21 avril
En fixant naguère au 14 juillet la date des vacances scolaires pour les écoliers comme pour les lycéens, je me rendais aux leçons de l’expérience et répondais au voeu des éducateurs comme à celui des familles. Les éducateurs signalaient depuis longtemps que, dans la deuxième quinzaine de juillet, sous la canicule, le travail scolaire devenait nul ; on se bornait à somnoler sur les bancs et à soupirer en regardant les fenêtres. Les familles, de leur côté, se plaignaient de ne pouvoir organiser leurs vacances à leur guise, pour peu qu’elles eussent un enfant au lycée et un autre à l’école primaire. Le premier était libre au 15 juillet, le second au 31. Je décidai que tous deux s’en iraient ensemble le 15. Mais comme il ne convenait pas que cette unification eût pour résultat de laisser dans la rue les enfants pauvres, elle fut accompagnée d’une nouvelle et large organisation de garderies et de colonies de vacances. Garderies dans les villes jusqu’à la fin de juillet ; colonies de vacances un peu partout, confiées à l’initiative ou tout au moins au contrôle de l’Etat, pour envoyer à la campagne ou aux bains de mer le plus grand nombre possible d’enfants. Appel fut fait au concours des instituteurs et institutrices, qui ne le ménagèrent point. En 1939, des milliers d’enfants des classes les plus modestes eurent leurs vacances. Le Conseil des ministres en apprit le nombre avec étonnement le 24 août, lorsque je proposai, aux approches de la guerre, de retenir les petits Parisiens quelques semaines de plus dans leurs colonies.
Naturellement, cette mesure avait été dénoncée par les maniaques de l’opposition comme "une nouvelle prime à la paresse". L’allongement des grandes vacances, même compensé par un meilleur aménagement du travail scolaire le reste de l’année et par l’envoi des enfants à l’air salubre de l’océan ou des champs, même conçu comme premier élément d’une redistribution plus harmonieuse du tableau des congés sur l’ensemble de l’année, – c’était là notre dessein, – suscita d’austères indignations : décidément, on ne voulait plus travailler ! Mes successeurs de Vichy s’empressèrent de rapporter ce décret ; ils rétablirent avec éclat au 31 juillet 1941 la date des vacances de l’enseignement primaire… C’est plus discrètement que, voici quelques jours, par un décret daté du 16 avril, ils viennent de faire amende honorable et reprendre, tout compte fait, l’unification au 14 juillet. Peut-être quelques naïfs leur attribueront-ils l’initiative d’une aussi sage réforme ?
Je lis en même temps dans le Figaro une enquête sur la situation des instituteurs telle qu’elle apparaît après les changements apportés l’an dernier à leur formation professionnelle : "- Il y a un malaise instituteurs, écrit le journaliste. On accepte la nouvelle formation, mais aux exigences nouvelles correspond une vie matérielle médiocre. Le système actuel aboutit à abaisser considérablement le niveau intellectuel des maîtres primaires, car les meilleurs, grâce au libéralisme de la réforme, continuent vers le professorat." Il en résulte que, pour la seule zone libre, le concours de 1941 a enregistré 1 130 candidatures en moins.
La "nouvelle formation" se résume en effet à la suppression des écoles normales primaires. Les futurs maîtres émaneront, après un stage dérisoire dans les "instituts pédagogiques", des établissements secondaires et du baccalauréat. L’école normale, conservatrice des vocations, ayant en fait disparu, il était facile de deviner que le taux des traitements ne suffirait pas à rendre enviable la carrière d’instituteur et que les plus brillants sujets préféreraient poursuivre leurs études au delà du baccalauréat, vers le professorat, ou rechercher en tout cas des carrières plus fructueuses. Les futurs instituteurs risquent de n’être, parmi les bacheliers, que les moins doués ou les plus pauvres.
Le plan de 1937 visait, lui aussi, à améliorer la formation des maîtres primaires en les faisant bénéficier des études secondaires, en les mêlant sur les bancs du lycée aux autres élèves de l’Université et en les soumettant au baccalauréat. Mais il maintenait l’école normale, d’abord comme internat, ensuite, après le bachot et pendant deux années, comme institut de formation pédagogique. Il s’agissait de mettre fin à ce que l’Education des écoles normales pouvait avoir de trop "primaire", de supprimer le "vase clos", de ne plus laisser nos normaliens faire "bande à part" dans l’Université, mais de conserver en même temps ce que l’école normale avait d’excellent – et c’était beaucoup : un esprit de corps au meilleur sens du terme, une émulation dans le dévouement et la foi professionnelle, d’où sortaient des équipes homogènes, avec leurs traditions. Le plan de 1937 avait souci de préserver l’origine démocratique et, tout spécialement, l’origine rurale du recrutement. Il convient de ne jamais oublier que neuf sur dix des instituteurs et institutrices seront des maîtres ruraux dans des écoles à une ou deux classes. C’est pourquoi quelques-uns des meilleurs sujets provenaient des cours complémentaires ; ceux-ci gardaient, dans notre plan, le moyen d’orienter leur élite vers l’école normale. Le reclassement général de la fonction enseignante, qui doit constituer nécessairement la toile de fond de toute réforme démocratique, aurait assuré aux instituteurs des traitements enfin dignes de leur mission. Mais l’esprit qui inspirait ces conceptions était soucieux de servir l’école républicaine, d’accroître son efficacité, son prestige, l’idéal qu’elle incarnait. Il en va aujourd’hui bien autrement.