In Slate.fr – le 8 janvier 2014 :
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L’apprenant, les ZEP, le CAFIPEMF, les TICE et autres «outil scripteur»… Il est urgent que les concepteurs de manuels scolaires et les professeurs abandonnent ce vocabulaire compliqué qui les écartent de ceux qui ont le plus besoin de l’école.
– Une salle de classe à Denain, en 2013. REUTERS/Pascal Rossignol –
L’élève tient-il correctement l’«outil scripteur»? Réalise-t-il «une composition plastique en tenant compte des contraintes données»? Est-il capable de «reformuler dans ses propres mots la trame narrative» d’une histoire? Classe-t-il le «vocabulaire par catégories sémantiques»?
Ces termes ne sont pas issus d’un manuel de science de l’éducation mais d’un livret scolaire de «cycle 1» (c’est-à-dire de maternelle). Il s’agit de communiquer aux parents l’état des acquisitions de l’enfant de 3 ans, 4 ans ou 5 ans. Le vocabulaire employé semble proche de celui utilisé en sciences de l’éducation ou dans les ouvrages de pédagogie. Pour le dire autrement, il s’agit d’un jargon. Un jargon qui n’est absolument pas systématique quand les profs s’adressent aux familles, mais qui est devenu très présent dans les supports de communication utilisés par l’école comme les livrets scolaires. Un peu trop.
Il faut dire que ce ne sont pas des disciplines qu’on évalue mais des compétences. Il fallait donc trouver les termes ad hoc pour les décrire. Ce qui est plus compliqué pour les petites classes. De plus, les termes un peu savants donnent de l’importance à ce qui est fait en classe, une importance rassurante. Surtout en maternelle où il est important de rappeler qu’il s’agit d’un vrai lieu d’apprentissages scolaires.
Les propos de Xavier Darcos, alors ministre de l’Education, qui avait dit que les enseignants étaient trop diplômés pour changer les couches à l’école maternelle avaient beaucoup choqué… Utiliser des mots compliqués et des livrets scolaires un poil alambiqué, c’est aussi une façon pour les professeurs des écoles de répondre: on change pas des couches, ok, mais on apprend à tenir «des outils scripteurs» et on bosse sur «des structures narratives»!
C’est vrai, mais c’est certainement possible de le dire dans un vocabulaire compréhensible par tout le monde. On a beaucoup reproché aux courants pédagogistes et aux IUFM, qui formaient les enseignants dans les années 1990-2000, de le diffuser.
D’après Luc Cédelle, journaliste au Monde, ancien du service éducation et toujours très versé dans ce sujet, le terme outil «scripteur» a dû sa généralisation à sa présence dans une circulaire de Ségolène Royal alors ministre déléguée à l’Enseignement solaire pour encourager la pratique de l’écriture. C’était en 1999, on parlait d’instrument scripteur et voici la phrase complète:
«On peut constater que de très nombreux enfants, droitiers ou gauchers, ont de réelles difficultés à tenir un instrument scripteur, à accéder à une écriture cursive suffisamment rapide pour permettre la copie ou la prise de note, à former des caractères réguliers et lisibles.»
L’«écriture cursive», c’est aussi un terme qui s’est généralisé à l’école, les enfants l’emploient, dès 4 ans, quand beaucoup de parents continuent à dire «écrire en attaché»! Certes pourquoi pas… mais pourquoi?
Le «référentiel bondissant»
Parce qu’à «l’Educ nat» (c’est comme ça qu’on dit), le jargon est une culture forte et ça ne date pas d’hier.
L’élève est un «apprenant» (voir plus bas pour un petit lexique), mais le plus fou ce sont les acronymes: tout le monde connaît ZEP ou Capes, mais il y a aussi le poétique CAFIPEMF, Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Instituteur ou de Professeur des Écoles Maître Formateur (et là déjà on ne comprend déjà plus de quoi il s’agit), le concours de recrutement de professeurs des écoles s’appelle le CRPE… ou le réducteur TICE pour tout ce qui est ordinateur, tablettes, Internet (technologies de l’information et de la communication à l’école), et tout récemment le dispositif FOQUALE (Formation Qualification Emploi) pour lutter contre le décrochage scolaire. Quand j’accueille les invités de Rue des écoles à France Culture, je leur précise systématiquement d’éviter le jargon et les sigles, sans quoi je serais obligée de faire de la traduction simultanée!
Bien sûr, tous les métiers ont leur jargon, un vocabulaire plus ou moins diffusé dans le grand public. Vous connaissez sans doute les termes coquilles ou marronnier dans la presse, les informaticiens aussi en ont plein et on peut beaucoup s’amuser avec ça. Mais un des plus beau des termes qu’on ait inventé tous jargons confondus se trouve dans le domaine pédagogique c’est le… «référentiel bondissant».
Le fameux! Celui dont auraient parlé des pédagogues possédés par le démon de la circonvolution jargonisante qui donne à toute chose une apparence de scientificité. Et le «référentiel bondissant» n’en finit d’ailleurs pas de rebondir! En fait, il surgit à chaque fois qu’on évoque le jargon à l’école. Il permet de rire ou de s’énerver, mais il a acquis un vrai statut de légende urbaine. Car, d’après Luc Cédelle, il n’a jamais existé. Et cette conclusion est le fruit d’une enquête. Il n’y a pas de référence au référentiel dans des livres de pédagogies, aucune. Ce ballon déjanté part d’une citation de Claude Allègre, dans un livre d’entretien avec Laurent Joffrin pour dénoncer les excès du pédagogisme et de la formation des profs. Le terme est depuis utilisé pour clouer les pédagogues au pilori, mais ça aussi c’est une autre histoire.
Revenons donc à notre «outil scripteur». Cela semble évident pour beaucoup d’entre vous, même s’il faut une rapide opération mentale pour se dire ah oui, le crayon, feutre, stylo… un truc pour écrire, en gros. Sauf que pour certaines personnes (pour plein de gens), scripteur, ce n’est pas clair. Et c’est évidemment le cas également pour «trame narrative» et «catégories sémantiques». Or justement, l’école française a un énorme problème avec les classes populaires: les inégalités scolaires y recoupent plus qu’ailleurs les inégalités sociales. On le sait depuis longtemps, les études françaises et internationales nous le rappellent régulièrement, et cette tendance s’accentue.
Le chantier de la clarification des attentes de l’école devrait être ouvert tout de suite. C’est gratuit, il s’agit juste, pour commencer, d’inciter les concepteurs des livrets scolaires et tous les enseignants qui les utilisent à prendre garde au piège de la sophistication du discours pédagogique. A trouver des mots simples, même pour dire des choses compliquées. En gros, à faire de la pédagogie. Car à vouloir se tendre un miroir flatteur, ou en ne prenant pas garde aux mots qu’elle emploie, l’école finit par ne plus s’adresser qu’à ceux qui ont finalement le moins besoin d’elle.
Louise Tourret
BONUS: LEXIQUE
On trouve quelques glossaires au fil du Net, celui de l’Académie de Paris est très complet, mais j’aime bien celui de Astro 52 qui concerne l’école primaire, dont j’ai choisi quelques définitions ci-dessous:
Conscience phonologique: Il s’agit notamment de la capacité à différencier les sons et les syllabes qui composent les mots et à pouvoir en déterminer l’ordre. La conscience phonologique est beaucoup travaillée en dernière année d’école maternelle car c’est un prérequis indispensable à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture en CP. Quand la conscience phonologique d’un élève est jugée insuffisante, il est fréquent que l’on propose à ses parents de recourir à l’aide d’un orthophoniste.
Méthodes de lecture:
- Méthode globale: La méthode globale désigne des méthodes de lecture basées sur la reconnaissance directe de mots entiers.
- Méthode idéovisuelle: Pour faire simple, autre nom de la méthode globale.
- Méthode semi-globale: Pour faire simple, ancien nom de la méthode analytique. Elle démarre par l’acquisition d’une base de mots reconnus globalement puis les utilise de façon analytique.
- Méthode synthétique: Pour faire simple, nom expert de la méthode syllabique. Elle part de l’écriture de chaque son pour reconstruire les mots.
- Méthode syllabique: Nom traditionnel des méthodes basées sur la voie synthétique (voir «méthode synthétique»).
Prérequis: Un prérequis est une connaissance ou une compétence préalable dont l’élève ne peut pas se passer pour pouvoir aborder l’apprentissage voulu. Par exemple, la multiplication et la soustraction sont des prérequis pour aborder la technique de la division. La grande section de maternelle est une classe où sont abordés de nombreux prérequis.