PRomotion des Initiatives Sociales en Milieux Educatifs

In Libération Politique – le 15 juin 2014 :

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On voulait y croire et puis… patatras, la réforme territoriale espérée débouche sur une proposition qui réussit l’exploit de ne satisfaire personne et même de mécontenter tout le monde.

D’abord, un point de méthode : devant un sujet aussi important, comment comprendre que l’on en a été réduit à attendre ainsi la parole et le dessin présidentiels, diffusés par voie de presse ? N’existe-t-il pas dans ce pays des citoyens pour lesquels les territoires de vie importent, des experts capables de mettre en évidence des faits et des éléments de comparaison avec des Etats proches, des élus et des parlementaires, qui ont produit depuis plus de vingt ans des foultitudes d’études, de rapports, souvent fondés et pertinents ? Ne pouvait-on pas envisager une vaste consultation, organiser un réel travail collectif fertile, fût-il ouvert aux contradictions et aux désaccords, sur les principes des recompositions et sur les cartes des choix possibles, à partir d’un minimum de cadrage – 8 à 14 régions, effacement des conseils généraux, possibilité de combinaison par modification des périmètres régionaux de départ, primat de l’intercommunalité, exigence de transferts de compétences ? On parle à l’envi de crise de la représentation, dont acte. Mais pourquoi diable alors ne pas saisir cette véritable opportunité de refonder le pacte et le récit républicains, à partir d’un projet mobilisateur, la refonte de notre géographie commune ?

 
 

Ensuite, un constat : la proposition présidentielle, en ce sens en conformité avec la tradition de notre modèle jacobin épuisé, impose une vision abstraite globale d’un découpage géométrique et descend en cascade vers la commune, conçue comme une «petite République». Par ailleurs, elle nous présente la carte d’un espace homogène, purgé de toutes ses scansions et ses différences, une simple surface isotrope, entourée par des limites en apparence immuables (et, en passant, une question : où est l’Europe, serions-nous sur une île ?), qu’on peut donc triturer comme si de rien n’était, à coups de crayon. Bref, un espace neutre et arrêté. Pourtant, l’urbanisation généralisée de la société et des modes de vie a tout bouleversé en quelques décennies, a produit de la différenciation locale en abondance – ce que dissimule la cartographie présidentielle. Un autre choix était donc possible : partir de l’organisation concrète du pays, en une démarche ascendante de recomposition territoriale fondée sur les nouvelles réalités des espaces locaux. Or cette organisation, on la connaît : elle est aujourd’hui exprimée de manière convenable par la carte des aires urbaines, produite par l’Insee, qui montre que notre pays se structure désormais autour de ces bassins de vie et d’emploi élargis fabriqués par l’urbanisation.

Les aires urbaines (dont les cartes sont accessibles en ligne) sont composées à partir de critères d’emplois et de mobilités. Elles ont le mérite de refléter la variété des situations locales : celle de Lyon n’est pas identique à celle de Toulouse, pas plus que celle de Vierzon ne l’est à celle d’Aurillac – bref cette saisie assure de tenir ensemble et le caractère générique de l’urbanisation et le caractère spécifique de la localité et nous montre bien les pleins et les déliés du pays.

Voilà qui aurait dû étalonner nos réflexions et permettait de poser trois principes de restructuration :

1. Composer des intercommunalités qui tiennent compte de cette réalité et des contrastes qu’elle exprime. Chaque situation locale va installer sa propre échelle consistante d’intercommunalité et donc il importe d’accepter un maillage différencié du territoire, qui autorise de prendre en compte tant les besoins des zones métropolisées que ceux, différents, des vastes espaces de faible densité, cette néoruralité urbanisée à laquelle il est fondamental de porter attention.

2. Supprimer les départements et distribuer les compétences entre nouvelles régions et intercommunalités – or on voit bien qu’on tergiverse autour de ce qui avait pourtant été annoncé.

3. En finir avec la clause de compétence générale de la petite République communale (concevoir la commune ainsi, c’est multiplier les présidents monarques partout et on en voit les conséquences, notamment en termes de paysages liés à une urbanisation erratique) et faire des communes des cadres de la vie quotidienne et des nouvelles pratiques démocratiques d’implication des citoyens. Si la commune doit être conservée, elle ne peut plus comme aujourd’hui tout régir. D’ailleurs, nombre de métropoles et de territoires intercommunaux, y compris ruraux, gèrent déjà en commun la plupart des grands dossiers et ont de facto atténué heureusement le rôle communal.

La combinatoire de ces trois principes offre une grande variété de choix et c’est bien là l’intérêt. Associer les citoyens aux réflexions et aux choix s’impose d’autant plus qu’un tel débat permet de s’intéresser aux fondements de la cohabitation des Français, du «vivre-ensemble». En effet, il mêle intrinsèquement des questions territoriales, sociales, économiques, politiques et environnementales fondamentales et, autre avantage, se trouve encore relativement à l’écart de la colonisation par les idéologies et les imaginaires dominants du marché, de la finance et de l’urgence qui marque aujourd’hui tant de questions.

On peut donc être dépité devant cette occasion manquée : reste à espérer qu’une dispute vive s’instaure et nous force collectivement à tout remettre enfin sur le métier. La France et les Français ont changé en raison de l’urbanisation et de la mondialisation, et c’est tant mieux, n’en déplaise aux identitaristes de tout poil qui s’époumonent à nous faire croire le contraire et en appellent à la nostalgie agressive d’un pays d’antan – qui au demeurant n’est rien d’autre qu’une légende dorée. Il serait temps que nos institutions s’en rendent compte et décident alors d’user de ce sens de l’audace et du mouvement qui visiblement les effraie et dont pourtant nous affirmons souvent avoir fait preuve, à certains moments clés de notre histoire.

Dernier livre paru : «l’Avènement du monde», Seuil, 2013.

Michel LUSSAULT Géographe, professeur à l’Ecole normale supérieure de Lyon, cofondateur et éditorialiste de la revue Tous urbains (Presses universitaires de France)

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