In Médiapart – le 27 janvier 2014 :
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Dans un contexte d’inflation de décisions d’exclusion dont la légitimité est parfois contestée, la principale fédération de parents d’élèves – la FCPE – vient de relancer le débat sur l’ »impartialité » des conseils de discipline.
Dans la « Lettre d’information » de la FCPE du mois de janvier 2014, le président Paul Raoult interpelle la »communauté éducative » : « Qu’est-ce qu’une sanction efficace ? C’est une mesure qui permet au jeune de comprendre son erreur et de ne pas recommencer. Pour cela, il doit accepter la sanction parce qu’il la ressent comme juste et proportionnée. La procédure doit donc être exemplaire et impartiale du début de l’instruction jusqu’au prononcé de la sanction. Or, à l’heure actuelle, les dispositions en vigueur ne le permettent pas puisque c’est la même personne, le chef d’établissement, qui est chargée d’instruire le dossier, puis de le juger seul ou de présider le conseil de discipline. Autrement dit, il est à la fois juge et partie. Ce que nous n’accepterions pas dans le système judiciaire, nous ne pouvons pas non plus l’accepter à l’Ecole.
Les conséquences d’une exclusion définitive sont loin d’être anodines pour un élève et sa famille : période de déscolarisation plus ou moins longue, selon la réactivité de l’académie à trouver un nouvel établissement, coûts supplémentaires, alors même que la majorité de ces élèves connaissent déjà des difficultés. Lorsqu’une exclusion définitive est envisagée, ne pourrait-on pas la faire examiner par des personnes extérieures à l’établissement pour plus d’impartialité ? ».
Comme l’avait déjà remarqué Pierre Merle à la suite de la grande remise à plat en juillet 2000 des textes sur « l’organisation des procédures disciplinaires », « le principe d’’’impartialité’’ n’est pour sa part, absolument pas évoqué. Les textes ne présentent d’ailleurs à cet égard aucune garantie réelle. Si l’on peut considérer que, dans leur esprit, le Conseil de discipline doit faire preuve d’impartialité, c’est d’une impartialité toute subjective qu’il s’agit et non d’une impartialité objective au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme. Du reste, le chef d’établissement qui préside le Conseil de discipline aurait bien du mal à se conformer à cette exigence du ‘’procès équitable’’ : non seulement ses différentes missions peuvent être source de conflits d’intérêts ( il peut avoir intérêt à user de la sanction pour satisfaire la demande d’une équipe pédagogique, alors même qu’il lui est demandé de juger équitablement et de tenir compte des différents points de vue exprimés par les parties ), mais encore il cumule des fonctions dont le principe d’impartialité recommande la dissociation. Ainsi, on peut très bien imaginer que, dans une même affaire, le chef d’établissement soit à la fois victime, accusateur, instructeur et juge. La seule innovation que comportent les textes en la matière consiste dans l’institution d’un Conseil de discipline départemental ( cf article 3.1. 4 ), embryon d’un tiers externalisé susceptible d’être saisi lorsque la tenue d’un Conseil de discipline classique dans l’établissement où la faute a été commise risque d’entraîner des troubles graves.» ( « L’Elève humilié. L’école, un espace de non-droit ? », PUF, 2005).
Mais le mouvement général de ‘’juridicisation’’ de l’Ecole peut-il aller jusqu’à ‘’juridictionnaliser’’ les procédures d’une façon pleine et entière ? On peut en douter. Parce que, même s’il peut être souhaitable que les personnels et les élèves fassent un certain apprentissage concret de la logique juridique, l’espace scolaire doit sans doute garder une certaine spécificité sous peine de ne plus assurer son propre ordre symbolique éducatif et sa spécificité qui est d’être un espace particulier de formation progressive, intermédiaire ( entre la famille, le monde du travail et l’espace politique ).
C’est pourquoi, comme l’a déjà souligné Eirick Prairat, la perspective d’« une entrée massive du droit au sein de l’Ecole n’est pas sans poser problème car en rapprochant l’espace scolaire de l’espace public, on supprime précisément sa spécificité et, par là même, les conditions effectives de l’action éducative. En supprimant le statut d’extraterritorialité de l’espace scolaire pour l’inscrire dans la continuité de l’espace public, on fait peser sur l’enfant une responsabilité inédite, situation qui, à bien des égards, contredit le principe éducatif d’une responsabilisation progressive » ( « La réforme disciplinaire de juillet 2000, ou la difficile entrée du droit dans l’école »in « Les sciences de l’éducation pour l’ère nouvelle », vol.37, n°4, 2004).
Ce qui n’empêche pas de concevoir que la question précise posée par le président de la FCPE puisse être une question ouverte…