In Les Cahier Pédagogiques – « Faits & Idées » – n° 510, janvier 2014 :
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[…] Christine Piret entend, comme tout le temps, combien on parle en France de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. À Suin, il n’y a pas eu de quoi remplir les gazettes : « ?Dans notre petite classe unique de campagne de treize élèves et sept niveaux, il a été assez facile de mettre le nouveau planning en place. Nous n’avions besoin que d’un seul intervenant, d’une seule salle en dehors de la salle de classe, et nous les avions.? » Vingt-huit élèves rendent évidemment les choses bien plus complexes, avec le besoin de deux intervenants, de deux lieux. Mais ce qui est plus important encore, c’est que tous les acteurs de Suin, école, municipalité, parents, déjà habitués à travailler de concert, semblent s’être dit : « ?Puisqu’il faut le faire, faisons-le bien.? »
Les journées ont été réduites d’une demi-heure, la garderie offerte gratuitement aux parents, avec deux services de ramassage scolaire dans le petit bus de huit places. Pas question de confondre les deux temps : « ?À 16?h, c’est un autre temps qui commence, avec la lecture, les jeux tout neufs que l’on a achetés pour l’occasion, le gouter. Il est important de marquer la fin de la journée d’école.? » Le mercredi matin, de 9?h à 10?h ont lieu les activités pédagogiques complémentaires (APC), puis des ateliers d’expériences, et musique, danse ou anglais. Christine Piret commence à prendre, elle aussi, un nouveau rythme. Et ce n’est pas si facile, il faut du temps : « ?Le mardi soir, plus question de reporter les préparations au lendemain libre.? » Mais ce mercredi matin réinvesti lui plait beaucoup pour l’organisation des apprentissages. « ?Alors que nous étions dubitatifs sur l’organisation du mercredi qui nous revenait, notre inspecteur nous a suggéré d’en profiter pour revoir notre manière d’enseigner, et d’enseigner ce que l’on ne prenait pas le temps d’approfondir. Je me suis dit "pourquoi pas ?" et ça marche. Les élèves font des exposés, j’ai travaillé sur un opéra pour enfants, alors que jamais je ne prenais le temps. Les élèves aiment beaucoup, en tout cas.? »
- La classe de Suin © DR
Le périscolaire a lieu le jeudi de 16?h à 17?h À Suin, on est loin des conservatoires, des musées, des centres de loisirs, et aucune réforme ne réduira cette inégalité. Alors, on fait à sa mesure, « ?du mieux que l’on peut? ». À chaque période commence une nouvelle activité, avec des intervenants différents, mais avec l’Atsem (agent spécialisé des écoles maternelles) toujours présente. Au début de l’année, ce fut de l’initiation à la pétanque, encadrée par un papa bénévole et passionné. Ensuite est venue la fabrication d’objets de Noël, là aussi animée par des parents. En janvier, du yoga sera payé par la mairie, activité que les enfants n’auraient jamais faite sans cela. Et au printemps viendra le temps du potager, avec des grands-parents, puis une initiation aux échecs et jeux de stratégie gérée par des parents.
Des clés pour que cela marche ? Christine Piret sait que dès que l’on est dans de l’humain, il faut de la cohérence et du lien, qu’il n’y ait pas de séparation, même si chacun doit avoir sa place. Alors, tout passe par la concertation avec les parents. Le planning, modifié par rapport à l’an dernier, a été expliqué et réexpliqué. Ce que les modifications apportent aux enfants et les conditions de mise en place, de surveillance, également. « J’ai été maman. Moi aussi j’ai eu besoin d’être rassurée. Tout ce que je prends comme temps est gagné en confiance.? » Et si les parents ont aussi bien répondu pour l’encadrement du périscolaire, c’est la preuve que cela marche. Le dialogue, il existait aussi avec la municipalité. D’abord, parce que le maire n’est autre que le mari de Christine Piret. Ensuite, parce que dans les petites communes, une école à maintenir ouverte demande une attention au long cours et beaucoup de volontarisme.
Une autre clé pour réussir ? Il semble bon que le changement lié aux rythmes scolaires soit à l’image de l’enseignement de Christine Piret, tel qu’elle le décrit : humble et ambitieux. Humble, parce que l’on ne va pas doubler les impôts des Français, on ne va pas transporter les campagnes en ville, ni les villes à la campagne. Pas de grand soir à attendre, ni dans la réforme des rythmes, ni ailleurs, mais des matins qui chantent à rechercher, en étant ambitieux, c’est-à-dire en utilisant le précieux, l’utile de ce que l’on a dans chaque situation, unique, comme ici, à Suin, où le savoir-faire, le bien vivre sont dans les bois, les prés, les chèvres et les chemins de terre. Mais surtout dans les gens.
Les nouveaux rythmes vus par les enfants
« ?Maintenant avec les rythmes, nous avons école le mercredi matin. Je trouve que c’est mieux, parce qu’on fait des choses qu’on n’a pas le temps de faire les autres jours, comme des expériences, de la musique, etc. Le mardi, il y a une activité après l’école, c’est bien : on a fait de l’initiation à la pétanque avec un parent d’élève. On rigolait mais en même temps, c’était un peu difficile.? » Linan, CM2.
« ?J’aime bien aller à l’école le mercredi matin, parce qu’on fait de la science et ce n’est pas comme les autres matins. Le mardi, j’ai hâte de faire du yoga, ça sera après Noël !? » Noémie, CE1.
« ?Le mercredi matin, je préfèrerais rester chez moi, mais j’aime bien quand même venir le mercredi, parce que ça finit à midi.? » Marius, CP.
« ?Je trouve que les activités du mardi après l’école, c’est amusant. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé ça fatigant. En ce moment, on fabrique des objets de Noël avec une maman. Le mercredi, j’aime bien, on fait plein de sciences maintenant.? » Clovis, CM2.
« ?J’aime bien les nouveaux rythmes. Je finis plus tôt, mes parents viennent me chercher à 16?h et le mercredi c’est bien, ça commence à 10?h et ce n’est que le matin. On fait de la science et j’aime bien.? » Jade, CM1.
« Les nouveaux rythmes, ça va bien. Ce n’est pas trop fatigant. On finit à 16?h et on a une garderie avec des nouveaux jeux. On peut gouter, faire les devoirs, des jeux, etc. J’ai hâte de faire du yoga, je ne connais pas encore, on m’a dit que quand on est énervé, ça nous soulage !? » Anaïs, CE2.
« ?J’aime bien venir le mercredi, on chante, on fait des instruments. C’est mon papa qui faisait la pétanque, j’étais très contente !? » Flavie, CP.
« ?Moi, j’aime les activités du mardi soir, ça défoule un petit peu. Le mercredi, je me lève comme les autres jours et je préfèrerais dormir. Mais j’aime les sciences et la musique !? » Miguel, CM1.
« ?Je trouve que les nouveaux rythmes c’est bien : on finit plus tôt et j’aime bien m’amuser à la garderie, comme à la récré ! Le mercredi, c’est un peu dur de se lever. Avant, je dormais plus tard.? » Louis C, CM1.
« ?Le mercredi, j’aime aller à l’école, mais j’aimerais aussi rester à la maison parce que c’est dur de se lever le matin. J’adore faire les activités de Noël le mardi soir et j’adore la garderie, ça fait une récré en plus !? » Alix, CP.
« ?Le mercredi, je préfère les expériences à la musique, mais c’est dur de se lever ! Mais avant, je me levais quand même pour aller chez Papi et Mamie !? » Émilien, grande section.
« ?J’adore les activités du mardi, en ce moment on fait de la peinture pour décorer des pots de fleurs qu’on a plantées.? » Louis D, grande section.
« ?Le mercredi, c’est dur de se lever pour aller à l’école, mais j’aime bien les maracas avec des graines dedans.? » Justin, moyenne section.
Les nouveaux rythmes vus par Denise Beurrier, ATSEM
« ?Je trouve que la sortie de la classe se passe plus en douceur car les enfants peuvent jouer, gouter avant de reprendre le bus scolaire, la coupure est moins brutale et les enfants sont plus calmes. Je n’ai pas l’impression qu’ils soient plus fatigués le mercredi matin. En revanche, pour les plus petits, la journée du mardi est un peu longue, car le temps d’activités périscolaires se rajoute au temps scolaire.? »
Propos recueillis par Christine Vallin
Rythmes scolaires : à la recherche du tempo perdu
Souplesse dans la mise en place
Suin est un village de 300 habitants, avec l’école, la mairie au bourg tout en haut d’une butte. Il faut savoir qu’au bourg, on a douze habitants seulement, les autres habitants sont disséminés dans la campagne. Autant vous dire que notre école, les cris joyeux des enfants à la récréation, on y tient.
Ce que l’on n’avait pas bien appréhendé, en terminant à 16?h au lieu de 16 h 30, c’est que les parents ne seraient pas libres à cette heure-là. D’où l’idée de la garderie, en en faisant un temps distinct, avec des jeux nouveaux, dans un autre lieu que la classe. Idée qui emballe les enfants, d’ailleurs.
Ce qui nous a aidés, c’est que l’inspection a accepté une souplesse dans la mise en place. On n’a pas été tenus d’avoir des activités périscolaires tous les soirs. Cette année nous les avons programmées une heure, l’an prochain nous pensons les faire deux heures. Quatre intervenants sur cinq sont bénévoles, et il nous semble que pour l’avenir, le mixte entre bénévolat et professionnel est la meilleure solution pour nous, un bénévolat qui n’est pas tellement à voir selon l’angle de la gratuité, mais surtout de l’investissement des personnes dans l’animation de l’école et du village tout entier. Et question investissement, nous sommes gâtés : notre premier intervenant était un gendarme en retraite qui s’occupait de l’activité pétanque. Il était là une heure à l’avance pour faire ses tracés ! Par contre, selon moi, il faut que ce soit des personnes extérieures à l’école, parce que la parole d’une personne extérieure n’est pas perçue de la même manière.
L’organisation de la demi-journée supplémentaire et de l’activité périscolaire nous revient à 3 500?euros, soit 270?euros par enfant, répartis entre les heures de la chauffeuse du bus du mercredi, le bus (subventionné à 45?% par le conseil général), une heure de garderie et d’accompagnement dans toutes les activités par l’Atsem (et c’est très bien de pouvoir apporter ce bonus à quelqu’un du village), les charges en eau, chauffage, et l’intervention du professeur de yoga pendant trois mois, dans une salle bien chauffée, à cinq minutes de la classe. Mais il serait bon de ne pas oublier qu’il y a quatre ans, on avait encore cette demi-journée supplémentaire à payer. Il faudrait que l’État pérennise son aide. Ensuite, cela rentrera dans le budget des communes. Si on doit refaire moins de voirie, on refera moins de voirie et voilà. C’est une question de choix.
Jean Piret, Maire du village de Suin […]