In Les Cahiers Pédagogiques – le 16 juin 2014 :
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Une mission sénatoriale vient de rendre son rapport sur les écoles supérieures du professorat, « L’an I des ÉSPÉ : un chantier structurel ». Parallèlement, un comité de suivi présidé par Bernard Filâtre prépare lui aussi un rapport pour l’été .
Les sénateurs ont auditionné de nombreuses personnes, fait quelques déplacements et ils fournissent un rapport volumineux. Ils font bien sûr des propositions rassemblées au début du rapport dont notamment le développement du pré-recrutement. Mais cette facilité ne doit pas empêcher de lire le reste qui offre un constat assez détaillé de la situation des ESPÉ après un an de mise en œuvre. Mais, pour l’acteur engagé que je suis, qui lit ce rapport après avoir été partie prenante dans la concertation et surtout qui travaille dans la formation en « temps partagé » depuis huit ans, on peut se livrer aussi à une lecture “en creux” de ce rapport. Et y voir les oublis, les angles morts et les biais dans l’analyse…
Un compromis bancal au départ
Sur le plan stratégique de la place du concours de recrutement, on se rappelle que deux positions s’affrontaient lors de la concertation sur la refondation. Pour les uns, le concours devait se situer en fin de Master 2, pour d’autres il fallait dégager les étudiants-professeurs de la pression de ce concours placé alors à l’entrée en master. Le compromis, forcément bancal, a abouti à des écoles « composantes » des universités et un concours placé en fin de M1. On a donc une formation qui reste « polluée » par le concours et la logique du bachotage et des écoles qui peinent à trouver leurs marques et leurs moyens tant elles sont imbriquées dans des logiques universitaires en pleine recomposition.
Le rapport n’évoque pas ce compromis et on s’y félicite même de l’attachement aux universités supposé garantir une plus grande rigueur dans la formation. Même si on signale que certaines auditions (notamment celle d’Antoine Prost) ont fortement relativisé la critique des IUFM. Toutefois, on peut lire entre les lignes que des problèmes semblent demeurer qui apparaissent au lecteur attentif comme le résultat de ces ambigüités.
L’attachement à conserver une double validation avec à la fois un concours et un diplôme de master conduit à des effets pervers. Les sénateurs notent sans trop s’y appesantir la charge de travail qui pèsent sur les étudiants durant ces deux années : préparation du concours et année de master en M1, stage en responsabilité et validation du master en M2.
Un choc de cultures
L’installation des Espé continue « à se heurter à un certain nombre de résistances et de cultures bien installées », souligne le rapport citant les universitaires d’une part et les « ex-IUFM » d’autre part. On rappellera qu’il aurait fallu évoquer aussi les personnels d’inspection très présents dans certains secteurs et à terme les personnels de la formation continue des rectorats. D’une manière très volontariste le rapport souhaite que les Écoles puissent donc « devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions ». Et « pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives ».
Bien sûr, certaines ESPÉ sont citées en exemple comme ayant déjà mise en œuvre cet esprit commun. C’est le cas en particulier de l’ESPÉ de Clermont Ferrand qui apparait presque comme un modèle à la lecture du rapport.
Mais dans beaucoup d’autres on voit bien que le chemin est encore long. Des équipes pluricatégorielles de formateurs se créent lentement mais chacun reste souvent dans son domaine respectif. Comme cela est préconisé dans la logique de la formation en alternance, faire en sorte que les « tuteurs » soient aussi des universitaires et puissent aller dans les établissements visiter les stagiaires serait un pas en avant important dans l’évolution des cultures.
Le choc de culture, il est aussi dans la représentation idéalisée de la formation universitaire et à l’inverse des représentations un peu biaisées de la culture des enseignants. On peut ainsi lire au détour d’une page, une phrase qui laisse pantois : « Ce ne sont pas forcément les enseignants de terrain qui pourront leur transmettre cette capacité perpétuelle de remise en question de leurs savoirs et de leurs postures de professeur. La réflexivité est en revanche une pratique consubstantielle à une formation universitaire de haut niveau. Elle est stimulée par la confrontation avec les apports de la recherche, auxquels seules les universités peuvent donner accès. » On aimerait comprendre !
Qui formera les enseignants ?
« L’erreur à ne pas commettre réside dans le recrutement de “formateurs de terrain” hors-sol, qui n’auraient plus que des liens nominaux avec les écoles et les établissements. On peut irriguer les formations de l’ÉSPÉ et leur apporter son expérience sans faire partie de son personnel permanent. » Lorsqu’on lit une telle recommandation dans le rapport et qu’on est « en temps partagé » depuis huit ans, on a une réaction mitigée. D’abord, bien sûr une satisfaction pour la reconnaissance de la nécessaire contribution des enseignants « de terrain » (malgré la phrase citée plus haut sur la difficulté à avoir de la réflexivité !). Mais aussi une méfiance à l’égard de la solution retenue. Car ce qui est évoqué c’est, sur le modèle des « maitres formateurs » dans le primaire de constituer un vivier de « professeurs formateurs académiques » (PFA) pour le second degré. En oubliant que les « temps partagés » existent encore malgré les évolutions actuelles qui rendent ce statut de plus en plus difficiles à vivre. Mais surtout, la bonne idée des PFA risquent d’être dévoyée en servant de moyen de recyclage d’autres catégories obsolètes et parce que leur mode de désignation risque d’être marqué par le clientélisme et dicté par les inspecteurs. Suffit-il d’être bien vu par un inspecteur pour être un bon formateur ?
Qui formera les formateurs ?
« De la même manière qu’enseigner est un métier qui s’apprend, former est également un métier qui s’apprend. » Cette affirmation du rapport conduit à la préconisation de faire accéder au niveau du master davantage de formateurs et pose la question de la mise en place d’une véritable politique de formation des formateurs.
Pour l’instant, les intervenants issus de l’ Éducation nationale sont généralement recrutés sur la base de leur seule expertise d’enseignement nous dit le rapport. Mais on pourrait rajouter qu’il en est de même pour les enseignants du supérieur dont l’expertise dans le domaine pédagogique reste à démontrer.
Un point qui n’apparait pas dans le rapport est celui des méthodes et dispositifs de formation. La question n’est pas en effet seulement celle de la transmission de connaissances mais aussi la manière dont les enseignants sont formés car cela a évidemment une influence modélisante sur les pratiques des enseignants ensuite. On enseigne comme on a été formé…
Points de vigilance et angles morts
On peut évoquer les manques dans le rapport et qui en disent long sur les risques de blocages ou d’inachèvement de la réforme de la formation.
Si le rapport porte sur les Écoles, on peut quand même s’étonner que l’enjeu des concours ne soit pas abordé alors qu’ils ont un effet structurant sur la formation. Si les maquettes des concours ont évolué et que ce qui est évalué détermine en amont ce qui est enseigné en M1, ces évolutions restent très modestes et très variables selon les concours et les disciplines. On peut aussi se demander si l’évolution vers des concours plus professionnalisants ne passe pas aussi par une modification des jurys de ces mêmes concours.
Un autre angle mort se trouve dans la dernière lettre du sigle. Les écoles concernent le professorat et l’« éducation ». Est-ce que ce terme a été ajouté pour inclure uniquement les CPE dans la formation ou comme, on peut l’espérer, proposer une formation au delà du seul enseignement à l’ensemble du secteur éducatif dans son ensemble. Car il faut bien dire que les ESPE restent très « scolaro-centrés » pour l’instant…
On terminera en déplorant que le mot « pédagogie » apparaisse si peu dans ce rapport. On y parle beaucoup de didactique, de connaissances, de recherche, on y fait de longs développement sur le numérique, mais on y aborde peu la question de la pédagogie. Aussi bien dans la formation dispensée aux enseignants que dans les contenus enseignés. On peut y voir l’effet du compromis qui structure toute cette réforme et qui continue à articuler la formation essentiellement autour des concours disciplinaires de manière assez cloisonnée. Malgré les déclarations un peu incantatoires, une « culture commune », les futurs enseignants auront peu l’occasion de travailler ensemble en équipe et en interdisciplinarité, alors que la situation actuelle demande une conception plus large du métier et une approche plus ouverte des savoirs.
Philippe Watrelot,
président du CRAP-Cahiers pédagogiques