Propos introductif de l’université d’été
Jean ROUCOU
L’évolution du contexte social
Lors de sa constitution, l’association PRISME avait promu « l’espace éducatif concerté » puis, quelques années plus tard, le projet éducatif local. Le contexte d’alors consistait à considérer l’enfant et non pas simplement l’élève, à lui proposer des activités socio-culturelles et à organiser des activités par les communes dans un cadre à vocation contractuelle ; le CEL en a été sa traduction. Depuis, certaines villes s’affirment « villes éducatrices».
Aujourd’hui le contexte s’est sensiblement modifié. D’une part les inégalités sociales se sont accrues, et, d’autre part, la décentralisation des compétences des collectivités a modifié les rapports entre les collectivités et l’Etat ayant, pour conséquence, de resituer l’Ecole dans un cadre public partagé.
De plus, les modifications des centres d’intérêts et des préoccupations des jeunes à travers la présence du numérique, le développement d’Internet, des Espaces Numériques de Travail, de l’E-Education, l’e-learning, leurs nouvelles pratiques culturelles et plus largement le contexte social, modifient leurs rapports notamment avec l’Ecole ainsi qu’avec les autres institutions. Par suite se creuse un fossé entre la culture légitime, voire normée, et celle dans laquelle ils évoluent.
La perte de confiance dans le progrès et le constat que l’Ecole ne garantit plus la promotion individuelle, surtout pour les jeunes d’origine modeste ou immigrée, changent également les données.
La demande sociale des familles, partagée d’ailleurs par les enseignants, de prévention, d’insertion… conduit à une entrée du champ social, autour et dans l’école, en redistribuant d’ailleurs les fonctions de chacun. Les dispositifs récents de réussite éducative en sont le témoignage.
La scolarisation accentuée de l’espace social ainsi que le retour annoncé de « l’Ecole d’avant » portent en germe une modification fondamentale des rapports entre les acteurs de l’action éducative.
Par ailleurs, la marchandisation en marche de l’éducation interpelle notamment le modèle scolaire porté par l’institution Ecole.
De nouvelles organisations en réseau s’affirment. Elles sont à la recherche de leur légitimité en terme de positionnement territorial et d’efficience rendue aux jeunes et leurs familles ; l’école ne pouvant rester indifférente à cette modification dans l’appropriation des connaissances.
Et la question de savoir ce qui relève du système scolaire et du système éducatif reste d’actualité… !
C’est pourquoi, on est en droit de s’interroger, aujourd’hui, sur ce que devrait recouvrir un projet éducatif de territoire, sous l’angle des valeurs, certes, mais aussi de ses composantes et de son organisation.
De l’Ecole aux territoires pour l’Education
L’éducation doit être prise en compte dans un contexte local, un espace géographique et social et…. Politique ; la collectivité locale constituant un gage majeur de cohésion en terme de proximité des personnes présentes sur le territoire. En effet, « sa bonne connaissance pour des raisons historiques des tissus associatifs locaux peut faciliter le rapprochement entre les établissements scolaires et ces entités qui jouent un rôle évident au profit des jeunes » .
Mais la notion de territoire est parfois floue. Pour Jean-Pierre BALLIGAND , « les territoires vécus ne recoupent que très partiellement les territoires de décision. Cela ouvre la voie à une distinction potentiellement problématique entre ceux qui le décident et ceux qui le finance. Cela doit nous conduire à nous interroger sur l’opportunité de maintenir, pour certains niveaux de collectivités, comme le département et la région, la clause générale de compétence. Le temps où il faudra « réconcilier » lisibilité démocratique et maîtrise de la dépense publique, en établissant des « hiérarchies » infraterritoriales, approche à grands pas. »
« Aujourd’hui, l’Etat est au mieux régulateur et garant de l’égalité. Il faut qu’il le reste, voire le redevienne. »
Dans cet esprit le rôle de l’Etat devrait davantage consister à :
– aider à la mise en cohérence des politiques publiques afin de garantir l’égal accès aux droits pour les citoyens et dépasser ainsi son rôle de prescripteur
– assurer davantage l’articulation avec des politiques européennes et donner à établir de la prospective.
« L’Etat ne doit plus se considérer comme prescripteur mais fixer des objectifs clairs, et laisser à la synergie des acteurs locaux le soin d’organiser la mise en œuvre des moyens. La difficulté réside dans le fait que lorsque l’on touche à la forme scolaire, on remet en cause des compromis anciens qui renvoient dans l’imaginaire collectif au « sacré républicain », bloquant ainsi bien des évolutions. »
« On peut alors légitimement s’interroger sur ce qu’il reste d’effectivement social dans ce rôle très orienté de l’état » .
« Malgré les tonalités anglo-saxonnes du discours actuel, on observe que l’Etat n’est pas en voie de disparition. Au contraire, il opte pour des politiques qui mettent en concurrence les agents et les institutions sans présenter de normes politiques susceptibles de dessiner une stratégie ni d’énoncer le sens de son action ».
L’état-nation est pris en étau entre le global et le local, comme l’indique l’expression anglo-saxonne de « glocalisation ».
Cette représentation du nouveau rapport de forces entre l’état et le marché n’est pas sans fondements. Il faut à cet égard relire le livre de Pietra Rivoli sur le voyage d’un T-shirt dans l’économie mondialisée, qui illustre parfaitement ce phénomène.
Mais qui dit réseau à l’échelle planétaire dit nœuds de réseaux, autrement désignés par les termes, à mon sens, assez voisins de districts, clusters, systèmes productifs locaux (SPL) ou pôles de compétitivité. Et comme la mondialisation de l’économie a pour corollaire l’accroissement de la concurrence, elle se traduit par une course à la compétitivité entre les centres de production mais aussi entre les territoires, donc leurs dotations en termes de forces vives, de personnel qualifié, de pôles de recherche, de capacités d’innovation…
Ainsi s’instaure une course à l’excellence dans laquelle sont parties liées les entreprises et les collectivités territoriales. Mais cela ne signifie pas pour autant que les états soient réduits à l’impuissance. En témoigne à cet égard de manière saisissante l’ultime recours aux états lorsque, d’aventure, les marchés deviennent fous… Cela, en revanche, rend assurément de plus en plus nécessaire la clarification des rôles, des pouvoirs et des responsabilités de chacun, afin qu’un partenariat fécond l’emporte sur la paralysie mutuelle.
« Le système des collectivités territoriales est complexe, avec trois niveaux principaux, sans hiérarchie entre eux. Chaque collectivité territoriale détient de larges pouvoirs sur le territoire qu’elle administre, ce qui se traduit par de nombreux chevauchements de compétences. A ce système s’ajoutent de multiples formes de coopération entre les communes, dont la plus récente, l’intercommunalité », a pour objectif d’améliorer l’efficacité, sans souvent y parvenir » . Le partage entre les collectivités territoriales notamment en matière d’éducation n’est plus clair.
Depuis les lois de 1879 et 1889, les communes sont propriétaires des locaux et assurent le fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires. La décentralisation, Ã partir de 1982, a transféré certaines des compétences de l’Etat aux collectivités territoriales selon le principe des compétences partagées. Le transfert des missions d’accueil, de restauration, d’hébergement et d’entretien dans les collèges et les lycées, accompagnant le transfert de la gestion des personnels TOS a marqué une nouvelle progression importante de la décentralisation.
« Les collectivités locales se sont en général imposées comme pilotes des politiques de jeunesse, ce qui s’est traduit par la désignation d’élus à la jeunesse, la création ou l’autonomisation de services jeunesse, et à la professionnalisation du secteur » .
« Les lois de décentralisation ont incontestablement été un » plus » pour l’Ecole.
En rapprochant les politiques éducatives de leur territoire, elles ont rapproché les citoyens des institutions, elles auraient pu être un levier considérable pour le changement. Les collectivités territoriales jouent le plus souvent le rôle de tiroir caisse.
Elles auraient pu profiter du mouvement créé pour dépasser la fonction de constructeur, de gestionnaire, de financeur, et s’engager dans la voie de la participation active à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques éducatives au divers niveaux qui concernent l’éducation tout en respectant le rôle fondamental de l’Etat.
Quand elles ont tenté de le faire, ce fut le plus souvent à la marge, sur des accompagnements, sur des suppléments d’âme, jamais sur le fond. En insérant mieux l’école et le collège à son quartier, à son village, à sa commune, en les ouvrant aux publics non scolaires pour en faire des lieux de valorisation et d’échanges des savoirs, des « temples » de la connaissance, d’une part, on donnerait du sens au concept flou de société de la connaissance et on donnerait toute sa place à l’éducation », ainsi Pierre Frackowiak parle-t-il de la décentralisation.
Une deuxième vague de décentralisation a entraîné des transferts de compétences : montée en puissance dans la prise en charge des questions de jeunesse par les collectivités territoriales notamment les conseils régionaux.
Cependant, des écarts peuvent s’observer selon les collectivités car celles-ci peuvent, de leur propre initiative, s’emparer de compétences au -delà du cadre prévu par la loi. « Actions sociales, éducatives et culturelles en direction des jeunes, financement du développement de l’enseignement supérieur, plate-forme régionale d’information sur les métiers, école de la deuxième chance, fourniture d’ordinateurs portables aux collégiens, soutien scolaire pour les internes des lycées publics, participation au projet de lycées expérimentaux en Seine St Denis » en sont quelques exemples.
Nombre de situations sociales et éducatives actuelles sont déclinées en France selon le signifiant de l’exclusion. A ce qui est ainsi communément conçu comme un constat qui serait objectif est évident, sont opposées des perspectives d’actions diversement définies en terme d’insertion, d’intégration et plus récemment d’inclusion, selon le vocable issu de l’anglais. Or ces notions ne sont pas seulement des manières plus ou moins nouvelles de s’exprimer. Elles soutiennent des options politiques, elles structurent des dispositifs institutionnels, elles façonnent des pratiques professionnelles.
Vers le projet éducatif de ….
L’éducation des jeunes doit être envisagée dans sa globalité et pour tous les âges si on associe le terme à celui de formation.
Pour cela, on parle de compétence partagée : les familles, l’Etat, les personnels d’éducation, le milieu associatif, les collectivités locales. «L’Education partagée » est devenue la matrice de la transformation de l’acte d’éducation entre les différents protagonistes (services déconcentrés, collectivités, associations) Ã travers, au mieux, des contractualisations de projets.
Le passage d’acteurs qui se respectent et co-produisent est largement lancé (certes inégalement selon les territoires) en, s’ouvrant, à présent, à celui, plus abouti, d’auteurs et donc de co-producteurs. Ainsi une structuration descendante établie selon des clés de répartitions purement gestionnaires laisse peu à peu place à une organisation plus fonctionnelle faisant écho aux besoins des jeunes et de leurs familles sur une assiette territoriale à géométrie variable.
La gestion du service public scolaire s’inscrit aujourd’hui davantage dans une démarche d’éducation plus large. Cela permet certes d’agréger les moyens mais surtout de favoriser les échanges entre professionnels (et bénévoles d’associations) autour des pratiques. Le portage inter-acteurs, pour une réussite des enfants dans et hors de l’école, dépasse l’adjonction de simples activités socio-culturelles autour de l’école pour tendre vers un portage plus collectif dans le respect des qualités de chacun des intervenants. Les programmes dits de « réussite éducative » en sont le témoignage. C’est une transformation fondamentale. »
« Dans la logique horizontale, spontanément inscrites dans la géographie fine de l’écosystème local, les associations s’avère incontournables pour ce qui peut être appelée la vie quotidienne du lien social. Participant de l’expression spécifique des terrains, elles sont toujours présentes quand le territoire est sais d’un dynamique éducative.
Leur vitalité est décisive dans l’expression d’un nouvel espace de pouvoir éducatif, fait d’innovations, d’avancées démocratiques, mais aussi de temps immobiles et de pauses nécessaires inscrivant alors le processus dans des temporalités toutes aussi fines que l’inscription géographique ».
Il devient donc urgent de « préciser les compétences de chaque niveau de collectivité, savoir qui est responsable de quoi, rendre lisibles et transparents les processus de décision ».
Il faut définir les principes qui organisent les complémentarités des collectivités entre elles et avec les services de l’Etat en précisant les compétences de chaque niveau de collectivité.
« Il faudrait progressivement stabiliser et clarifier la répartition des compétences entre l’état et les collectivités territoriales pour davantage les responsabiliser ».
Pour Claudy LEBRETON , « clarifier les compétences ne veut pas dire que nous sommes opposés aux partenariats. Ce que je refuse, c’est le transfert larvé, implicite ou partiel de compétences entre les collectivités. L’ADF demande ainsi au gouvernement que le projet de loi relatif à la protection de l’enfance soit définitivement adopté au parlement avant le projet de loi sur la prévention de la délinquance, dans un souci de cohérence législative mais aussi pour permettre aux acteurs de terrain de bien coordonner leurs interventions, d’éviter les doublons et les conflits. »
Il propose la mise en œuvre d’un schéma régional des compétences partagées, fixant, dans chaque territoire, la règle du jeu pour les compétences, telles que le développement économique, l’aménagement du territoire, le sport ou la culture.