Université d’Été de PRISME – 2011
Le 7 Juillet au Cnam de Paris
Atelier : comment associer les parents pour que les enfants puissent acquérir les compétences nécessaires à leurs réussites ?
– Frédéric Jésu, pédopsychiatre, consultant, vice-président de DEI France
– Martine Fourier, présidente de l’association Cerise, membre du bureau de Prisme
F.Boutin Poitiers, F.Moulin et M. Richard : Montigny les Cormeilles, F.Mérode Haute Savoie, B.Rousselier
Contribution de Frédéric Jésu
Les contenus et les objectifs attachés à la notion de « socle commun de connaissances et de compétences » (introduite par la loi du 23 avril 2005 « d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école » et son décret d’application du 11 juillet 2006) sont-ils de nature à conforter et à enrichir la nécessaire communication entre les familles et les professionnels des établissements scolaires, voire à composer un outil, un support ou un « socle » propices à celle-ci ?
En pratique, on observe que, pour nombre de parents, le dispositif d’évaluation et d’accompagnement ainsi envisagé à l’intention des enfants/élèves peut se réduire à la communication et à l’examen, parfois perplexe et souvent anxieux, du « livret personnel de compétences » qui le reflète et en rend compte[1], et en particulier à celui des croix ou des ronds de couleur qui figurent sur ses lignes et ses colonnes[2].
La dramatisation des résultats ainsi communiqués ne se distingue pas encore vraiment de celle que la pratique et la culture de la notation ont longuement distillée au cœur des relations entre professionnels, parents et enfants, en contribuant à mettre l’accent sur les logiques binaires de la « réussite » et de l’« échec » plutôt que sur l’attention requise par les progrès et les difficultés rencontrées au fil de chaque parcours scolaire. Le statut de la « moyenne », assimilée à la norme, et celui de l’erreur, assimilée à la « faute », tels qu’ils ont été promus de fait par les modalités classiques d’évaluation des connaissances, risquent dès lors d’être prolongés et aggravés par les impacts de modalités d’évaluation et d’appréciation des « compétences » qui pourraient se traduire, chez les professionnels et les parents, par des tentations de conditionnement comportementaliste des enfants.
Il importe de s’intéresser, à ce sujet, à l’intitulé et au descriptif officiels des deux derniers des sept « piliers » de compétences du « socle » en question :
– les compétences sociales et civiques : « Il s’agit de maîtriser, comme individu et comme citoyen, les règles élémentaires de la vie en société et de les mettre en œuvre dans le cadre scolaire. L’élève acquiert des repères dans plusieurs domaines : les droits et les devoirs du citoyen, les notions de responsabilité et de liberté et le lien qui existe entre elles, les principes d’un État de droit, le fonctionnement des institutions, de l’État, de l’Union européenne » ;
– l’autonomie et l’initiative : « L’autonomie et l’initiative s’acquièrent tout au long de la scolarité, dans chaque matière et chaque activité scolaire. On apprend ainsi à : être autonome dans son travail, s’engager dans un projet et le mener à terme (construire un exposé, rechercher un stage, adhérer à un club ou une association, travailler en équipe), construire son projet d’orientation. En développant cette compétence, l’élève se donne les moyens de réussir sa scolarité et son orientation, de s’adapter aux évolutions de sa vie personnelle, sociale et professionnelle. »
Même si ces énoncés ne soufflent mot du rôle des parents et des familles en ces domaines, les objectifs ici tracés supposent à l’évidence sinon une coopération du moins une mobilisation conjointe des familles et des établissements scolaires. A défaut de quoi, le processus puis le procès de renvoi mutuel des responsabilités en cause des uns vers les autres auront vite fait de s’enclencher, en particulier lorsque le constat d’un déficit des « compétences » non exclusivement scolaires attendues de tel ou tel enfant sera formulé en termes de problème ou de trouble de son « comportement » ; il sera attendu de l’enfant qu’il soit « sage » avant, voire plutôt, que d’être savant.
Dans un monde idéal, les enseignants et les autres professionnels de l’éducation pourraient se saisir de la formulation de tels objectifs pour y trouver l’opportunité et la légitimité de chercher à construire et à développer, chez et entre les élèves, à l’occasion de leurs apprentissages et avec le concours de leurs parents, une série de « compétences » coopératives qui s’avèreraient immédiatement opérationnelles dans le cadre scolaire, dans celui des centres de loisirs, et même au-delà.
Dans le monde réel d’aujourd’hui, on reste loin de cette perspective. L’enfant est souvent incité à se percevoir d’abord comme un élève, et comme un élève en concurrence avec les autres élèves, y compris au sein de sa famille où ses parents, surtout dans les milieux modestes mais pas seulement, vont de ce fait sur valoriser les « compétences » sociales qui déterminent, à leurs yeux, le « comportement d’élève » qui résulte de leurs appréhensions : consacrer aux devoirs le plus de temps de loisir possible, se coucher et se lever à l’heure « pour l’école », se brosser les dents et prendre son petit déjeuner dans les temps impartis, préparer correctement son cartable, sur réviser ses leçons, etc. Ce sont certes là des dispositions souvent judicieuses, mais qui peuvent aussi trouver tout simplement leur place et leur sens dans l’aménagement familial des activités, des espaces et des temps et qui ne devraient pas conduire à dévaloriser ce qui contribue à l’acquisition de « compétences sociales et civiques » et d’aptitudes à « l’autonomie et à l’initiative » pour des motifs non exclusivement scolaires.
Le fait est que les « compétences » ici visées reposent en grande partie, d’une façon ou d’une autre, sur le recours à des ressources éducatives non scolaires, et notamment dites à tort « extra scolaires », mais surtout familiales. Cependant, les rôles, les fonctions et les organisations des familles – et donc les inégalités sociales, culturelles, économiques, géographiques, sexuelles, etc. qui s’y attachent – tiennent une place importante dans la (non-)valorisation, la (non-)mise à disposition et la (non-)validation de ces ressources aux yeux des professionnels de l’éducation, et à ceux des enfants eux-mêmes. Les « compétences » requises sont alors celles aussi que devraient manifester ces professionnels, et notamment les enseignants, pour tenir compte de ces paramètres familiaux et pour coopérer, sinon individuellement du moins collectivement, avec les familles des enfants qu’ils accueillent et instruisent, telles qu’elles sont et non pas seulement telles qu’ils voudraient qu’elles soient.
A cet égard, plutôt que de seulement chercher à « rapprocher les familles des écoles », il conviendrait tout autant de chercher à rapprocher les écoles (et leurs professionnels) des familles. Pour des raisons historiques, structurelles mais aussi contingentes, les professionnels, et notamment les enseignants, restent cependant encouragés ou confortés dans leurs tendances à se replier dans leurs établissements et leurs classes, à soustraire ceux-ci et celles-ci aux influences de leurs environnements et à canaliser l’expression des parents dans des cadres et des procédures très institutionnalisés qui dissuadent nombre de ceux-ci de s’y manifester.
Ils ne sont pas en mesure, de ce fait, d’entendre la façon dont le terme de « compétences » peut résonner dans l’univers du travail de beaucoup de parents, singulièrement pour y revêtir une acception in-sécurisante, menaçante, voire négative, celle par exemple de la réalisation de « bilans de compétences » dans le cadre de restructuration d’entreprises qui viennent mettre à l’épreuve moins ce qu’ils savent faire que leur adaptabilité à faire tout autre chose. Pour ces parents, les jugements de valeur portés sur les compétences adaptatives de leurs enfants vis-à-vis de logiques scolaires préfigurant celles de l’emploi et de l’employabilité peuvent prendre une redoutable connotation.
Pour ces raisons et pour bien d’autres, il importe que les parents de toutes conditions puissent en toutes circonstances comprendre, maîtriser et contrôler les liasses et les bases de données qui, de plus en plus précocement et de plus en plus durablement, sous leurs yeux ou sans qu’ils le sachent, enregistrent les résultats de l’évaluation de l’ensemble des « compétences », acquises ou non acquises, qui singularisent les parcours scolaires de leurs enfants.
Il importe aussi, plus généralement, d’opérer pour tous une claire distinction entre les « compétences » identifiées au moyen de méthodes d’évaluation formatives, d’autoévaluation ou de co-évaluation (telles que mises en œuvre, par exemple, dans des classes coopératives et/ou ouvertes aux parents) et celles qui le sont au moyen de méthodes d’évaluation normatives déployées au niveau national voire au niveau international, et conçues souvent sans les professionnels et toujours loin des parents ou de leurs représentants. Les premières peuvent être considérées comme dotées d’une ambition progressiste au sens où elles s’intéressent d’abord à soutenir et promouvoir les progrès et les processus d’apprentissages émancipateurs de chaque enfant en même temps que ceux des petits collectifs d’enfants que constituent les classes et les établissements. Les secondes font en revanche courir aux enfants, aux parents et aux enseignants les risques de s’avérer sanctionnantes, discriminantes et concurrentielles, de pointer les réalités scolaires selon une logique de sommation des « réussites » et des « échecs » individuels, d’induire de ce fait nombre de tensions intrafamiliales inutiles et contre-productives en même temps que de compétitions intra et inter institutionnelles qui le sont tout autant (en ceci que le pilotage par les résultats et la détermination d’objectifs d’efficience sont dépourvus de sens s’ils ne prennent en compte ni les contextes de production de ces résultats ni l’ensemble des déterminants des coûts rapportés à l’efficacité, à court et long termes).
Si donc l’appréciation du parcours scolaire des enfants doit passer par celle de leurs « compétences », c’est-à-dire de leurs capacités à mobiliser leurs « connaissances » dans un contexte donné, il devient essentiel d’inscrire l’évaluation des dites « compétences » dans un processus ouvert et participatif (intéressant donc les enfants et les parents eux-mêmes) et non pas seulement par des procédures externes et distanciées, de façon à viser le développement d’une transmission de savoirs théoriques et pratiques, d’une éducation globale et d’une démarche émancipatrice qui soient inscrites dans leur contexte humain, social et culturel. Dès lors, l’enjeu de la « compétence » ainsi conçue ne serait pas la soumission aux impératifs de la compétitivité actuelle ou présumée à venir, mais l’accession à une citoyenneté active parce qu’éclairée, et susceptible d’être éclairée par les résultats de l’action.
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F.Jésu rappelle la tendance à la psychologisation des difficultés scolaires et la fonction des parents co éducateurs, qui transmettent des compétences dans la vie courante et à tous les âges. Mais les deux dernières compétences non acquises leur sont reprochées. Les parents modestes voient l’école comme un lieu où l’enfant doit être plus sage que savant. Pour eux, les compétences nécessaires doivent permettre d’évoluer dans la vie professionnelle et d’éviter l’insécurité professionnelle. Les compétences attendues des parents renforcent le contrôle social et leur culpabilisation. Avec 221 jours par an non scolarisés, les inégalités sociales sont renforcées. Les devoirs scolarisent la vie familiale.
L’évaluation des compétences renvoie à une perspective dynamique et une aptitude à mobiliser les savoirs, entre échec (ne pas savoir) et réussite (maîtrise)
L’informatisation du livret des compétences (comme l’ancien livret des travailleurs) renvoie à une question de libertés publiques, puisqu’il empêche le droit à l’oubli. Il rappelle la notion de démocratie familiale qui associe l’enfant aux décisions. Comment s’exercent les compétences coopératives entre adultes ? Comment rapprocher les enseignants-animateurs-parents alors que les derniers fuient les premiers.
Il est plus judicieux d’utiliser le mot de personne plutôt que élève.
Cela renvoie à une conception d’une éducation globale : à l’école, dans la rue, à la maison, à la campagne,…Il est nécessaire de créer un lien entre l’école et l’environnement, les compétences formelles et informelles.
Il faut partager les compétences avec la famille, le territoire et favoriser l’intergénérationnel (exemple : la restauration scolaire qui est partagée avec différentes générations).
Le monopole de l’Éducation nationale sur l’éducatif n’existe plus.
Il faut croire au principe d’éducabilité : tout individu peut être éduqué.
Les parents sont dans l’insécurité professionnelle, il faut sortir de l’approche « apprendre les jeunes à être sages » et aller vers « apprendre aux jeunes à être savants ».
Nous avons mis en place un groupe de parents à Grigny où tous les partenaires étaient présents et ils disent maintenant qu’ils sont acteurs de la ville.
La participation au colloque de Sciences Po leur a donné envie de créer une Université Populaire de parents, alors que ces parents n’avaient pas fait d’études. Il a fallu un an pour constituer le groupe et recruter l’universitaire (M. Fourier). Le travail de recherche s’est orienté vers l’échec scolaire des enfants des quartiers en difficultés et il y a eu des entretiens exploratoires qui insistaient beaucoup sur les aspects négatifs. On a alors retourné la question en cherchant les conditions de réussite de ces enfants. Le travail a été officialisé par un comité de suivi avec tous les partenaires institutionnels (Inspection Éducation nationale, CAF, politique de la ville et réussite éducative, conseil général..) et une rencontre avec l’Inspecteur d’académie pour pouvoir faire passer les entretiens aux enseignants. Une mère témoigne que sa participation à’ UPP lui a permis de pouvoir donner son opinion face aux professionnels, de demander des explications face aux mots difficiles, de pouvoir dire non à ses enfants : à la maison, on l’appelle l’intellectuelle…Avant, elles étaient seulement des parents, maintenant, elles sont des acteurs dans la ville et participent aux différentes réunions (CUCS, PRE..) mais se méfient de l’instrumentalisation.
Il leur est demandé si l’expérience a été l’occasion de découvrir le métier de parents d’élèves, de les aider avec leurs enfants ? Elles répondent que leurs enfants les encouragent et sont fiers d’elles.
F.Jésu leur fait remarquer qu’elles n’ont pas appris mais découvert qu’elles avaient des compétences.
Elles ont réussi à dire ce qu’elles avaient à dire et être écouté par les enseignants. On les convoquait pour « turbulences », avec des carnets de notes remplis de mots des professeurs mais sur lesquels elles n’avaient pas le droit d’écrire.
Comment pensez vous que les parents peuvent agir pour que leurs enfants acquièrent les compétences attendues ? Il faut rencontrer les enseignants avec les enfants, trouver ensemble des solutions, ne plus avoir peur d’aller à l’école mais s’imposer mais elles refusent le « métier de parents » avec des stages, des contrats.
On a fait glisser les problèmes scolaires vers le handicap avec la présence des AVS qui amènent une personne de plus dans une classe.
L’UPP travaille sur les compétences 6 et7 dans une démarche citoyenne.
Elle permet d’interpeller les enseignants comme parents eux-mêmes
[1] Le « socle commun de connaissances et de compétences » présente ce que tout élève doit savoir et maîtriser à la fin de la scolarité obligatoire. Introduit dans la loi en 2005, il constitue l’ensemble des connaissances, compétences, valeurs et attitudes nécessaires pour réussir sa scolarité, sa vie d’individu et de futur citoyen. Un livret personnel de compétences permet de suivre la progression de l’élève. À compter de 2011, la maîtrise des sept compétences du socle est nécessaire pour obtenir le diplôme national du brevet (D.N.B.).(Source : site internet du Ministère de l’Éducation nationale)
[2] Les ronds de couleur peuvent parfois poser un problème aux parents ou aux écoles qui veulent reproduire ou conserver une trace de ce document mais qui n’ont pas accès à la sophistication ou aux coûts des photocopieuses couleur.