Les projets de nouveaux programmes de « l’école du socle commun », c’est-à-dire des trois cycles qui vont du CP à la classe de troisième sont désormais en ligne. J’ai participé activement et de façon passionnante à leur élaboration (pour le cycle 4) et je me réjouis globalement de leur teneur. Je voudrais d’abord donner dix raisons pour justifier cet assentiment, puis je voudrais revenir sur divers commentaires qui m’ont été faits concernant les langues anciennes, mais aussi les langues vivantes.
Voici mes dix points positifs :
- La façon dont ont été élaborés ces programmes : transparence, concertation, expertise, puis consultation.
Rappelons qu’en 2008, on n’a jamais bien su qui avait élaboré les programmes. Il a fallu l’intervention du Haut conseil de l’éducation pour rétablir des références au socle commun, quasiment absentes dans une première version. Cette fois-ci, la composition des groupes de travail a été publique, une procédure de consultation est prévue, des experts ont été longuement consultés (auditions ou lectures).Les différents groupes comprenaient des chercheurs, des « cadres intermédiaires » (IEN, IPR, IG) et des enseignants de terrain, malgré la difficulté à concilier ce travail très prenant et la présence quotidienne en classe.
- La façon dont ils sont conçus : les trois volets, le programme par cycles.
Le triptyque est intéressant à plus d’un titre. Rappeler les objectifs du cycle, exercice d’ailleurs difficile, permet d’abord de cadrer dans une certaine logique l’ensemble des propositions, en espérant que ce texte soit lu par tous. Et l’originalité réside surtout dans le volet 2 : l’apport de chaque discipline au socle commun. A l’origine, ces disciplines, dans le cycle 4, devaient être présentées d’ailleurs par ordre alphabétique, pour bien montrer l’égalité de dignité entre toutes. Mais je pense qu’il y a eu volonté de placer le français en premier en raison de la priorité donnée à la maitrise de la langue française. Le volet 3 est plus classique, mais il y a eu cette volonté de respecter en gros un calibrage prédéfini à partir d’un cahier des charges comprenant une obligation de concision bien venue…
- Les attendus, sous forme de compétences à acquérir ; on se centre sur l’élève qui apprend
L’exercice consistant à formuler des phrases dont le sujet est « l’élève » montre bien dans quelle logique se situent ces programmes : celle de l’apprentissage et non celle du seul enseignement qui ne se préoccuperait pas d’abord de l’activité intellectuelle de l’élève. Loin de diminuer les savoirs, c’est les prendre vraiment au sérieux, en se demandant ce qu’en font les élèves. Logique de compétence bien comprise qui n’a plus rien à voir avec les micro-compétences des anciens programmes.
- L’équilibre entre la spécificité disciplinaire et les croisements de disciplines
Il est peut-être dommage que ces projets n’aient pas été publiés en même temps que les propositions de réforme du collège, car on aurait peut-être moins mis l’accent sur l’interdisciplinarité comme nouveauté, au risque de laisser penser dans l’opinion qu’on abandonnait les disciplines. La formule des EPI, dont on peut certes contester la dénomination, qui n’est pas due au Conseil supérieur des programmes, est peut-être la seule possible aujourd’hui : partir des horaires disciplinaires pour transformer certaines heures comme éléments de croisements transversaux, où la méthodologie disciplinaire sera utilisée au service d’un projet commun. C’était déjà à vrai dire l’esprit des Itinéraires de découverte, qui partaient des programmes, et qui ont bien fonctionné en majorité, malgré ce qu’une désinformation actuelle veut faire croire.
- La recherche du sens (exemple du français)
Dans le sous-groupe autour du Français que j’ai piloté, nous avons surtout cherché à donner plus de sens à la discipline. A quoi servent les schémas actantiels et autres recherche de champ lexical ? A savoir réciter tout cela lors d’un contrôle ? Ou à utiliser pour écrire un conte, pour mieux analyser une poésie ? A quoi sert l’énumération des différents compléments circonstanciels ? Sans doute pas à grand-chose. Ce qui importe en revanche, c’est s’approprier des outils grammaticaux très divers pour exprimer la causalité ou situer des actions dans le temps. Le sens passe aussi par le remplacement d’un programme très chronologique autour de l’histoire littéraire (qui aura toute sa place au lycée) par l’inscription des textes étudiés ou écrits dans des problématiques globales qui traversent les siècles. Ce qui n’interdit pas les rapprochements avec le programme d’Histoire, surtout dans le cadre des EPI.
- Le refus de l’encyclopédisme : les priorités, les choix, la responsabilité
Il est toujours douloureux pour un spécialiste d’une discipline d’opérer des choix. Mais se donner des priorités fait partie de nos responsabilités de pédagogue. Il faut en finir avec les heures perdues à faire étudier l’orthographe des adjectifs de couleur, les deux premières personnes du passé simple ou les distinctions subtiles entre figures de style (« métonymie » et « synecdoque » : oui, on a vu ça en troisième). Ce qui n’empêche pas, dans le cadre d’un projet bien précis d’aller loin dans les détails pointus. C’est ainsi que le vocabulaire de la chevalerie, totalement inutile en soi pour des collégiens de douze ana, prend du sens si on écrit un récit de chevalerie, si on organise une exposition suite à une visite du château de Guédelon, etc. En orthographe, cycle 3, mettre le paquet sur des questions essentielles comme l’accord simple sujet-verbe permet de ne pas se disperser et d’aller à fond sur un point décisif.
- L’appel au professionnalisme des enseignants et au travail d’équipe local
Il est assez incroyable que les mêmes qui réclamaient de la liberté pédagogique protestent quand on la leur donne. En fait, ceux-là voulaient des programmes faussement contraignants, sous forme de listing de connaissances, dont ils faisaient ce qu’ils voulaient en fin de compte. Oui, il va falloir s’organiser, se répartir certains thèmes, et en particulier se concerter au niveau des sciences, comme l’ont fait les sous-groupes qui ont réussi à mettre en commun des compétences dans quatre disciplines.
- Les continuités
Comme dans toute innovation, un équilibre doit être trouvé entre ce qui déstabilise et ce qui rassure. De nombreux éléments passés se retrouvent dans ces programmes et du coup justifient leur mise en place complète dès 2016, même si de nouveaux manuels ne sont pas prêts. Car les éléments de continuité sont importants. Par exemple en Histoire-géographie, ou en mathématiques. L’accent mis sur le numérique n’est pas franchement nouveau, mais il est amplifié, avec l’idée centrale de son utilisation forte dans toutes les disciplines.
- la prise en compte de l’enfant et du jeune dans une interaction avec l’élève
(ah, pour être élève, tu n’en es pas moins jeune, et vice versa »…)
Ce souci a été très présent. Qu’on lise notamment le texte général du cycle 4. Si les apprentissages cognitifs sont très présents, ils ne prennent pas toute la place, et la prise en compte de ce qu’est la jeunesse aujourd’hui a été également au cœur de la réflexion. Par exemple dans la mise en avant de la coopération, du travail de groupes. Mais aussi dans le développement de démarches actives, qui impliquent chacun, dans l’accent mis sur l’oral (donner son avis, exprimer ses sentiments), rien à voir avec le culte de la spontanéité comme le prétend odieusement un rapport sénatorial récent, consternant de stupidité et monument de désinformation.
- l’idée des passerelles culturelles (entre langues, entre cultures populaires et culture légitime, entre sciences, lettres, techniques)
Ces programmes s’inscrivent parfaitement dans un socle qui est aussi « de culture ». IL suffit de parcourir tout ce qui est écrit sur la nécessaire appropriation du patrimoine culturel, notamment en histoire des arts. Rappelons que le PEAC (parcours éducatif artistique et culturel) doit être intégré au cursus des élèves. Mais des ponts nombreux sont jetés avec la culture des jeunes. Oui, on peut travailler en français sur un corpus d’œuvres très large et passer de Ovide et Homère aux séries télévisées ou aux dessins animés. Non pas en égalisant dans un relativisme qui serait condamnable, mais pour que les enseignants puissent jouer pleinement leur rôle de « passeurs culturels ».
J’ajoute donc quelques commentaires concernant les langues anciennes et vivantes.
Certains ont exprimé leur désaccord avec ce que j’ai écrit concernant la distinction à opérer entre l’apprentissage des éléments de culture gréco-latine et le travail sur la langue, pas indispensable selon moi pour s’approprier ces éléments ; je maintiens qu’il n’est pas nécessaire dans la formation commune au niveau collège d’être entré dans les subtilités du latin pour apprendre la rigueur, le raisonnement ou je ne sais quelle conscience de notre propre langue comme héritière (je parle du latin, car le grec est ultra-minoritaire). Personnellement, j’ose affirmer que mes années de latin de la sixième à la première (j’ai abandonné avec soulagement en fin de première pour faire des mathématiques en Terminale A2 qui m’ont bien plu, avec un programme intéressant) ne m’ont pas apporté grand-chose d’autre que de l’ennui et une certaine habileté à reformuler des traductions trouvées grâce au Gaffiot de textes antiques. Je me souviens de mes notes catastrophiques en thème. Je sais bien que les courageux anonymes qui me traitent de tous les noms sur certains sites très peu « néos », mais bien plus « archéos » diront que c’est bien pour cela que je ne sais pas penser et que je suis inculte. Mais je pense qu’on entend trop ceux qui, les trémolos dans la voix, évoquent leurs années de latin comme cruciales dans leur formation. Disons qu’on se forme de bien des manières. Le latin, bien sûr aussi, surtout avec une pédagogie plutôt renouvelée et souvent stimulante, comme le montrent les témoignages du hors série des Cahiers pédagogiques et un numéro plus ancien épuisé. Mais que dire de l’abandon massif à l’entrée au lycée, de ces élèves qu’on traine jusqu’en troisième, alors qu’ils voudraient tant laisser tomber cette matière. Que dire du très faible niveau de langue des élèves malgré les heures passées, parce que le latin, il faut en faire de façon vraiment intensive pour qu’on soit capable d’aller au-delà de quelques laborieuses traductions.
Oui, aux enseignants de langues anciennes d’être convaincants dans des établissements pour qu’on maintienne des horaires en dehors des indispensables EPI, avec des projets mobilisateurs qui justement articuleraient EPI et enseignements systématiques, faisant une place au grec.
Enfin, je continue à être irrité par la glorification de l’héritage gréco-latin, le « miracle » de la démocratie athénienne étendant ses vertus (relatives) à l’ensemble de la civilisation, dès lors qu’on oublie tous les maux qui accablaient ces sociétés : chauvinisme avant l’heure, règne massif de la corruption (entre Jeux Olympiques et élections à Rome), vendettas interminables entre familles et leur cortège d’horreurs (lectures des Atrides à la lumière des conflits dans les Balkans). Tant que certains inconditionnels de l’Antiquité ne seront pas plus équilibrés dans leurs jugements, j’aurais envie de pointer ces scories, qui ne font pas oublier l’émotion toujours ressenti à Épidaure, l’agacement qu’on étudie plus le puéril Antigone d’Anouilh au lieu de celui de Sophocle, le plaisir à travailler avec les élèves sur les Métamorphoses ou les Travaux d’Hercule.
Sur les langues vivantes, je n’entrerai pas dans la querelle des comptes d’heures, mais je dirais là encore que les établissements peuvent faire preuve d’imagination pour valoriser un enseignement plurilingue, y compris en intégrant les langues régionales. Je trouve très intéressante la promotion des activités de comparaisons interlangues et la formulation d’un programme qui soit autre chose que du langue par langue. Bien sûr qu’il faut encourager l’enseignement de l’allemand, des dispositifs existent et ont continué de fonctionner dans l’académie pilote de Toulouse. Je comprends mal cependant en quoi l’allemand serait moins choisi parce qu’on le commencerait en cinquième et non plus en sixième, surtout en sachant que au niveau lycée, la distinction première-seconde langue est abolie. Je ne parlerais pas de la stupidité de ceux qui brandissent le « globish » et le soi-disant anglais d’aéroport qui va désormais triompher, comme si savoir un anglais courant, latin des temps modernes comme le disait Umberto Eco, nuisait à l’étude de textes culturels. Là encore, j’invite à lire le projet de programme en Langues étrangères, riche et pas du tout anti-culturel.
Mais là encore, il faut d’abord lire les programmes avant d’aller à la manif.
Ce billet est déjà bien long. Je reviendrai très certainement sur tout cela prochainement.
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