Inégalités entre implantations scolaires : les inégalités sociales entre quartiers ont trop bon dos.
1. Introduction
Les travaux de plusieurs chercheurs ont suggéré qu’une partie des mauvaises performances observées dans l’enseignement en Communauté française peut s’expliquer par le fait que les élèves ayant le plus de difficultés, au lieu d’être équitablement répartis sur l’ensemble des implantations scolaires, sont au contraire fortement concentrés dans une partie seulement d’entre elles. La relation entre mixité sociale et performances scolaires, sujette à débat (Dupriez et Draelants, 2004), n’est pas la seule raison de s’intéresser aux ségrégations entre écoles. La dualisation du système scolaire soulève en effet diverses autres questions : par exemple celle des pratiques discriminatoires, entre autres à l’inscription, ou celle du mode de financement différencié des établissements.
Les ségrégations socio-résidentielles constituent l’un des facteurs pouvant contribuer à cette dualisation des implantations scolaires. Les implantations situées dans des quartiers de faible niveau socioéconomique tendent en effet à scolariser une part plus importante d’élèves de familles socialement défavorisées, plus susceptibles en moyenne de rencontrer des difficultés académiques. A ce premier mécanisme direct, plus opérant a priori aux niveaux maternel et primaire où le recrutement tend à rester le plus local, un second mécanisme peut s’ajouter, indirect, dès lors que les inégalités des acquis scolaires, amplifiées par les inégalités entre établissements, structurent en retour les choix ultérieurs d’implantations. Ces mécanismes sont souvent évoqués, et on peut même avancer que les ségrégations entre écoles sont fréquemment interprétées comme un reflet des ségrégations sociales dans l’espace résidentiel 1. La réduction des secondes, au travers de politiques urbaines, peut alors être vue comme un moyen de limiter les premières.
Pourtant, ce lien n’est nullement mécanique, et mérite une analyse attentive, que nous présentons ci-dessous 2.
Du point de vue des politiques publiques, on pourrait résumer ainsi une partie des enjeux : moins est fort le lien entre les ségrégations résidentielles et les ségrégations scolaires, plus ces dernières peuvent être interprétées comme le produit de mécanismes propres au fonctionnement de l’institution et du marché 3 scolaires. Il n’y a guère à espérer, dans ce cas, des politiques urbanistiques, par exemple celles encourageant la mixité sociale dans les quartiers de faibles niveaux socioéconomiques. Et c’est sur le terrain de l’enseignement lui-même que les régulations doivent être mises en place.
L’enseignement maternel en Région bruxelloise constitue à cet égard un exemple intéressant à étudier 4. Du point de vue du niveau, tout d’abord. Le recrutement des écoles maternelles continue en effet d’être souvent considéré comme un phénomène ayant une dimension exclusivement locale, reflétant avant tout des relations de pure proximité. Les inégalités entre implantations n’y feraient donc, plus qu’à tout autre niveau, que refléter mécaniquement les inégalités sociales résidentielles, sans plus. Nous verrons qu’il n’en est rien. Le fait que même à ce niveau les élèves d’un même quartier mais de profils différents tendent à ne pas être scolarisés dans les mêmes écoles pose dès lors la question d’une régulation des effets de ségrégations tout au long du système éducatif, dès son entrée. Le choix de la Région bruxelloise se justifie quant à lui par les très fortes inégalités sociales qui fracturent l’espace régional. D’autre part, Bruxelles connaît actuellement une situation de saturation des places en maternelle qui a conduit différents PO à adopter séparément des procédures locales de régulation des inscriptions 5. Or, ces procédures n’ont jusqu’ici été envisagées que pour faire face à la pénurie et n’ont guère intégré la question des inégalités sociales entre établissements. Il est dès lors utile de s’interroger sur la pertinence qu’il y aurait à prendre cette dimension en compte.
1 Cette conception, qui a pu inspirer des dispositifs territorialisés comme les ZEP, est par exemple perceptible dans ce raccourci, tiré des conclusions des Etats généraux de Bruxelles (2009) « Il est indispensable d’investir massivement dans les écoles des quartiers populaires dont les classes surpeuplées et les besoins spécifiques constituent des lieux par excellence de reproduction des inégalités. » C’est nous qui soulignons.
2 Les analyses présentées ont été menées dans la continuité des travaux menés sur la ségrégation résidentielle et scolaire dans l’enseignement fondamental par Eliz Serhadlioglu, Marie Verhoeven et Bernard Delvaux, dans le cadre d’une collaboration entre l’Université Catholique de Louvain et la Vrije Universiteit Brussel, financée par Innoviris depuis 2011 (Delvaux, Marissal, Serhadlioglu et Wayens, 2013).
3 Si le fonctionnement de l’institution scolaire ne correspond évidemment pas à celui d’un véritable marché au sens complet, il en a néanmoins plusieurs caractéristiques. En particulier, dans un système scolaire qui repose sur le libre choix des familles et qui laisse aux écoles une latitude (partiellement cadrée il est vrai) de sélection et d’éviction des élèves, la répartition des élèves entre les écoles, et la répartition des ressources qui en découle, sont (au moins en partie) la résultante ex-post d’un affrontement de décisions et de stratégies adoptées par de nombreux acteurs agissant séparément. C’est ce mode d’ajustement qui est ici désigné sous le terme de marché scolaire.
4 Pour des raisons de disponibilités de données, les analyses qui suivent se limitent au seul enseignement francophone, qui représente environ 80% des effectifs scolaires dans le maternel à Bruxelles (Humblet, 2011).
5 Du moins dans le maternel francophone. Les inscriptions sont par contre centralisées au niveau régional dans l’enseignement néerlandophone.
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