Tribune co-signée par Thierry Cadart (Secrétaire Général du Sgen-CFDT), Laurent Escure (Secrétaire général de l’UNSA Éducation) et Jean-Pierre Obin (Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire) :
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Le ministre a ouvert en juillet une large concertation afin de « refonder l’École de la République ». Un grand nombre de personnes et d’organisations y participe, et les idées et positions qui s’expriment sont nombreuses. Mais l’abondance ne fait pas la cohérence et la variété des points de vue, des objectifs et des intérêts ne peut garantir une école demain au service de l’intérêt général. Car tel n’est pas le cas aujourd’hui. C’est pourquoi, avant d’avancer nos propositions, nous voudrions faire deux rappels pour en éclairer le sens.
Le premier concerne les performances des élèves français à 15 ans, en fin de collège ou de scolarité obligatoire. On a beaucoup écrit sur leur position médiocre dans le classement de l’OCDE, et sur la perte de quelques places de la France entre les études de 2003 et 2009. Mais ce qui a été tu représente pourtant l’essentiel : notre pays est devenu la lanterne rouge des nations développées pour ce qui est de l’influence de l’origine sociale sur les résultats des élèves ! C’est désormais notre pays qui possède le « gradient socio-économique » des performances des élèves le plus élevé ; ce qui signifie que notre école est la plus injuste de toutes, ou encore qu’elle fait réussir les élèves qui ont le moins besoin d’elle pour réussir ! Un tel constat alors que la dépense éducative de la nation atteint cette année 140 milliards d’euros mérite bien qu’on tente de « refonder » notre école !
Mais, second point, comment en est-on arrivé là, à cet élitisme, et à abandonner les enfants des classes populaires à leur sort ? Un élément de réponse essentiel réside dans la manière dont la Droite a constitué le collège unique en 1975. Deux systèmes coexistaient alors, le Secondaire et le Primaire, qui se concurrençaient de la maternelle à la Troisième et même au-delà. Le premier au recrutement social étroit et de tradition élitiste et malthusienne, le second scolarisant la masse des enfants et assurant la promotion des meilleurs. C’était celle-ci l’école républicaine, et non pas l’autre ! Les pratiques pédagogiques adaptées à une élite ont donc été généralisées à tous les élèves. Grâce à un important effort budgétaire, la massification du second degré a été un succès, mais pas sa démocratisation qui, par certains aspects, a même reculé.
« Refonder l’École de la République » signifie donc pour nous lui donner pour ambition la réussite des enfants qui n’y réussissent pas aujourd’hui : les enfants des classes populaires. Les cinq propositions que nous formulons ne prennent sens et cohérence que par rapport à cet objectif : construire une école fondamentale, de la maternelle au collège, démocratique, inclusive et inscrite dans son territoire.
1-Développer la mixité sociale dans les classes, les écoles et les établissements.
L’ensemble des études le prouve ; qu’elles se donnent pour objet les classes, les établissements, les territoires ou l’ensemble des pays développés, on retrouve toujours la même équation : la mixité sociale améliore les résultats des élèves les plus faibles, ce qui entraîne de meilleures performances d’ensemble. La justice et la performance vont donc de pair, la première est même l’une des conditions de la seconde. Le développement de la mixité sociale ne relève certes pas principalement de l’école, il nécessite une politique gouvernementale d’ensemble, ainsi que la mobilisation des collectivités territoriales. Mais l’éducation nationale peut y contribuer en confiant de plus grandes responsabilités aux établissements, notamment dans la régulation sur un territoire des demandes des familles et en les incitant à la mixité par le mode de dotation des moyens. Développer une mixité sociale satisfaisante dans le cadre des objectifs nationaux de réussite implique de donner aux établissements plus d’autonomie, afin de développer des pratiques adaptées et plus coopératives et pour établir des relations pertinentes avec l’environnement institutionnel culturel et socio-économique.
2. Concevoir l’éducation des enfants sur le principe d’une coéducation impliquant l’ensemble des acteurs et les familles.
La situation actuelle est désolante, où parents et enseignants se rejettent la responsabilité des comportements des enfants et demandent aux autres d’assumer la nécessaire autorité, l’apprentissage des règles et l’éducation morale. Il y a bien sûr des causes culturelles et sociologiques à ce différend, mais l’école porte sa part de responsabilité. Avant 1975, les professeurs du Primaire supérieur enseignaient et éduquaient, tandis que ceux du Secondaire avaient à leurs côtés des personnels spécialisés pour assurer la discipline. C’est ce second modèle, séparant l’instruction de l’éducation qui a été généralisé. Il faut élargir la mission éducative aux enseignants de l’école du socle, et les y former dans un esprit d’étroite collaboration avec les familles, les mouvements d’éducation populaire et les autres associations complémentaires de l’école; c’est là aussi un enjeu important pour l’école publique laïque dans sa concurrence avec les établissements privés.
3-Reporter à la fin de la Troisième tout processus d’orientation
Un autre résultat des comparaisons internationales est que les pays les plus performants sont non seulement les plus justes mais aussi ceux où le tronc commun des études obligatoires est le plus long. En effet, à chaque fois qu’un choix scolaire est offert (carte scolaire, orientation, options, etc.) ce sont toujours les mêmes qui en profitent, ceux qui possèdent l’information, les réseaux et l’ambition. Notre école ne doit donc pas offrir de processus d’orientation ou de présélection avant la fin de la Troisième et l’orientation subie doit cesser.
4-Rapprocher l’école primaire et le collège dans une « École du socle commun »
Un troisième facteur de réussite des enfants des classes populaires est la continuité éducative. Ce sont eux qui pâtissent le plus aujourd’hui des discontinuités entre l’école et le collège, de la confrontation de plus en plus brutale, avec la sélection scolaire, de contenus instrumentaux à des contenus culturels, d’un maître unique à dix professeurs. Il n’y a plus de nos jours de justification à cette séparation arbitraire des cinq premières années de l’école obligatoire des quatre suivantes. Il faut donc construire progressivement l’école du socle commun en commençant par la mise en place d’un réseau, cohérent, associant chaque collège avec les écoles de son secteur.
5-Recruter et former les enseignants sur des compétences professionnelles
La formation actuelle des enseignants est essentiellement académique. Elle est évidemment très cohérente avec le constat de l’élitisme des résultats qu’ils produisent. Aujourd’hui, formatés pour faire devant un jury d’universitaires la leçon la plus brillante qui soit, ils ne voient leurs premiers élèves qu’après avoir été recrutés (et alors souvent quel choc !). Pourtant, des études le montrent, il ne manque pas d’étudiants à l’éthique sociale affirmée et qui ne demanderaient pas mieux que d’enseigner ; mais les épreuves actuelles des concours les défavorisent au profit des plus brillants dans leur discipline qui, une fois reçus, n’auront de cesse de retrouver des élèves à leur image. La formation initiale, en alternance, doit donc précéder le concours, dans lequel il faut introduire une épreuve devant de vrais élèves. Il faut prendre le temps, au cours des deux années de master, de former puis d’évaluer des compétences professionnelles : les enseignants doivent devenir des experts de la pédagogie et des apprentissages et non seulement des contenus à enseigner. Une formation continue de proximité et diversifiée doit aussi être offerte afin de réorienter les compétences vers la réussite des élèves qui aujourd’hui ne réussissent pas. Une part de formation commune à tous les enseignants –et même à l’ensemble des éducateurs- faciliterait un métier plus ouvert permettant d’exercer sur les différents niveaux d’enseignement au cours d’une carrière.
Thierry Cadart, Secrétaire général du Sgen-CFDT
Laurent Escure, Secrétaire général de l’UNSA-Éducation
Jean-Pierre Obin, Inspecteur général de l’Éducation nationale honoraire