Éditorial

Des outils au service de notre philosophie éducative

La pédagogie Freinet, à chaque époque, a exploité les possibilités technologiques les plus récentes, sans s’éloigner

de ses axes fondamentaux :

– favoriser l’expression personnelle et la communication, dans l’échange avec les autres ;

– permettre le développement de l’individualité, en même temps que la convivialité et la coopération ;

– contribuer à la construction des structures mentales permettant vie personnelle riche et vie sociale ;

– faire émerger la créativité et l’enrichir, là encore par la communication, l’échange ;

– former à la curiosité, valoriser l’esprit de recherche, base de l’esprit scientifique ;

– développer conjointement autonomie et entraide ;

– appuyer toute construction du savoir, savoir?vivre, savoir être, sur l’expression et l’intérêt des enfants.

Cette « philosophie » éducative, indépendante des outils, trouve toutefois soutien et élargissement avec les technologies

actuelles. Cela, nous l’avons déjà exprimé il y a bien longtemps, notamment, à partir de 1980, avec l’informatique puis les

réseaux, enfin à notre portée1. Qu’on ne passe plus par les caractères en plomb et la presse à main pour présenter à

d’autres enfants ou amis de l’école les diverses créations personnelles ou collectives, n’a plus rien d’original, mais

si les nouveaux outils ne sont qu’objets d’étude plutôt que vecteurs d’enrichissement affectif et intellectuel, le bilan

ne sera pas positif. Que la correspondance papier, forcément limitée, soit remplacée par des blogs, des messages

de listes, des forums et a fortiori des tweets 2, n’est pas gage de modernité pédagogique. Encore faut?il que la

communication soit réelle 3, que l’expression soit intense, profonde, personnelle ou collective.

L’individualisation semble facilitée avec les « capsules » de la classe inversée ou les MOOC 4, mais si les

objets technologiques permettent tout, leur valeur dépendra de leurs contenus, de leurs formes, de leurs

objectifs. Le mouvement Freinet, par la CEL 5, a créé des fichiers pour les enfants, différents de l’édition

scolaire officielle, une encyclopédie BT originale, des logiciels informatiques en accord avec notre pédagogie,

pourquoi pas des « capsules », des MOOC Freinet ? (La ministre m’a piqué ma FUN – France Université

Numérique –, alors soyons FAN – Freinet Académie Numérique 6 !)

La recherche documentaire fut déjà bien à l’avant?garde avec l’EncyCoop et BTn, mais on peut aller encore

plus loin avec la richesse des encyclopédies en ligne et les sites spécialisés. C’est là précisément que les

éducateurs n’ont pas à s’effacer.

Chercher des documents sur Internet est facile, trouver les bons, les analyser, les organiser, les comparer

demande d’autres compétences que la seule manipulation. Les limites anciennes du tâtonnement expérimental

sont repoussées grâce aux soutiens techniques (tous outils de calcul et de numérisation, et bien sûr les

smartphones qui réunissent tout cela en un objet à portée de main et de tous), mais aussi par l’élargissement

du monde des « pairs », qui est une composante fondamentale dans le processus de construction des savoirs,

savoir?faire, savoir?être. N’est?ce pas proche de l’option des MOOC 7 ?

Plus que jamais, l’organisation coopérative du travail et de la vie de groupe (qu’il soit réuni ou éclaté) sera

nécessaire, mais précisément les applications ouvertes et souvent gratuites offertes sur Internet, dans le

« Cloud » ou sur serveurs associatifs, la rendent plus facile et plus efficace. Les différents matériels

miniaturisés (tablettes tactiles, smartphones, objets connectés…) déstructurent fortement les temps et

les espaces de formation, de loisir, de travail. La capacité d’en profiter sans en être esclave se

construit dès l’enfance, dans la réflexion et l’usage.

Si l’enfant de 2014 est de même nature que celui des années 50, peut?on négliger les effets de la vie familiale

et sociale actuelle, peut?on faire abstraction de ses besoins futurs, bien différents de ceux des adultes du

20e siècle ? Les connaissances, qu’elles soient transmises par des enseignants, des livres, des outils

informatiques ou qu’elles soient construites par les enfants eux?mêmes, par des processus dans lesquels

ils sont véritablement acteurs, ne suffiront pas à leur assurer pouvoir d’analyse et d’action tout au long de leur

vie. L’important dans une action ou une recherche n’est pas le résultat?connaissance immédiat, mais la

trace au niveau cérébral qui en résultera, permettant au futur adulte d’interagir dans des mondes nouveaux.

Il est rare que la technologie, à elle seule, modifie profondément la pédagogie, mais la pédagogie doit tirer

profit de la technologie, afin qu’en l’enfant d’aujourd’hui se construisent l’homme et la femme de demain,

maîtres de leur vie et de leur devenir.

Bernard Monthubert

1 ACTI offrait listes, magazines, journaux de classes, recherches collectives et interactives : http://icem.fr/bm/jpoax.htm

2 Peut?il y avoir véritable expression en 140 caractères ? Chaque service a sa force et ses limites.

3 S’adresser à des milliers d’inconnus, est?ce de la communication ?

4 Cours en ligne ouverts http://fr.wikipedia.org/wiki/Cours_en_ligne_ouvert_et_massif

5 Coopérative de l’Enseignement Laïc, créée par Freinet pour permettre la diffusion des outils élaborés par les pionniers.

6 En fait, Académie correspond mieux à notre mouvement que Université (voir définitions).

7 Basés sur le « connectivisme » http://fr.wikipedia.org/wiki/Connectivisme