In France Info – le 8 janvier 2014 :
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Retour sur la question du décrochage scolaire, alors que Vincent Peillon et Georges Pau-Langevin faisaient ce matin le bilan des actions entreprises. On a parlé hier des premiers effets positifs de la politique mise en œuvre. Aujourd’hui zoom sur les publics les plus en difficulté, ceux que les dispositifs de repérage classique échouent à récupérer…
Autour d’une étude du Céreq, le Centre d’études et de recherches sur les qualifications réalisée par Gérard Boudesseul. Il s’est intéressé à une expérimentation mise en place dans le cadre du Fonds d’expérimentation pour la jeunesse initié à l’époque par Martin Hirsch. Cette expérimentation se déroule à Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, autour des Ateliers pédagogiques du centre médico-psychologique Jean Wier.
Les publics visés sont cette fois les plus difficiles à toucher.
Oui. D’une part ceux qu’on appelle les " perdus de vue ". Ils ont moins de 16 ans, devraient donc être scolarisés, mais ils sont littéralement hors cadre : le Système interministériel d’échanges d’informations (SIEI), qui est censé suivre les décrocheurs, n’a pas le droit de ficher les moins de 16 ans suite à une recommandation de la Cnil. Second public, ceux que le Céreq appelle les " incontrôlables ", ceux sur lesquels les sanctions habituelles n’ont aucun effet : qu’il s’agisse de la convocation, de l’avertissement ou de l’exclusion temporaire. Des jeunes qui " glissent dans une dynamique de répétition jusqu’à l’exclusion définitive, avec le risque d’une forme de nomadisme institutionnel, voire d’errance ". Des jeunes âgés de 12 à 16 ans, donc qui sont encore soumis à l’obligation scolaire, mais qui sont pour certains déscolarisés depuis plus d’un an, parfois depuis la fin du primaire. On est vraiment dans le décrochage lourd.
Alors comment les identifie-t-on, puisqu’ils sont hors cadre ?
A partir des quartiers, des réseaux constitués avec les associations, de l’aide sociale à l’enfance, de la protection judicaire de la jeunesse, des centres d’information et d’orientation. Bref il faut chercher hors de l’école.
Une fois repérés, comment sont-ils approchés ?
Ce qui change, c’est que dans ces Ateliers pédagogiques, la rupture de scolarité est perçue comme un symptôme et non pas comme une transgression à sanctionner. On va penser le raccrochage en termes de parcours de soin et pas de parcours scolaire. On commence donc par un important travail de prise en charge psychologique, avec le personnel du CMP. Ils vont aussi suivre des cours, 7 heures par semaine au maximum, en petits groupes, en dehors d’un établissement scolaire. On a aussi pensé la question des lieux. " Les consultations individuelles ont lieu au CMP ; les ateliers thérapeutiques d’écriture, de peinture et de sortie collective sont organisés au centre d’activités thérapeutiques à temps partiel (CATTP) dans un autre pavillon à proximité ; enfin, à un quart d’heure à pied, les ateliers pédagogiques se tiennent au "rez-de-jardin" d’une tour dans un quartier plus densément peuplé ". C’est là que réside l’innovation, dans cette coopération intime entre personnels soignants et personnels d’éducation. C’est de la dentelle. Ces ateliers avaient été prévus pour accueillir environ 60 jeunes sur trois ans, ils en ont finalement suivi une trentaine.
Peut-on généraliser ce dispositif ?
Oui selon le Céreq, mais à plusieurs conditions. La première c’est que les acteurs de l’Education nationale acceptent d’entrer dans un dispositif où on change de logique. Je cite l’étude du Cereq : " En milieu scolaire, le jeune n’est pas appréhendé dans sa globalité, mais essentiellement en tant qu’élève. Il est ainsi perçu au regard de ses performances et de sa conformité aux normes, en particulier de présence ". Avec ces jeunes-là, ça ne marche pas. Le premier réflexe de nombre d’enseignants, indique l’étude, c’est de penser qu’il faut donner plus de cours à ces jeunes, rajouter des heures, rajouter du soutien. C’est aussi une demande parfois des parents pour qui l’indice du raccrochage est symbolisé par l’obtention de bonnes notes.
On le disait hier de manière générale : une des clés pour lutter contre le décrochage, c’est d’arriver à impliquer les parents. C’est encore plus vrai avec ces publics…
Oui. Les parents, toujours. Or ces parents, selon l’étude, " semblent parfois difficiles à mobiliser, voire à joindre pour prendre un premier rendez-vous dans l’enceinte du CMP avec les personnels ". Le Céreq prévient : " La nécessité de planifier les rendez-vous, les délais d’attente, et enfin les démarches administratives peuvent devenir des obstacles insurmontables pour les parents. " Il faut donc tenir compte de tout cela.
Travailler avec les parents donc, et faire travailler plusieurs institutions.
Exactement. Créer ce que le Céreq appelle une " culture de coopération pluriprofessionnelle " entre institutions en charge de la jeunesse en matière de santé, de travail social, de justice et d’éducation. Ce sont les conditions d’une éventuelle généralisation de ce dispositif destiné à lutter contre le décrochage lourd des élèves de moins de 16 ans.