après les attentats de janvier 2015, les réunions inter-académiques et les vacances de printemps. « Nous avons trouvé un juste milieu dans ce temps très court en envoyant un kit méthodologique pour les aider à organiser des réunions-types pour avoir un schéma commun pour que les synthèses soient homogènes », explique Catherine Becchetti-Bizot. Synthèses que six académies ont jugées utile de rendre publiques. Ce premier aperçu a été analysé par l’Avicca qui souligne les disparités selon les territoires et note que :
Certaines académies insistent largement sur les problèmes de débits, d’autres n’emploient pas une seule fois les mots réseau, débit ou WiFi et se concentrent uniquement sur les enjeux pédagogiques, comme si l’infrastructure était déjà en place…
Priorité à la compréhension des enjeux du numérique éducatif
Cette maigre collecte du point de vue des acteurs territoriaux s’explique déjà peut-être par le timing : la consultation s’est déroulée durant la période de réserve des élus et fonctionnaires territoriaux liée à la campagne des élections départementales.
Surtout, le ministère a choisi d’axer cette consultation sur le recueil « d’avis sur la manière dont le numérique peut contribuer positivement à la transformation de l’école ». La priorité était donc de mettre en exergue la plus-value pédagogique du numérique à laquelle sont sensibles les collectivités pour accepter de financier des équipements et des ressources numériques. « Il y a un malentendu au sujet du plan numérique pour l’école, il n’a jamais été question pour nous d’un plan d’équipement. Contrairement à ce que certains ont pu croire, la priorité est de développer de la ressource pédagogique, précise Catherine Becchetti-Bizot. La concertation nous permet de faire émerger le besoin et l’attente des publics. Ce n’était pas un but en soi mais un moyen d’instaurer un dialogue autour de ces questions. Il faut que les décideurs soient convaincus des enjeux et de l’intérêt d’un projet comme celui-là. » La dynamique « équipement et logiciel» étant dévolue au ministère de l’Économie et du Numérique qui souhaite accompagner le développement d’une filière française du numérique éducatif.
Au service de la stratégie de refondation de l’école
Les outils internet de la démocratie participative sont donc au service de la communication sur la stratégie de refondation de l’école initiée par Vincent Peillon et poursuivie par ses successeurs au poste de ministre de l’Éducation nationale.
Avant la généralisation des tablettes dans les collèges, la prochaine étape sera celle de la « pré-figuration » du plan lancé dès la rentrée 2015 dans 209 collèges, dont 109 relevant de l’éducation prioritaire et de 337 écoles qui y sont rattachées. Soixante départements ont ainsi répondu à l’appel du ministère et dix-sept autres ont annoncé leur intention de rejoindre le dispositif. Cette étape permettra de définir le mode opératoire et les conditions de réussite d’un déploiement à grande échelle. « Nous avons toujours relié le plan numérique à l’entrée en vigueur des nouveaux programmes du collège en 2016, ajoute Catherine Becchetti-Bizot. La réforme du collège va mettre l’accent sur les enseignements interdisciplinaires et les activités par projet. Dans ce contexte le numérique va être un outil facilitateur. » Déjà sujet à controverse, ce nouveau modèle de collège sera lui-même soumis à la consultation du public au travers d’une nouvelle plate-forme web ainsi que l’ensemble des autres programmes de l’école maternelle au lycée, eux aussi concernés par les nouvelles pédagogies individualisées.